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Le monde d’après ?

Idées | Bloc-notes | publié le : 01.06.2020 |

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Le monde d’après ?

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« En mai fais ce que tu pourras », titrait malicieusement l’édito de Jean-Paul Coulange dans le dernier « LSM ». Et en juin, cet été, dans les mois et années qui viennent, ferons-nous ce que nous voulons ? Pas sûr… Voilà toute la société confrontée à l’incertitude, un sort d’habitude réservé aux plus précaires, abonnés depuis longtemps à la vie au jour le jour. Mais au fait… que voulons-nous ? Pas seulement retrouver coiffeurs et petits cafés au zinc. Telle la cour de la Sorbonne en mai 68, les médias s’ouvrent largement aux penseurs et aux acteurs qui s’engagent pour inventer le monde de demain : une effervescence intellectuelle bienvenue, un peu vertigineuse, mais tellement nécessaire ! Le danger qui nous menace aujourd’hui ne s’appelle pas seulement « Covid-19 » ou « récession économique », il s’appelle retour au monde d’avant, « business as usual » comme dirait l’autre…

Ce que nous vivons n’est pas une « crise » cyclique comme les autres, mais ce que mon vieux maître Henri Bartoli aurait appelé, en économiste, « un grand entéléchien »1, de ces chocs qui imposent le changement.

Dans les entreprises aussi il faut réinventer, donner un sens nouveau au « changement » permanent qui les mobilise, mais qui – souvent – vise d’abord l’accélération des performances productives… C’est le moment de repenser sa « raison d’être », et de le faire dans le dialogue social et avec les salariés2.

Ralentir demain ?

La culture de la performance qui domine dans l’entreprise, malgré son élargissement progressif vers une notion de performance plus « globale » intégrant l’environnemental et le social, va se trouver fortement questionnée. Boris Cyrulnik pointe bien le sujet : « Globalement, notre culture de la consommation, de l’éducation, du travail, va inutilement vite. »3 La « culture du sprint » qui nous épuise laissera-t-elle la place à une « slow attitude » plus respectueuse de nos ressources et davantage chargée de sens ? Oui c’est possible, si nous savons la conjuguer avec agilité et réactivité.

La révolte des aînés

Parmi les effets révélateurs du Covid-19, l’un des plus terribles – et disons-le des plus révoltants – est la place faite à nos aînés. Pas seulement dans les Ehpad : tous les plus de 60 ans se sont senti prendre un sacré coup de vieux ! De la bienveillance à la stigmatisation, il n’y a qu’un pas, hélas franchi quand certains ont osé imaginer confiner les vieux jusqu’à La Saint-Glinglin ! Exit l’utilité sociale, l’importance du lien, vous voilà bons à rien. Heureusement, la colère des aînés a fait reculer ce funeste projet4.

Les exposés vs les planqués : attention danger !

Autre discours inquiétant : le clivage que révélerait la pandémie entre les « premiers de corvée » – soignants, caissières, livreurs, éboueurs, etc. – et les « planqués de l’arrière », cadres confortablement en télétravail (dans leur résidence secondaire bien sûr !). Une vraie caricature. S’il est juste de mieux reconnaître – enfin ! – les premiers, qu’ils cessent d’être les invisibles et les oubliés, point n’est besoin pour cela de stigmatiser injustement les cadres placés d’office en télétravail souvent intense, le plus souvent en appartement de ville avec enfants à s’occuper, ou ceux qui ont subi le chômage partiel. La division que certains voudraient installer n’est ni juste ni pertinente5.

(1) Henri Bartoli, « Économie et création collective » (Economica, 1977).

(2) Pour « ramener à l’écurie le cheval de Troie du libéralisme », selon la jolie formule d’Henri Weber que ce maudit virus nous a arraché, dans « Éloge du compromis » (Plon, 2016).

(3) Interview dans « Courrier Cadres », 20 avril.

(4) Lisez l’interview révoltée d’Ariane Mnouchkine dans « Télérama » daté du 13 au 19 mai : « Jeunes, tremblez, nous sommes votre avenir ! ».

(5) L’intéressant article de Chloé Morin dans les notes de la Fondation Jean-Jaures en avril, titré « Premiers de corvée et premiers de cordée, quel avenir pour le travail déconfiné », déconstruit chiffres à l’appui ce mauvais clivage.