Olivier Sibony, qui a longtemps travaillé comme consultant avant de devenir professeur à HEC, s’attache dans cet ouvrage à prouver que les cadres et dirigeants gagneraient à s’inspirer des acquis de la science managériale. Malheureusement, les chercheurs demeurent focalisés sur la théorie et sur la rigueur scientifique indispensable à la publication dans des revues pointues et ils ne cherchent guère à faire valoir leurs travaux auprès de praticiens qui doutent de leur pertinence opérationnelle et qui n’ont de toute façon pas le temps de lire.

Arguant que le bon sens et l’expérience terrain ne suffisent pas à prendre de bonnes décisions, Olivier Sibony comble ce fossé en vulgarisant des travaux scientifiques qui mettent en exergue ou qui critiquent des pratiques managériales, notamment dans les ressources humaines. Dans le recrutement, une expérience conduite sur un très gros échantillon (91 000 personnes) propose ainsi à des responsables RH de suivre, ou pas, la recommandation d’un système informatique d’aide au recrutement testant les compétences et la personnalité des candidats à des postes peu qualifiés. À l’issue de cette expérience, il apparaît que plus les recruteurs ignorent la recommandation de la machine, plus ils se trompent, l’échec étant mesuré par le turnover sur ces postes. Idem pour l’entretien d’embauche lambda qui ajoute souvent des biais aux données objectives, constate-t-on dans une autre expérience. Dans le même ordre d’idée, des chercheurs prouvent que les systèmes d’évaluation mesurent moins la performance objective que la personnalité de l’évaluateur (sévère ou indulgent) et sa relation avec les évalués. Les constats de l’ouvrage versent parfois dans le politiquement incorrect et dans le contre-intuitif. Une étude américaine établit ainsi que la contribution des PDG aux résultats des entreprises s’est fortement accrue ces dernières décennies, ce qui explique l’envolée stratosphérique de leurs rémunérations. Qu’on les considère légitimes ou non, ces rémunérations seraient donc fondées sur des performances tangibles et individuelles. Tout aussi dérangeante, une étude menée en France portant sur 600 entreprises a montré que le CV anonyme pénalise les candidats issus de l’immigration. La raison probable ? Le CV anonyme priverait les recruteurs d’éléments de contexte qui permettraient d’interpréter plus « charitablement » les faiblesses d’un CV. En d’autres termes, l’anonymat empêcherait de faire de la discrimination… « positive ». Autant de leçons à méditer dans cet ouvrage agréable à lire, précis et pertinent.

Olivier Sibony, Flammarion, 304 pages, 20 euros.