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Le prêt de salariés, une solution de crise

Décodages | Travail | publié le : 01.06.2020 | Irène Lopez

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Le prêt de salariés, une solution de crise

Crédit photo Irène Lopez

Agroalimentaire, nettoyage, matériel médical… certains secteurs n’ont pas chômé pendant le confinement et ont même eu des difficultés à absorber une augmentation de leur activité, faute de personnel suffisant. À l’inverse, le bâtiment, le commerce ou l’hôtellerie-restauration ont été contraints au chômage partiel. De quoi appliquer le vieux principe des vases communicants, en prêtant ses salariés pour maintenir les productions de première nécessité. Ce dispositif, peu utilisé jusqu’à présent, est fortement encouragé par le Gouvernement qui voudrait le voir préféré au chômage partiel.

Il ne faut pas se fier aux apparences ! Le transport routier de marchandises a fait partie des secteurs bousculés par la crise sanitaire. Selon une enquête lancée du 6 au 15 avril 2020 par la Fédération nationale du transport routier (FNTR), 80 % des entreprises du secteur se trouvaient alors en arrêt total ou partiel de leur activité. « Les secteurs les plus impactés sont le transport lié au secteur de l’automobile (92 %) et le déménagement (75 %). Et ceux les moins touchés sont le transport d’animaux vivants (91 % des entreprises ne sont pas a` l’arrêt), le transport alimentaire (78 % des entreprises ne sont pas a` l’arrêt) et de produits médicaux et pharmaceutiques (67 % des entreprises ne sont pas a` l’arrêt) », explique Hervé Rivalland, directeur adjoint du département de l’action professionnelle au sein de l’AFT, association créée par la branche professionnelle pour promouvoir la formation et l’emploi dans le secteur du transport et de la logistique.

Bourse d’échange de salariés.

Et si le personnel des entreprises à l’arrêt venait combler la main-d’œuvre manquante des entreprises surchargées ? Cette pratique de prêt de salariés existe déjà : une entreprise peut mettre à la disposition d’une autre, de manière provisoire et sans but lucratif, des collaborateurs permanents de son entreprise. Ces derniers conservent leur rémunération habituelle, payée par leur entreprise d’origine. L’entreprise prêteuse facture ensuite celle qui emprunte. Le dispositif est passé inaperçu jusqu’au 14 mai. Depuis, un projet de loi planifie une adaptation des « conditions et modalités du prêt de main-d’œuvre » valable jusqu’au 31 décembre 2020. Aux conventions individuelles de mise à disposition signées par l’entreprise prêteuse et par l’entreprise utilisatrice, pourra se substituer une convention collective de mise à disposition, les spécificités étant fixées ensuite. « Avant même que le Gouvernement évoque le prêt de personnel, nous avons lancé une plateforme, le 26 mars. Il s’agit d’une bourse d’échange de salariés baptisée “Transport solidaire”. Elle a un double objectif : d’une part, permettre aux entreprises en tension de répondre aux enjeux d’approvisionnement et, d’autre part, de faciliter le maintien dans l’emploi de salariés d’entreprises défavorablement impactées » s’enorgueillit Hervé Rivalland. Pendant quinze jours, 90 entreprises ont mis à disposition 500 salariés volontaires, et 110 autres ont fait « leur marché ». Le directeur adjoint du département de l’action professionnelle ajoute : « Comme nous n’étions pas là pour fliquer les échanges, l’outil est dépourvu de données de traçage. Nous ne connaissons donc pas les entreprises qui ont travaillé ensemble. Ce qui est tangible, en revanche, c’est que les demandes sont venues de l’agroalimentaire et que parmi les demandeurs figuraient beaucoup de Bretons. »

Laurianne Raveau est présidente de L-Transport, entreprise située dans l’Essonne (Île-de-France) qui approvisionne les centrales de matériaux (terrassement, enrobé) : « Mes treize salariés étaient au chômage partiel. Avec leur accord, je les ai inscrits sur la plateforme créée par l’AFT. Elle est très simple d’utilisation : il suffit de renseigner la localisation de l’entreprise, son numéro de Siren, le nombre de salariés disponibles… » explique-t-elle. Si cette dirigeante n’a pas eu l’occasion de prêter ses salariés, elle n’exclut pas de se tourner, de nouveau, vers Transport solidaire pour emprunter un chauffeur cette fois-ci, l’activité ayant repris. Pour elle, « la plateforme est un moyen de montrer au Gouvernement que, sur le terrain, les entreprises se retroussent les manches, contrairement aux propos tenus par Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, qui décrivait des entreprises défaitistes et passives ». Cyril Duval est magasinier cariste depuis 22 ans chez Scania, usine angevine de production de camions qui emploie 750 personnes. À partir du 17 mars, Scania a activé le dispositif d’activité partielle. Également délégué syndical CFDT et secrétaire du syndicat des métaux du Maine-et-Loire, Cyril Duval fait partie des 48 salariés au chômage partiel volontaires pour prêter main-forte à l’usine voisine Kolmi, en surcharge. Cette entreprise de Saint-Barthélemy-d’Anjou, qui fabrique des masques chirurgicaux et respiratoires a, dans le cadre de la crise sanitaire, été réquisitionnée par l’État et fonctionne désormais 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Elle avait un besoin urgent d’opérateurs de production et de personnels d’encadrement.

Solidarité.

Parmi les volontaires, seules quatre personnes ont été retenues : deux managers et deux techniciens de maintenance, dont l’un connaissait déjà les machines. Dans cet exemple encore, tout a commencé bien avant la crise sanitaire. En juin 2019, l’Agence de développement du territoire angevin (Aldev) lance Partageons nos compétences, une plateforme, qui permet à une communauté d’entreprises de travailler ensemble.

Pour Cyril Duval, se porter volontaire était naturel : « La solidarité fait partie des valeurs syndicales. Je suis, par ailleurs, quelqu’un qui n’aime pas rester inactif. De plus, Kolmi produit du matériel médical et, par conséquent, respecte scrupuleusement les mesures d’hygiène. Nous étions donc tous rassurés. » Il ajoute qu’à aucun moment, l’argent n’a été la motivation première.

La collaboration entre Scania et Kolmi a duré trois semaines. Des deux côtés l’expérience a été positive, comme l’explique Karine Desgages, la DRH de Scania : « Un de nos managers, spécialiste en méthode de gestion de la production, a apporté des améliorations chez Kolmi. À l’inverse, nous nous sommes inspirés de leur expérience en matière de mesures de distanciation pour mettre en place notre zone fumeurs. » L’agilité des entreprises a été remarquable : « Le jeudi soir, les contrats étaient envoyés. Le vendredi matin, nos salariés commençaient à travailler chez Kolmi », se félicite Karine Desgages.

Un projet contesté.

Le prêt de salariés ne ravit cependant pas tout le monde. La fermeture des magasins de vêtements a mis au chômage partiel les vendeuses et autre personnels des boutiques Zara (groupe Inditex), soit 10 000 personnes au total. À l’opposé, une enseigne comme Monoprix (du groupe Casino), dont le taux d’absentéisme a frôlé les 40 % selon la CGT, manque de main-d’œuvre. Ses ventes ayant augmenté de 45 voire de 50 % dans des départements comme le Lot, l’Ariège, les Landes ou les Pyrénées Atlantiques, selon Nielsen, notamment en raison de l’arrivée de Parisiens venus se confiner au vert, Monoprix a songé faire appel aux salariés de Zara pour pallier cette surcharge de travail, indique Élodie Ferrier, secrétaire fédérale de la branche commerce et services CGT, et employée chez Zara. Mais la jeune femme a contesté ce projet : « Pourquoi faire appel à des salariés qui ont la chance de bénéficier du chômage partiel et ne pas recourir à des chômeurs ? Cela serait plus solidaire.

Solidaire du point de vue de la CGT mais pas de celui du Gouvernement qui cherche à réduire la voilure du chômage partiel, mesure coûteuse qui compte désormais 12,4 millions de salariés.

Auteur

  • Irène Lopez