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Le Covid-19 n’est pas encore une maladie professionnelle

Décodages | Santé au travail | publié le : 01.06.2020 | Judith Chétrit

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Le Covid-19 n’est pas encore une maladie professionnelle

Crédit photo Judith Chétrit

La reconnaissance du Covid-19 en maladie professionnelle est une question juridique autant que politique. Les syndicats sont déjà montés au créneau. Débats en vue.

« Un soignant n’aura pas à démontrer qu’il a été contaminé sur son lieu de travail. » En quelques mots, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a ouvert un débat qui n’est pas près de se clore, mêlant ce que l’on considère comme relevant de la santé publique et de celle au travail. Fin avril, il a annoncé la reconnaissance automatique du Covid-19 en maladie professionnelle pour les personnels de santé travaillant en ville, à l’hôpital ou dans des Ehpad et ayant contracté le virus, qui sont surreprésentés parmi les personnes contaminées. Au travers de cette reconnaissance, Olivier Véran a donc ouvert la possibilité de bénéficier d’une prise en charge intégrale des frais médicaux et d’une compensation de la perte de salaire par une indemnisation dans l’hypothèse d’une incapacité temporaire ou permanente ainsi que d’une rente en cas de décès pour les proches.

Alors que ni les modalités pratiques de cette reconnaissance automatisée ni le périmètre exact des métiers retenus derrière l’appellation « soignants » ne sont encore connus, la réponse de plusieurs syndicats et associations n’a pas tardé : la CFDT a déploré une « approche en silo », tandis que la CGT a pointé « tous les autres salariés laissés au bord de la route qui ont dû se déplacer et aller au travail à la demande de leur employeur pendant la période ». Si une grande partie des décès et des formes sévères de la maladie frappent surtout des personnes qui ont dépassé l’âge de la retraite, l’activité professionnelle non confinée a pu participer à la propagation de l’épidémie. En somme, selon les syndicats, pourquoi y aurait-il une différence de traitement avec les autres salariés ou agents du public et du privé ayant exercé au plus fort de la pandémie dans des activités considérées comme essentielles telles que la distribution alimentaire, l’aide à domicile, la sécurité, l’entretien de locaux ou le ramassage des ordures ? « La société a également une dette vis-à-vis d’eux si leurs vies ont été mises en jeu », soutient Alain Bobbio, secrétaire de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva), montée au créneau pour défendre l’idée d’un fonds (lire page suivante). L’extension de la reconnaissance a également été réclamée dans une recommandation de l’Académie de médecine. Côté ministères, le message est bien passé mais la réponse à cette « question technique, complexe, très importante pour le pays » est plutôt renvoyée vers le droit commun. Elle devrait être prochainement arbitrée, semble-t-il directement au niveau de Matignon.

Procédure complexe.

Face au patronat resté silencieux sur le sujet, soucieux de contenir d’éventuels débordements de contentieux en responsabilité et augmentations de cotisations, l’ensemble des organisations syndicales semble faire front et demande une concertation sociale. Derrière ce consensus, revient la question maintes fois traitée et jamais vraiment tranchée de l’adaptation de la législation à la réparation des accidents de travail et des maladies professionnelles alors que chaque année, plus de 650 000 accidents et près de 50 000 maladies sont reconnus (88 % de ces dernières étant des troubles musculo-squelettiques) par l’Assurance-maladie. Car la démarche pour une maladie professionnelle s’apparente à une procédure longue et complexe, dépassant souvent les trois à six mois réglementaires à l’issue desquels la caisse doit statuer. « Il y a déjà un phénomène massif de sous-déclarations des maladies professionnelles », rappelle Alain Bobbio. « Dans certaines entreprises, ce sont quasiment des accidents collectifs de travail, énonce l’avocat spécialisé Jean-Paul Teissonnière. Le système actuel est inadapté au Covid-19. Cela risque d’être une procédure épuisante et décevante pour les familles. »

Résultant d’une longue négociation avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct), cette reconnaissance passe habituellement par une inscription à la nomenclature des maladies professionnelles (plus de 170 tableaux pour le régime général et agricole) qui allège une partie de la charge de la preuve incombant aux salariés concernés ou à leurs ayants droit, en cas de décès. Devant les caisses d’Assurance-maladie qui instruisent les procédures, ceux-ci doivent prouver l’existence d’une maladie souvent lente et progressive mais sans avoir à démontrer que la pathologie a un lien – déjà reconnu donc – avec leur environnement professionnel ou avec leurs conditions de travail. « Même amender un tableau déjà existant, cela prendrait 12 à 18 mois », affirme Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la CFDT.

Sauf que, faute d’inscription à un tableau comme c’est actuellement le cas pour le Covid-19, les dossiers arriveraient devant les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, qui procèdent à une expertise individuelle. Pour y obtenir gain de cause, il faut établir un lien de causalité entre le travail et l’exposition à la maladie qui doit avoir engendré des séquelles et une incapacité d’au moins 25 %. À titre de comparaison, le taux d’avis favorables se stabilise autour de 40 % depuis plusieurs années, avec une augmentation de cas reconnus hors tableau du fait de la mise en place d’une notion d’incapacité temporaire prévisible. Dans le cas du Covid-19, alors que les données sur le virus restent parcellaires, il est question de pertes musculaires et de séquelles respiratoires, neurologiques ou cognitives sur des patients sortis de réanimation et en convalescence. Mais il est encore très difficile de les relier à un taux d’incapacité. D’où la demande de la CFTC de l’abaisser à 10 %. « En pratique, le taux d’incapacité de 25 % a déjà été édulcoré avec la souplesse que permet désormais la notion d’incapacité prévisible. Cela évoluera sans doute en fonction des connaissances sur la maladie », avance Bruno Fieschi, avocat associé du cabinet Flichy Grangé.

Témoignages et dossiers.

La donne pourrait être différente pour les personnes décédées, à l’image du cas d’un manutentionnaire intérimaire d’Adecco à Roissy, mort à 56 ans le 7 avril. À la demande de sa famille, deux syndicats se sont mis en relation avec un avocat pour la suite des procédures accident de travail-maladie professionnelle. Ses premiers symptômes étaient apparus quelques jours après la fin de sa mission au sein de la société ARS, le 15 mars – soit la veille du confinement. Agent de piste, il déchargeait les bagages et le fret en soute des avions. « On attend encore son dossier médical. On sait qu’il a travaillé sans masque sur des avions en provenance de Chine et d’Italie jusqu’à la mi-mars. Il travaillait en horaires décalés et venait en voiture, ce qui diminue les autres sources de contamination », plaide Tayeb Khouira de Sud aérien, qui a commencé à récolter des témoignages parmi ses collègues et qui attend les résultats de deux enquêtes demandées par des élus du CSE.

Parallèlement, même si l’heure est plutôt à la prise de renseignements, plusieurs syndicats enjoignent à des salariés de constituer des dossiers pour déclarer plutôt un accident de travail dont la prise en charge est également assortie d’une prescription de deux ans. Comme pour tout accident de travail dont la reconnaissance a été bornée par la Cour de cassation, il faudrait d’abord déterminer les circonstances de la contamination. Est-ce qu’il est possible de dater avec certitude ce « traumatisme soudain survenu » ? Et comment être certain que la personne a été infectée dans le cadre de son travail, de son trajet depuis et vers son domicile, ou bien dans sa vie privée ? « On a déjà identifié que certains médecins sont peu enclins à remplir des arrêts pour accident de travail ou pour maladie professionnelle lorsque les patients ne travaillent pas dans le milieu hospitalier », indique Laurent Paté, avocat qui a créé, avec d’autres pairs, une association à Metz pour accompagner les victimes. Sachant que la période d’incubation du virus peut différer d’une personne à une autre, tout l’enjeu est de réunir suffisamment de preuves pour relier l’imputabilité de cette contamination au temps et au lieu de travail. En 1969, un arrêt de la Cour de cassation avait refusé de reconnaître la contamination à la poliomyélite d’un médecin hospitalier comme accident du travail. Ce qui explique les recommandations d’avocats d’employeurs, comme Bruno Fieschi, qui, consulté, a conseillé de joindre « une lettre de réserves circonstanciées » à la déclaration transmise à l’Assurance-maladie, rappelant le caractère multifactoriel du virus et les mesures mises en place dans l’entreprise.

Au-delà de ces premières interrogations, certains syndicats et associations de victimes envisagent de constituer des dossiers en ordre dispersé pour des reconnaissances en faute inexcusable de l’employeur auprès du pôle social du tribunal de grande instance, calqué sur le modèle de l’ancien tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS). Voire pour préjudice d’anxiété, une piste loin d’être écartée après la dernière jurisprudence de la Cour de cassation remontant à l’automne 2019. Ce préjudice a surtout été reconnu pour des salariés exposés à l’amiante sans qu’ils aient forcément développé une maladie. Mais il a été étendu aux salariés exposés à toute autre substance toxique recensée pouvant avoir des effets graves sur la santé et qui pourrait nourrir une « situation d’inquiétude permanente », sous réserve d’avoir démontré un manque de protection de la part de l’employeur avec, par exemple, des rapports de l’Inspection du travail, un document unique incomplet ou des témoignages. De telles actions peuvent, en cas de succès, engendrer des indemnisations complémentaires. « À condition d’être déjà passé par un parcours du combattant puisqu’il faut d’abord obtenir la reconnaissance du caractère professionnel de la contamination devant la caisse d’Assurance-maladie », souligne Pierre-Yves Montéléon, chef de file santé et sécurité au travail pour la CFTC, qui estime à environ 5 000 le nombre de salariés pour qui le Covid « a eu des conséquences ». Ailleurs en Europe, le débat s’est aussi posé. Si l’Italie et l’Allemagne ont déjà reconnu la maladie professionnelle pour les personnels de santé, la Belgique a annoncé que l’instruction des dossiers par l’Agence fédérale des risques professionnels sera élargie aux autres travailleurs dans des secteurs essentiels, à condition que l’incapacité de travail dure au moins une quinzaine de jours.

La piste d’un fonds d’indemnisation

À l’instar d’une proposition de loi déposée par deux députés, des voix militent pour la création d’une commission et d’un fonds d’indemnisation spécifiques avec des critères d’éligibilité. Cela existe déjà pour les victimes de l’amiante avec le Fiva, qui a traité plus de 100 000 dossiers depuis 2001, ou pour les accidents médicaux, avec l’Oniam. « Si les dés ne sont pas déjà jetés, c’est un moyen d’avoir une réparation intégrale et rapide », suggère Sophie Crabette, chargée de mission action revendicative à la Fnath, une association de défense des accidentés de la vie. La CFDT, qui soutient cette piste, y voit aussi un moyen d’échapper à la multiplication des recours en justice. À la différence de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, actuellement excédentaire, qui est uniquement financée par les cotisations des employeurs au prorata de la gravité et de la fréquence des sinistres survenus, ce fonds canaliserait l’ensemble des demandes et pourrait être en partie abondé par l’État. « Il y a un certain nombre de fautes manifestes de l’État qui ont été pointées sur l’absence de plan de gestion, sur celle de stocks de matériel et sur une communication qui a été relativement erratique quant au port des masques », argumente Christian Hutin, député du Nord et membre du groupe socialiste. Le dispositif pourrait aussi s’ouvrir à d’autres catégories et situations non couvertes par la branche, comme les retraités, les indépendants, les autoentrepreneurs, les bénévoles, ou même les membres de la famille d’un professionnel contaminé qui développeraient une forme grave de la maladie. « Si à chaque fois on crée un fonds d’indemnisation, cela ne répondra pas à la nécessité d’une amélioration substantielle des réparations des atteintes au travail et d’une remise à plat de la reconnaissance en maladie professionnelle », estime cependant Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé.

Auteur

  • Judith Chétrit