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Le dialogue social plutôt renforcé par la pandémie

Décodages | Négociation | publié le : 01.05.2020 | Benjamin d’Alguerre

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Le dialogue social plutôt renforcé par la pandémie

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

La crise pandémique donne une nouvelle dynamique au dialogue social. Tant au niveau interprofessionnel, puisque les organisations syndicales et patronales ont eu leur mot à dire sur les mesures d’urgence, qu’à l’échelle des entreprises, où directions et représentants du personnel doivent apprendre à se parler – à distance – pour gérer la période de confinement et préparer la reprise.

Pendant le confinement, le dialogue social a continué… avec les moyens du bord. Faute de pouvoir s’asseoir à la même table, employeurs et représentants des salariés se sont massivement et en urgence convertis aux vertus de Teams, WhatsApp ou autres Skype pour tenir leurs réunions. Fin mars, le ministère du Travail est venu donner un coup de main aux partenaires sociaux dans les entreprises en les autorisant par ordonnance à tenir des réunions CSE distantielles à volonté, là où la loi Rebsamen d’août 2015 limitait auparavant ce mode de rencontre à trois par an. « Avant cette crise, les calls pour des réunions entre la direction et les syndicats ou pour des CSE étaient des événements exceptionnels limités aux situations d’urgence, plutôt pour de la descente d’information, témoigne Jean-Christophe Sciberras, directeur des relations sociales groupe chez Axa. Aujourd’hui, par la force des choses, tout se fait à distance : le dialogue social, les informations-consultations et même les négociations. Et on est tous surpris de constater que cela marche plutôt bien ! » « Certes, il s’agit de relations sociales en mode dégradé, mais au moins, on se parle, on échange, y compris le week-end si la situation l’exige », confirme Bernard Bosc, coordinateur syndical national CFDT au sein du groupe d’assurances. Nécessité faisant loi, même les directions les plus hostiles à la téléconférence s’y sont mises, à marche forcée, du moins partout où la bande passante disponible et la capacité des serveurs informatiques le permettent. Renault, ArianeGroup, Lafarge, Michelin, Alstom ou la SNCF ont monté leurs cellules visio, pouvant même organiser des rassemblements à distance impliquant parfois jusqu’à une centaine de personnes. Chez RTE, le réseau d’acheminement de l’électricité en France, direction et organisations syndicales ont encadré la pratique de ce dialogue social à distance par un accord signé le 20 mars, trois jours après le début du confinement. Ailleurs, et notamment dans les PME, on agit de façon plus informelle, sans que l’organisation des webconférences et autres calls collectifs ne soit nécessairement bordée par un texte. « On fait du cousu main la plupart du temps. On ne formalise pas forcément comme on le devrait, mais on essaye de faire du pratico-pratique au plus près du terrain », détaille François Asselin, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CPME).

La place des syndicats renforcée.

« Tout le monde a été surpris par l’irruption de cette crise, explique Frédéric Guzy, directeur du réseau Entreprise &Personnel. Du coup, pendant la première quinzaine de confinement, directions et syndicats ont énormément échangé sur les sujets les plus urgents qui concernaient surtout les conditions de travail et la sécurité sanitaire. Bien que souvent réalisé dans un cadre qui était tout sauf institutionnel, ce dialogue social s’est révélé particulièrement riche. Ce n’est qu’aux alentours de la fin mars que chacun s’est repositionné dans son rôle traditionnel de dirigeant ou de représentant des salariés. » À ce titre, les organisations syndicales se sont montrées particulièrement attentives aux ordonnances portant mesures d’urgence publiées par le ministère du Travail. Notamment à celle offrant aux employeurs la possibilité unilatérale d’imposer aux salariés de déposer jusqu’à dix jours de RTT ou de congé inscrits sur leurs comptes épargne-temps (CET) pour compenser la période passée en chômage partiel. Si cette disposition a été acceptée de mauvaise grâce par les représentants des salariés, ceux-ci se sont en revanche élevés contre toute tentative de piocher dans les congés payés sans accord du CSE. « Autant on peut comprendre la nécessité d’efforts particuliers visant à faire redémarrer l’activité économique dès le lendemain de la crise pour limiter les destructions d’emploi, autant il est hors de question de laisser les entreprises décider seules d’amputer les congés payés des salariés sans que cela ait été formalisé avec les IRP ! » résume Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la CFDT. Ce jalon syndical ayant été posé, le ministère du Travail a joué le jeu de la concertation, choisissant de consulter les partenaires sociaux en amont de toutes les ordonnances de crise. « Sur la question de l’activité partielle, des congés, des horaires ou de la santé au travail, la place des organisations syndicales s’est vue renforcée pendant la crise. Que ce soit au niveau des entreprises, des branches ou de l’interprofessionnel », analyse Jean Grosset, directeur de l’Observatoire du dialogue social de la Fondation Jean-Jaurès.

Pragmatisme.

Recentré sur des questions très concrètes de santé, de sécurité, de primes, de maintien de l’activité ou de chômage partiel, ce dialogue social de crise a su la plupart du temps s’affranchir de ses oripeaux dogmatiques. « Une forme de pragmatisme général a remplacé l’idéologie », constate Frédéric Guzy. Pour preuve, les positions jugées doctrinales n’ont pas fait recette, qu’il s’agisse des préavis de grève déposés par les fédérations CGT du commerce et de la fonction publique ou de l’appel lancé le 11 avril par Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, pour une augmentation du temps de travail post-déconfinement. Ce dernier a même dû rétropédaler quelques jours plus tard. « Roux de Bézieux s’est pris les pieds dans le tapis à vouloir imposer une reprise économique en laissant entendre qu’il ne se souciait pas de la santé des salariés, ce qui n’est bien entendu pas le cas. Il a été maladroit », commente Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha. Il n’est pas le seul : Amazon France qui voulait orchestrer en solo le management du travail s’y est cassé les dents face à des IRP déterminées… et face à la justice. Plus subtils, d’autres patrons ont su ménager la susceptibilité de leurs instances en les associant au processus de reprise. Chez Michelin, la poursuite de l’activité au sein de certains sites ou la réouverture progressive de lignes de production ont été conditionnées par les termes d’un accord signé par la plupart des organisations syndicales. « Les commissions sécurité et santé au travail pourront faire autant de visites de site que nécessaire pour s’assurer que les salariés travaillent dans de bonnes conditions sanitaires, et n’importe quel travailleur peut faire valoir son droit de retrait s’il s’estime en danger », détaille Chris Boyer, élu CSE CFE-CGC chez Bibendum.

Culture sociale.

Pour autant, malgré une embellie certaine du dialogue social, il serait illusoire de croire à une conversion massive des employeurs aux vertus de la concertation avec les représentants des salariés. « Les entreprises et les branches qui maintiennent un haut degré de dialogue social pendant la crise sont celles qui le pratiquaient déjà à haute intensité », rappelle Christian Pellet, président du cabinet Sextant Expertise. De fait, le monde des PME-TPE n’a pas vraiment été concerné par cette frénésie de concertations. Sans surprise, le recensement des accords sur l’activité partielle ou sur les congés conclus pendant la crise tend à démontrer que ce sont les branches et les entreprises les mieux capées en la matière qui se sont le plus impliquées. À l’image de la métallurgie, où, en un temps record, l’UIMM et trois syndicats (CFDT, CFE-CGC et FO) ont négocié et signé un accord sur les RTT pendant que les grands groupes du secteur, PSA et Renault en tête, fignolaient des textes mettant en place des « fonds de solidarité » alimentés par les jours de repos des cadres pour compenser ceux des ouvriers ou que d’autres, tels Daher et Bosch, instauraient des rémunérations du chômage partiel supérieures au minimum légal. « Quand les branches ont joué le rôle d’aiguillon, les entreprises ont suivi », résume Jean Grosset. En revanche, là où la culture sociale est moins partagée, les employeurs ont généralement conservé la main. Ainsi, la politique de primes instaurée dans la grande distribution pour les salariés restés fidèles au poste pendant la pandémie répondait à une quasi-injonction de Bercy davantage qu’à une demande des organisations syndicales. Chez Axa France où le chômage partiel n’a pas été mobilisé, l’employeur a choisi de sa propre initiative d’assurer 100 % de la rémunération des salariés absents… mais en leur imposant unilatéralement de sept à dix jours de congé pris sur leurs RTT ou sur leur CET. « Les employés n’y perdent pas financièrement… mais c’est frustrant de ne pas avoir pu négocier là-dessus », reconnaît Bernard Bosc.

Les sujets de l’après-crise.

La fin du confinement risque de charger les agendas des représentants des salariés. L’emploi et les inévitables PSE consécutifs à l’arrêt ou à la réduction de l’activité des entreprises figureront sans doute en haut de la pile, mais la santé au travail devrait aussi être au programme, selon Pierre Ferracci. « C’est un débat qui va s’imposer non seulement dans l’entreprise, mais dans toute la société. Employeurs et syndicats devront s’y atteler pour trouver des compromis en bonne intelligence afin de permettre le redémarrage de l’économie, mais sans mettre en danger la santé des salariés. Si ces derniers viennent à penser que les entreprises se redressent sur leur dos, on pourrait revoir des épisodes d’explosion sociale… dont seule l’extrême droite sortirait gagnante », prévient le président du Groupe Alpha. Le président du Medef, qui avait proposé une négociation en ce sens aux autres partenaires sociaux en janvier dernier, pourrait se saisir de l’opportunité pour remettre le sujet au cœur des débats. Mais d’autres questions devraient s’inviter, comme le télétravail qui pourrait devenir un mode de fonctionnement plus répandu dans les entreprises. « Certains secteurs comme le transport ou la grande distribution ne feront pas l’économie de discussions sur le partage de la valeur ajoutée et sur la valorisation des métiers. La crise a démontré que certains métiers parmi les plus dévalorisés, comme chauffeur routier, livreur ou caissier, étaient indispensables au fonctionnement de la société », note Frédéric Guzy. Quant à la relocalisation de certaines industries, elle pourrait là encore susciter un certain nombre de négociations portant sur la formation et sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. À condition que « business as usual » ne redevienne pas la règle.

CHSCT : le grand absent ?

C’est une antienne entendue côté syndical dès les débuts de la pandémie : la disparition des CHSCT à la suite des ordonnances travail de septembre 2017 aurait contribué à aggraver la situation sanitaire dans les entreprises. Pour Frédéric Guzy, le débat n’est pas là, le CSE ayant récupéré les attributions du comité disparu. « Les CHSCT dysfonctionnaient et étaient utilisés par certaines organisations syndicales comme une source de blocage décisionnel », avance le directeur d’Entreprise &Personnel. Pour Jean-Christophe Sciberras, directeur des relations sociales groupe chez Axa, ces comités avaient leur utilité, mais « l’essentiel de leurs préoccupations concernait la sécurité, et très peu les questions d’hygiène. Aujourd’hui, les CSE et les commissions SSCT abordent des sujets tels que la fourniture de masques, de gels hydroalcooliques ou la refonte de l’organisation physique des postes de travail du fait des exigences de distanciation sociale et de respect des gestes barrière. Le rôle des CSSCT est ainsi étendu ». À la CFDT, on ne regrette pas l’instance en tant que telle, mais la spécialisation des élus qui y siégeaient. « Le problème avec le CSE, c’est qu’on y parle essentiellement de sujets économiques. Les autres questions sont souvent reléguées en fin d’ordre du jour. Et avec la réduction du nombre d’élus consécutif aux ordonnances travail, nombre de CSE ne disposent plus forcément des spécialistes nécessaires pour assurer correctement les missions liées aux questions sanitaires », regrette-t-on à Belleville.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre