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Pascal Lokiec : Préserver l’effectivité de la représentation du personnel

Idées | Juridique | publié le : 01.04.2020 |

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Pascal Lokiec : Préserver l’effectivité de la représentation du personnel

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Critiquée comme excessivement complexe et source d’entraves parfois inutiles au fonctionnement de l’entreprise, la représentation du personnel a connu d’importantes réformes ces dernières années : instauration de délais préfix de consultation, suppression du CHSCT, mise en place du CSE, etc. Si on ne connaît pas encore la totalité des impacts du CSE sur la représentation des salariés dans les entreprises, notamment son impact sur la santé et la sécurité, ces évolutions ont obligé la jurisprudence à s’adapter pour préserver l’effet utile de la représentation du personnel. Un effet utile protégé par des normes supranationales, notamment l’article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 4 de la directive 2002/14 CE du 11 mars 2002, qui exigent que la représentation, notamment dans sa fonction d’information-consultation, ait lieu à la fois « en temps utile » et « aux niveaux appropriés ».

1. « En temps utile »

L’effectivité de la représentation du personnel implique, en premier lieu, que celle-ci ait lieu au moment approprié. par une attention portée au moment de la consultation. L’enjeu est tout sauf théorique puisque faute de consultation du CSE, l’employeur risque de voir son projet suspendu et s’il est trop tard pour suspendre, de devoir payer des dommages et intérêts, outre une condamnation pour délit d’entrave.

Le temps utile, c’est d’abord une consultation préalable à la décision sauf le cas du lancement d’une offre publique d’acquisition, qui exige une confidentialité renforcée. Pour reprendre les termes de l’article L. 2 312-14 du Code du travail, « les décisions de l’employeur sont précédées de la consultation du comité social et économique ». Que faut-il entendre par là ? L’employeur ne doit pas attendre la décision définitive, celle sur laquelle on ne peut revenir en arrière, mais consulter au stade du projet, même si celui-ci est formulé en termes généraux. Plus précisément, un projet doit être soumis à consultation du CSE lorsque son objet est assez déterminé pour que son adoption ait une incidence sur l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, juge la Cour de cassation (Cass. soc., 12 nov. 1997, no 96-12.314).

Le temps utile, c’est aussi une consultation qui ne s’éternise pas mais qui dure suffisamment longtemps pour permettre au CSE de se prononcer sur la base des informations adéquates. On rappellera que la loi Sapin du 14 juin 2013 a fixé des délais préfix de consultation du comité d’entreprise, désormais CSE, afin de répondre aux stratégies de « blocage » des comités d’entreprise, à qui on reprochait de retarder le rendu de l’avis dans le but de retarder d’autant la mise en œuvre du projet. Comme l’a montré la pratique, ces délais peuvent aboutir à priver d’effet utile la consultation si, au moment où le comité est réputé avoir rendu son avis, il n’a pas reçu les informations adéquates. D’où deux limites, qu’a très récemment posées la Cour de cassation.

D’une part, le délai de consultation ne commence à courir qu’à compter du moment où le comité a reçu un minimum d’informations, celles qui lui permettent d’apprécier l’importance de l’opération envisagée par la direction.

D’autre part, le délai peut être prolongé « en cas de difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation de l’avis motivé du comité d’entreprise ». Cette possibilité, ouverte par le Code du travail, s’est cependant heurtée à un obstacle, dans un arrêt très remarqué du 21 septembre 2016 : avec les délais de justice, le juge peut être amené à statuer sur la demande de communication de pièces après l’expiration des délais de consultation. Si on peut comprendre que cette demande échoue lorsque le juge est saisi alors que le délai préfix a expiré, l’effet utile est fortement malmené si la saisine a eu lieu dans le délai ! La pratique consistant à saisir le comité très tôt, quelques jours après le départ du délai, afin d’être sûr que le juge statuera dans le délai, ne peut pas être la solution ! D’où l’intérêt de la solution apportée par l’arrêt du 26 février 2020 (n° 18-22759) : la saisine du juge avant l’expiration du délai permet au juge, dès lors que celui-ci retient que les informations nécessaires à l’institution représentative du personnel et demandées par cette dernière pour formuler un avis motivé ne lui ont pas été transmises (ou n’ont pas été mises à disposition dans la BDES), d’ordonner la production des éléments d’information complémentaires et, en conséquence, de prolonger ou de fixer le délai de consultation. Bien entendu, cette solution suppose que le juge soit saisi alors que le délai de consultation n’a pas encore expiré. Elle présente aussi l’intérêt de rappeler l’importance de l’information-consultation du CSE, qui ne peut être réduite à la simple émission d’un avis, en principe dépourvu de toute portée juridique.

2. « Aux niveaux appropriés »

L’effectivité de la représentation du personnel suppose, en second lieu, que les instances interviennent au lieu adéquat. Sur cette question, le droit du travail a fait preuve d’un pragmatisme à toute épreuve en dépassant allègrement les frontières de la personnalité morale. Ce dépassement s’est traduit, d’abord par la reconnaissance de liens entre plusieurs entreprises pourtant distinctes. Au plus fort, ce lien se concrétise dans la création d’une unité économique et sociale qui conduit, entre deux entreprises unies par une concentration des pouvoirs de direction, un statut collectif commun, une permutabilité du personnel, des conditions de travail similaires, etc., à obliger à organiser des élections et mettre en place un CSE, lorsque les seuils d’effectifs sont atteints. Autre illustration de ce dépassement des frontières de la personnalité juridique, la reconnaissance d’établissements distincts lesquels impliquent, eux aussi l’organisation d’élections et la mise en place d’un CSE, ou encore la possible désignation de délégués syndicaux. Leur définition a été revue par les ordonnances de 2017 puisque, faute d’accord collectif, l’employeur doit reconnaître des établissements distincts dès lors qu’est constatée l’autonomie de gestion du responsable d’établissement. La Cour de cassation est venue préciser qu’une telle autonomie doit être reconnue même si certaines compétences en matière budgétaire et de gestion du personnel sont centralisées au niveau du siège (Cass. soc., 22 janvier 2020, nº 19-12.011).

Étant donné la disparition des CHSCT, qui étaient implantés au niveau des établissements pour être au plus près du terrain, la définition des prérogatives des CSE d’établissement en matière de santé et sécurité constitue un autre enjeu central. Rappelons en effet que les questions de santé et sécurité sont désormais prises en charge par les CSE, soit par la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) lorsqu’elle existe soit, à défaut, par le CSE directement. Comme cela sera sans doute souvent le cas, il va falloir transposer des solutions rendues sous l’empire des anciennes instances, comme celle rendue le 5 février 2020 à propos de l’Instance temporaire de coordination des CHSCT (ICCHSCT) qui permettait à l’employeur, en présence d’un projet commun à plusieurs établissements dotés de CHSCT, de mettre en place une instance spéciale en vue de l’organisation d’une expertise unique. À la question de savoir si, lorsque l’ICCHSCT diligentait une expertise pour projet important, les CHSCT des établissements pouvaient lorsque le projet a des conséquences spécifiques dans l’établissement, diligenter une expertise pour risque grave, la Cour de cassation répond par l’affirmative (Cass. soc. 5 février 2020, n° 18-25131). Ce avec un raisonnement qui sera parfaitement transposable au CSE. Avec ce nouvel arrêt, le CSE d’établissement pourra demander une expertise risque grave alors même que, dans le même contexte, le CSE central aura diligenté une expertise projet important. L’enjeu est d’autant plus significatif que l’expertise risque grave est, au contraire de l’expertise projet important, financée à 100 % par l’entreprise.

Un arrêt récent du 26 février 2020 pose la question du périmètre du CHSCT sous un autre angle, totalement inédit, et tout aussi transposable au CSE, avec un enjeu majeur tant les salariés intérimaires sont exposés à un risque important en termes de santé et sécurité. L’avocate générale dans cette affaire, Anne Berriat, a d’ailleurs souligné, dans ses conclusions, que les intérimaires ont un taux d’accidents du travail en hausse avec une moyenne de 53,6 pour 1000 en 2017 alors que le nombre des accidents du travail est stable et s’établit en moyenne à 33,4 pour 1 000 salariés. La question posée est la suivante : le CHSCT de l’entreprise d’intérim peut-il diligenter une expertise pour un risque grave encouru par ses salariés intérimaires au sein de l’entreprise utilisatrice ? On pourrait considérer que, l’entreprise utilisatrice étant celle à qui il incombe de prendre les mesures nécessaires à la protection de la santé et la sécurité des travailleurs intérimaires travaillant en son sein, le CHSCT de l’entreprise intérimaire doit rester hors jeu. C’est sans compter avec les risques d’inaction du côté de l’entreprise utilisatrice, ce d’autant plus que depuis les ordonnances de 2017, les travailleurs mis à disposition d’une entreprise utilisatrice, ne sont pas éligibles au sein du CSE de cette entreprise ! D’où la solution de la Cour de cassation qui permet au CHSCT de l’entreprise d’intérim de diligenter une expertise si l’entreprise utilisatrice ne prend pas de mesures, et si le CHSCT de l’entreprise utilisatrice ne demande pas une expertise (Cass. soc., 26 février 2020, n° 18-22556).

On ne peut que se féliciter de voir la Cour de cassation soucieuse, par ses derniers arrêts, de préserver l’effet utile d’une représentation du personnel dont les bases ont été fortement secouées ces dernières années. Si un certain nombre de questions restent à trancher (par exemple : de quelle marge de manœuvre disposent les partenaires sociaux pour aménager les compétences de la CSSCT sachant qu’il est précisé qu’elle ne rend pas d’avis et ne désigne pas l’expert ?), le paysage comment à s’éclaircir.