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Enquête sur les travers des primes

Idées | Livres | publié le : 01.04.2020 | Lydie Colders

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Enquête sur les travers des primes

Crédit photo Lydie Colders

La sociologue Sophie Bernard questionne la face cachée des primes, qui « fragilisent » la condition des salariés en CDI. À travers une enquête menée dans deux entreprises, elle montre un système créant, au nom de la performance, de « profondes injustices ».

Si actuellement les débats sont focalisés sur l’ubérisation, la sociologue Sophie Bernard attire l’attention « sur la déstabilisation au cœur même du salariat ». L’individualisation grandissante des rémunérations (primes d’objectif, intéressement) est révélatrice d’une « idéologie patronale et des valeurs individualistes et méritocratiques qui irriguent l’ensemble de la société », souligne-t-elle. Et un moyen pour les employeurs de promouvoir l’engagement et la responsabilisation des salariés. Mais cette incitation « à faire son salaire » est-elle réellement si motivante ? Et surtout, est-elle équitable ? À travers cette enquête fouillée, réalisée dans la grande distribution et dans le milieu bancaire, la chercheuse dévoile un système qui peut vite se retourner contre les salariés et s’avérer injuste.

La première étude, réalisée dans un hypermarché en banlieue parisienne, est édifiante quant aux politiques d’intéressement et d’actionnariat salarié. Au travers de nombreux entretiens (caissières, chefs de rayon, DRH ou syndicalistes), la sociologue montre que cette politique déjà ancienne dans cette enseigne a certes mené les employés, « aux salaires collés au plancher du Smic », à se « percevoir comme associés aux résultats » et à s’investir sans compter. Mais, problème : depuis la crise de la grande distribution en 2018, la chute de la participation « ne permet plus de compenser les faibles salaires » des employées à temps partiel. D’où une précarité croissante (elle cite des cas de surendettement), alors que les cadres, mieux payés, sont moins affectés « par cette perte de bonus ». Inégalités selon le niveau de poste, démotivation… En période de crise, le partage des bénéfices « ne serait plus qu’un moyen de reporter les risques sur les salariés », qui prennent alors conscience de la faiblesse de leurs rémunérations, pointe Sophie Bernard.

Casse-tête

Autre aspect ambigu : les primes sur objectifs. Si, sur le principe, les salariés « ne sont pas opposés à l’individualisation des rémunérations pour récompenser leurs efforts », la chercheuse montre, grâce à une étude conduite dans une banque, que cette « méritocratie » se dilue. Ce chapitre très bien documenté vaut son pesant d’or. La sociologue dévoile une politique RH ultracomplexe de primes « qui contraint » les commerciaux « à intérioriser » d’autres contraintes, leurs salaires étant de moins en moins liés aux résultats mais au management ou à la relation client. Croisant les points de vue de la DRH, d’employés et de managers, la sociologue cible l’impossibilité pour ces derniers d’évaluer ces primes « de comportement ». Et lorsque cette banque a baissé ces budgets, « cet idéal » du mérite individuel aurait encore plus reculé, les managers cherchant alors le moins d’injustice possible, en saupoudrant les primes pour éviter les conflits. Un envers du décor éclairant.

Le nouvel esprit du salariat.

Sophie Bernard, PUF, 256 pages, 20 euros.

Auteur

  • Lydie Colders