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Comment réduire la précarité ?

Idées | Débat | publié le : 01.04.2020 |

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Comment réduire la précarité ?

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Qu’elle soit conjoncturelle – due à l’emploi, à l’âge ou à un accident de la vie – ou qu’elle résulte d’un déterminisme social plus structurel, la précarité gagne du terrain en France. Et les citoyens en ont une perception de plus en plus aiguë. Si l’État ne peut pas tout dans ce domaine, ses politiques – fiscale, budgétaire, sociale – sont censées alléger les difficultés que rencontrent ces publics. Dès lors, se pose une question…

Sandra Hoibian : Directrice du pôle évaluation et société au Crédoc.

Les principaux enseignements de notre travail nous amènent à penser que la France doit sortir de la représentation dominante de la « fracture sociale », selon laquelle il y aurait d’un côté des personnes pour qui tout va toujours bien, et de l’autre des personnes intrinsèquement fragiles. En fait, chacun peut avoir un accident de la vie et se retrouver en situation de fragilité. D’ailleurs, les deux tiers de la population se trouvent confrontés à au moins une des six situations de fragilité étudiées dans l’enquête : pauvreté monétaire, handicap ou santé dégradée, relégation territoriale, isolement et solitude, précarité professionnelle, difficultés de logement… et un tiers cumule ces divers éléments. Dans ces conditions, la politique sociale, à l’œuvre depuis une vingtaine d’années, s’appuyant sur une philosophie d’« activation » des publics dits fragiles, et qui assortit leurs droits de devoirs, tel que celui de chercher un emploi (comme le sous-entend l’intitulé du futur revenu universel d’activité, par exemple), doit évoluer vers une plus grande universalité et prêter attention à la temporalité des actions menées. Temporalité, car il faut chercher à prendre les problèmes en amont et accompagner le plus tôt possible les publics fragiles, pour éviter d’enclencher une spirale. La philosophie de l’investissement social qui consiste à agir dès la petite enfance pour favoriser la capacité d’autonomie et de résilience des individus est prometteuse. Universalité, à la fois parce que tout le monde peut être concerné par des difficultés, afin de limiter la stigmatisation des publics fragiles, et pour maintenir le consentement à la protection sociale et la solidarité : la part des prestations sociales dans les revenus des ménages a diminué d’un quart et se concentre sur les plus faibles revenus. En conséquence, les classes moyennes, s’estimant mal loties par rapport aux publics fragiles, ont du ressentiment et la notion de solidarité sociale diminue. C’est cette situation qu’il faut également changer.

Louis Maurin : Directeur de l’Observatoire des inégalités

Aider les plus modestes implique d’abord d’agir sur les causes de la pauvreté. Les politiques publiques doivent être réorientées vers la création d’emplois. Pour cela, nous avons besoin d’une action de relance conjointe économique au niveau européen. Il faut en parallèle avoir une action déterminée de lutte contre la précarité du travail, à l’inverse de ce qui est fait depuis plusieurs années. Comme le montre l’exemple allemand, la création d’emplois bas de gamme ne fait qu’alimenter la pauvreté laborieuse.

À plus long terme, on n’aidera les plus fragiles qu’en réduisant les inégalités scolaires. Pour cela, il faut changer la façon même de concevoir l’école française : réduire la concurrence entre les élèves, encourager plutôt que décourager les plus faibles, soutenir massivement ceux qui décrochent, etc.

Tout en luttant contre les causes de la pauvreté, il faut fournir à chacun un minimum qui permette de vivre dans la dignité. Avec Noam Leandri, président de l’Observatoire des inégalités, nous proposons un revenu minimum unique de 860 euros par mois pour une personne seule, soit le seuil de pauvreté à 50 %. Il supprimerait donc la grande pauvreté, personne ne se situant alors sous le seuil. Pour un coût de 7 milliards d’euros. Ce minimum élèverait le niveau de vie des plus fragiles. Il donnerait enfin le droit à une allocation aux jeunes entre 18 et 25 ans, qui sont majeurs pour voter mais pas pour bénéficier de la solidarité nationale.

La France est l’un des pays les plus riches au monde. Elle a largement les moyens d’améliorer la vie des plus modestes. La seule baisse de la taxe d’habitation va coûter 20 milliards d’euros par an à la collectivité, trois fois l’équivalent du revenu minimum unique que nous proposons. Il est temps d’arrêter l’hypocrisie sur les moyens.

Gilles de Labarre : Président de Solidarités nouvelles face au chômage.

Si l’emploi ne règle pas tout, le chômage, lui, dérègle tout. Les grands équilibres macroéconomiques comme les vies individuelles. C’est ce constat qui sous-tend en partie l’action de Solidarités nouvelles face au chômage depuis 35 ans. En pesant sur le pouvoir d’achat tout en induisant des difficultés relationnelles, au sein de la famille, par exemple, et des troubles psychologiques, le chômage est source de vulnérabilité accrue. En 2018, nous avons publié un rapport sur la santé des demandeurs d’emploi1 qui met en lumière un taux de suicide élevé et nombre de pathologies (addictions, en particulier) liées à l’inactivité professionnelle. Et depuis plus d’un an, nous avons créé un groupe de travail, auquel est associé Pôle emploi, notamment, pour proposer des solutions concrètes. Il s’agit, entre un monde associatif agile et des pouvoirs publics trop centrés sur la simple notion d’offre et de demande, de coconstruire des parcours, afin de retisser le lien social et de réduire la fracture sociétale. Au-delà d’un meilleur accompagnement des demandeurs d’emploi et d’une plus grande information sur leurs différents droits, car le taux de non-recours est élevé, nous proposons d’améliorer la couverture santé complémentaire des demandeurs d’emploi, ce qui permettrait de prendre en compte la spécificité de leurs problématiques. Notre cahier de propositions devrait être rendu public cette année. Enfin, de manière générale, il faut changer le regard sur la vulnérabilité. Et au lieu de l’ignorer, voire de la stigmatiser, reconnaître que les personnes vulnérables apportent aussi à la société. Ainsi, nos bénévoles, qui les accompagnent, enrichissent leur propre humanité au contact de ces publics fragiles.

Ce qu’il faut retenir

// Mauvaise nouvelle. Le rapport a fait grand bruit. Rendu public le 5 février dernier, le « policy brief » de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) sur le budget 20201 souligne le fait qu’« au total, ce sont près de 70 % des ménages qui bénéficieraient des mesures du budget 2020 (baisse de la taxe d’habitation, de l’impôt sur le revenu et défiscalisation des heures supplémentaires), les grands gagnants se trouvant au centre de la distribution (des revenus) et les perdants en bas et en haut de celle-ci ». Pis, depuis le début du quinquennat, « l’effet cumulé des mesures prises devrait être négatif pour les 10 % de ménages les plus modestes ». Le rapport poursuit en précisant que, outre la place occupée par les ménages dans la distribution des niveaux de vie, « leur statut d’activité (actif ou sans emploi) a été un facteur déterminant de l’effet des mesures sociofiscales sur leur pouvoir d’achat ». En d’autres termes, chômeurs et retraités ont été ceux qui ont été mis à contribution…

// Mauvaise nouvelle (bis). Selon la première édition de l’Observatoire des vulnérabilités en France, une étude CSA pour la Fondation Sanofi Espoir2 publiée en juin 2018, 25 % des Français se sentent vulnérables et près de deux tiers estiment qu’il y a une augmentation des personnes vulnérables depuis les dix dernières années. Enfin, 96 % des personnes interrogées souhaitent que la protection des personnes vulnérables soit une cause importante pour le Gouvernement.

En chiffres

14,6

C’est en millions, selon l’« État des lieux des publics fragiles », une étude publiée par le Crédoc en février dernier, le haut de la fourchette (le bas étant à 4,8 millions) quant au nombre de personnes affectées par la relégation territoriale. À cela s’ajoutent entre 7 et 8,9 millions de personnes pauvres, et entre 3,8 et 12,5 millions de personnes à la santé dégradée. Ces éléments, de même que le chômage, le mal-logement et l’isolement relationnel, ont en outre tendance à se conjuguer et à s’auto-entretenir.

Source : https://urlz.fr/c7K6

0,29

C’est, pour la France, selon les revenus après impôts et prestations sociales en espèces, le coefficient de Gini (une mesure mise au point par un statisticien italien, Corrado Gini, permettant de mesurer l’inégalité des revenus, avec un chiffre variant de 0 à 1, 0 signifiant l’égalité parfaite) en 2016. La moyenne était de 0,30 dans l’Union européenne. En Europe, seuls les Pays-Bas (0,28) et la Suède (idem) avaient un coefficient plus faible (et donc meilleur) que la France, tandis que le Royaume-Uni affichait 0,35 et l’Espagne, 0,34. En revanche, le coefficient de la France avant redistribution (0,51) était parmi les plus élevés en Europe.

Source : https://cutt.ly/utlXU74

(1) Source : https://urlz.fr/c7JR

(2) Source : https://urlz.fr/c7JN