logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Le marché se contracte

Dossier | publié le : 01.04.2020 | Judith Chétrit

Image

Le marché se contracte

Crédit photo Judith Chétrit

Si la confidentialité autour de ce mode d’intervention ponctuel reste de mise, né en France dans les années 1990, les acteurs de ce marché insistent sur la maturité du management de transition qui missionne des cadres de haut vol sur des postes stratégiques.

Une simple recherche sur LinkedIn avec les mots-clés « manager de transition » aboutit à plus de 5 500 profils qui se définissent ainsi. Incluant même ceux qui se présentent comme étant « en transition professionnelle ». Une observation de leur parcours et de leurs missions à durée déterminée, et vous remarquerez des noms d’employeurs comme Carglass, Faurecia, Randstad, les Galeries Lafayette ou encore Valeo. Mais vouloir en discuter avec une entreprise est une autre affaire… Chez cet équipementier automobile, dont le nom est même listé parmi les clients d’un cabinet spécialisé, la réponse s’apparente à un « circulez, il n’y a rien à voir » : « Nous avons une politique de gestion prévisionnelle des carrières qui assure notre capacité à disposer de successeurs potentiels. Nous avons recours au management de transision de manière exceptionnelle, deux fois seulement en 2019, lorsque aucune solution n’est disponible en temps et en heure. » Pour Sacha Tchakarian, directeur de l’activité management de transition, développée il y a cinq ans, au sein du cabinet Badenoch + Clark : « Faire appel à un manageur de transition est une information en soi. Cela évoque une transformation, une réorganisation. »

France Transition – qui regroupe depuis début 2020 l’ancien Syndicat national du management de transition et l’ex-Fédération nationale du management de transition (FNMT) – réalise depuis cinq ans un baromètre annuel d’activité auprès de ses membres. Après plusieurs années de croissance à un rythme de 15 à 20 % par an, le dernier rapport enregistre une hausse de 3 % en 2019 avec « un essoufflement au quatrième trimestre et une forme de raréfaction des talents disponibles », explique Grégoire Cabri-Wiltzer, vice-président de la FNMT, également à la tête du cabinet NIM Europe.

Gestion de projets de transformation

Hormis une étude du cabinet Xerfi de 2017, aucun autre indicateur n’existe pour un marché évalué à près de 350 millions d’euros, alimenté pour moitié par des managers exerçant à leur compte, et pour l’autre moitié par des cabinets spécialisés ou généralistes RH comme Valtus, EIM ou Robert Walters. La croissance de l’activité dépend en partie d’un changement de communication pour se défaire d’une image tenace et pas toujours valorisante. Il ne s’agit plus seulement de venir en urgentiste au chevet d’entreprises défaillantes et de travailler sur des plans de réduction des coûts, notamment dans l’industrie, le secteur qui reste le plus gros client du management de transition.

Dans un marché de l’emploi en tension, les cadres supérieurs offrent une expertise et une capacité d’exécution, qui permettent d’assurer une continuité opérationnelle et de prendre son temps pour recruter. L’autre maître-mot du secteur est la gestion de projets de transformation, qu’il s’agisse du cœur d’activité, de la structuration de l’entreprise ou de la gestion d’une fusion-acquisition. De plus, certains mettent l’accent sur le rajeunissement et la part plus importante de femmes dans leur vivier de profils. « C’est un cumul de critères qui explique pourquoi une mission est catégorisée “management de transition” : l’enjeu, la rémunération, la responsabilité et l’urgence. La valeur ajoutée réside aussi dans la définition de la mission avec le client », avance Grégoire Cabri-Wiltzer. Certes, le management de transition ne reste qu’une niche en France sur le marché du conseil, évalué à plus de 7,3 milliards d’euros, loin des niveaux d’activité observés aux Pays-Bas, berceau historique de cette activité, en Allemagne ou dans les pays anglo-saxons.

Si le marché ne se limite plus aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) et aux grands groupes en Île-de France, mais concerne désormais des entreprises sur l’ensemble du territoire, notamment en Auvergne-Rhône-Alpes ou dans les Hauts-de-France, la région Paca reste en retrait sur ce segment. « C’est un paradoxe, car il y a un beau réseau d’entreprises et beaucoup de cadres dirigeants vont s’installer dans cette région », note Émilie Couvreur, associate business director du pôle management resources chez Robert Half. Directeur associé du cabinet Solutions Horizon, établi à Aix-en-Provence depuis deux ans, Éric Andrieu assure qu’il a encore « un peu de pédagogie à faire » auprès des PME entre 50 et 200 salariés qui sont sa cible principale sur son territoire. « Les chefs d’entreprise ont besoin d’être rassurés avant d’accepter une prise de contact ou de sous-traiter une mission », ajoute son associé Xavier Bourgois.

Pour Éric Andrieu, le candidat idéal possède « à la fois une méthode de travail rigoureuse, la connaissance des processus d’une direction de grande entreprise et l’expérience d’une PME où il faut être immédiatement opérationnel sans avoir une vingtaine de personnes à qui déléguer ». Dans les entreprises familiales, Ameline Bordas, chargée d’études dans la chaire entrepreneuriat familial et sociétés d’Audencia, remarque que « c’est une solution temporaire avant qu’un nouveau membre de la famille reprenne l’entreprise. Cela peut permettre une forme de mentorat quand il y a une confiance réciproque et si la transmission n’a pas toujours été bien prévue dans le temps pour accompagner le futur dirigeant ».

Des compétences spécifiques

Dans d’autres cas, le recours à des managers de transition peut s’expliquer par un besoin temporaire de faire appel à des compétences spécifiques, en vue du développement d’une activité à l’export ou d’une internationalisation par exemple. « La donne a changé en quelques années. Le manager est mieux accueilli aujourd’hui et nous incitons aussi les entreprises à communiquer davantage en interne autour de sa venue, notamment lorsque c’est la première fois », avance Karina Sebti, managing director de l’activité management de transition chez Robert Walters, qui a été créée en 2004 et rassemble une vingtaine de collaborateurs. Au-delà des missions traditionnelles en direction générale, financière et RH, les besoins des clients de Robert Walters ont porté en 2019 sur le RGPD, la compliance ou encore la digitalisation.

« En trois ans, nous sommes passés d’une trentaine à une cinquantaine de consultants répartis sur différents bureaux en France », indique Laurent Charpentier, practice manager chez Michael Page Interim Management, une activité créée au sein du cabinet de recrutement il y a une quinzaine d’années. Celle-ci assure 80 à 100 missions de management de transition, le reste correspondant largement à de l’intérim de remplacement de postes pour des cadres confirmés et plus volatiles – dont un sur trois signera un CDI à la fin. « Quand on lit les feuilles de route écrites par les clients, on s’aperçoit que leurs demandes sont plus pointues qu’il y a quelques années. Ce n’est pas seulement un directeur administratif financier (DAF) issu de l’automobile qu’elles recherchent par exemple, mais un DAF qui maîtrise tel enterprise resource planning, telle langue ou qui a vécu telle expérience. Il y a plus d’offres aussi sur le marché, d’où une plus forte segmentation en fonction des profils », argue Grégoire Cabri-Wiltzer.

La pression concurrentielle

En une décennie, le nombre de prestataires qui incluent le management de transition dans leur offre de services a triplé, dépassant largement le cap de la centaine d’opérateurs ! « En même temps qu’il s’est structuré, le marché a été soumis à une pression concurrentielle, note Jacques Burtin, dirigeant associé du cabinet lyonnais Inside Management. « Il y a eu l’essaimage de cabinets historiques qui ont créé des bonnes pratiques pour se démarquer de l’intérim, la création de multiples entités et des clients utilisateurs réguliers qui ont fixé un cadre contractuel. »

Au-delà du phénomène de regroupement des cabinets, la consolidation du secteur s’est accompagnée d’un lot de disparitions de sociétés. « Nous représentons une solution de dernier recours. Mon principal concurrent est en interne : c’est le fonctionnement en mode dégradé, lorsque les équipes sont mises sous pression », souligne Sacha Tchakarian, de Badenoch + Clark. Depuis moins d’un an, la filiale d’Adecco dédiée aux cadres a diversifié ses modes d’intervention : elle propose à la fois de l’intérim pour des fonctions intermédiaires et des prestations pour les cadres dirigeants depuis moins d’un an. Les enseignes dédiées aux cadres des gros concurrents, Randstad (Expectra) et Manpower n’ont encore guère développé ce filon.

Le choix du portage salarial

A fortiori lorsqu’ils débutent, un grand nombre de managers de transition passent par le portage salarial avant, éventuellement, de créer leur entreprise pour contractualiser avec des clients. Un tracas administratif en moins s’ils sont eux-mêmes en transition dans leur carrière professionnelle. Certains cabinets de management de transition comme Valtus proposent des conditions et des tarifs préférentiels si leurs managers passent par des partenaires. Selon le tout premier panorama statistique de cette nouvelle branche d’activité, qui concerne plus de 300 entreprises à profil généraliste réalisant un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros, environ un quart des sociétés de portage salarial positionnent le manager de transition dans le top trois des métiers les plus représentés au sein de la structure.

« C’est une forme juridique qui leur convient pour plusieurs raisons : lors de missions à temps complet où ils ont le nez dans le guidon, ils ne souhaitent pas gérer l’administratif. Lorsque l’on a été longtemps salarié, on souhaite rester dans le régime général pour les retraites et pour pouvoir bénéficier d’une indemnisation chômage entre deux missions. Il y a aussi la partie réseautage avec les autres portés », résume Kevin Gaillardet, cofondateur de la Faabrick Cherdet, un cabinet de conseil spécialisé sur les formes alternatives d’activité, qui a réalisé ce premier rapport de branche. « C’est aussi le profil rêvé pour les sociétés de portage : le manager de transition a généralement une mission de longue durée et un tarif journalier élevé ! » Une autre étude réalisée par Xerfi en 2017 estimait que quatre managers de transition sur dix optaient pour le portage salarial. L’une des sociétés leader du portage salarial, Cadres en mission, a ainsi développé son propre réseau de managers de transition, Managers en mission, et même plus récemment Managers factory, une plateforme de mise en relation entre les cadres et les décideurs qui a agrégé en quelques mois un millier de profils.

Auteur

  • Judith Chétrit