Le rôle des RH et leur relation avec les managers de transition occupent une place importante en lien avec les questions qui prédominent quant à l’évolution de l’entreprise. L’intervention de ces managers se répercutant souvent sur le plus ou moins long terme.
Questionner, écouter, expliquer la raison de sa présence et les objectifs à tenir, mais sans trop perdre de temps : voici à quoi ressemblent les premiers moments d’une mission pour les managers de transition. Leur arrivée, après le départ parfois précipité d’autres cadres, fait souvent naître un flot d’interrogations. Les profils LinkedIn sont soigneusement scrutés – et leur bonne ou mauvaise réputation sur des précédentes missions les précède. Notamment s’ils ont déjà fait preuve de méthodes expéditives : « Tant auprès des salariés que des collaborateurs RH, le métier pâtit d’une image d’Épinal, celle du cadre supérieur de plus de 60 ans qui s’accroche au travail et se transforme en mercenaire pour couper des têtes », souligne Sacha Tchakarian, à la tête du management de transition chez Badenoch + Clark. « Le tabou qui réside encore chez les RH peut aussi s’expliquer par la peur de se voir reprocher des recrutements de collaborateurs qui ne sont pas suffisamment qualifiés, un manque de mobilité ou une faiblesse dans la gestion des départs des cadres dirigeants », avance Arnaud Moretti, directeur associé de la division management de transition du cabinet Robert Walters.
Même si le recours au management de transition se développe et place les RH dans la boucle du recrutement pour ces missions temporaires, cette pratique peut encore dérouter, notamment dans le cadre d’intervention de la prestation en dehors d’un lien hiérarchique habituel. « Dans certaines entreprises, sans qu’ils soient pour autant référencés par les services achats, les DRH identifient et préconisent de plus en plus des cabinets spécialisés, en fonction de leur réputation et du montant de leurs prestations », souligne Jacques Burtin, associé du cabinet Inside Management.
Lorsque Marine de Lapparent s’est retrouvée à 48 ans dans une shortlist pour sa première mission de management de transition dans une fonction de marketing commercial à la Française des jeux, elle a ainsi rencontré les RH en fin de parcours. « C’était une première pour eux. Ils voulaient voir plusieurs candidats et surtout évaluer leur savoir-être. Je devais remplacer une personne en congé maternité et m’inscrire dans un projet de nouvelle organisation », détaille-t-elle. Pendant neuf à dix mois, elle a multiplié les retours d’expérience sur le fonctionnement de cette nouvelle équipe et s’est sentie à l’aise pour échanger librement sur les personnes en jouant de sa position – à savoir sans aucune attente d’un CDI à la fin. Accomplir sa tâche en dehors des jeux d’influence, faire remonter les signaux faibles, accepter d’être un fusible, quitte à participer au recrutement de son successeur, sont des éléments à intérioriser pour les managers de transition.
En charge du développement international en temps partagé de deux sociétés du groupe financier lorrain Mentor, Steve Ordener, bilingue allemand et anglais, se retrouve à gérer l’intérim de la direction d’une filiale allemande et la négociation de nouveaux contrats commerciaux pour d’autres bureaux à l’étranger. « Il y a une personne qu’on a déjà identifiée en interne pour prendre la suite. Il participe de sa montée en compétences », relève Florent Duloisy, DRH de cette ETI d’environ 950 salariés. Actuellement en mission dans une PME de l’e-commerce qui a été rachetée deux fois en trois ans, Philippe Guérin, directeur de site logistique, a suivi une formation sur l’organisation d’entreprises à la quarantaine. Il a conseillé les RH sur la mise en place d’entretiens d’évaluation, en formant les chefs d’équipe et les adjoints. « Ils n’en avaient jamais eu ni pratiqué. Cela fait partie du job de manager d’être un support sur ce sujet, comme pour le domaine de la HSE. Dans une autre mission, j’avais conseillé les RH du siège en matière de formation, pour certains parcours opérationnels. »
Dans le cas d’un DRH de transition, une des fonctions les plus recherchées actuellement, la tâche n’est pas aisée, car il faut souvent jouer sur deux tableaux en même temps : savoir mobiliser ou réorganiser une équipe RH tout en réfléchissant à l’évolution des autres fonctions, quelle que soit la taille de l’entreprise. « C’est l’iceberg », résume Carole Valenza, qui a pris pour habitude de bien se renseigner dans son réseau et de consulter les informations émanant des organisations syndicales avant d’arriver chez un client. Lorsqu’elle est arrivée chez Barclays France en 2017 avant une cession à un fonds d’investissement, elle a été présentée comme la personne qui allait « réaliser un audit d’organisation sur les RH du réseau d’agences ». Sauf qu’en raison de l’arrêt maladie de la DRH et de l’absence d’une directrice des relations sociales, elle a repris les rênes de cette « équipe laissée à l’abandon depuis plusieurs années ». Elle est même restée quelques mois après le rachat de l’entité.
Jean-Louis Vidot, lui, s’active depuis son arrivée en septembre 2019 à trouver la personne qui lui succédera à la tête des ressources humaines du Paris Saint-Germain : en quasiment neuf ans, l’effectif du club sportif a triplé – environ 800 salariés et 400 vacataires les soirs de match. Alors qu’une douzaine de personnes RH passaient leur temps à gérer essentiellement les contrats de joueurs, il a revu l’ensemble du fonctionnement, le système d’information, le rôle des managers, l’identification des salariés ayant un fort potentiel de développement, le besoin de séniorité au-delà du nombre important de jeunes en stage, en alternance ou CDD. « L’entreprise connaît un développement assez important. Le niveau d’attente de la direction générale est élevé. Or, la fonction n’est pas assez motrice », pointe-t-il.
Dans sa mission en cours chez Ouest-France, Pascal Robert assume une tendance au coaching avec le DRH en poste pour l’accompagner dans son projet de transformation. « Quand on est le nez dans le guidon, on n’a pas toujours le discernement nécessaire sur sa propre organisation », souligne-t-il. Il réfléchit ainsi à la refonte des modalités des entretiens d’évaluation et de l’analyse de la performance, notamment pour la rédaction. La gestion des recrutements a été réorganisée « à effectifs constants » et le pôle chargé du développement des compétences a été missionné, de l’accompagnement au changement.
Si ces trois DRH de transition restent des prestataires externes à l’entreprise, la Société Générale a créé à l’automne dernier un cabinet en interne composé d’une bonne douzaine de managers de transition, déjà en CDI dans l’entreprise et susceptibles de changer régulièrement d’entité pendant les quatre années à venir, pour compléter l’offre existante de conseil stratégique à l’attention des équipes internes. Plusieurs éléments ont conduit à cette création : les plans de restructuration en cours, les besoins non satisfaits, par exemple en compliance, les difficultés pour trouver les nouvelles opportunités de carrière pour les cadres dirigeants et les appétences de certains salariés pour travailler différemment. Ces managers, qui s’étaient tous portés candidats en amont à une mobilité professionnelle auprès des RH, ont au moins vingt ans d’expérience, dont une dizaine d’années dans l’entreprise au minimum, ainsi qu’un parcours diversifié dans plusieurs environnements de travail, ce qui les a amenés à gérer des équipes et des projets. « L’écueil à éviter est d’être perçu comme une cellule de reclassement ou de potentiel bouche-trou », estime Valérie Vidal Dhorne, directrice associée de cette executive task force. Sur la petite centaine de candidatures reçues depuis le lancement de la structure, quatorze ont déjà été retenues.
Dans les start-up, les managers de transition peuvent être amenés à intervenir, en cas de forte croissance ou lors de l’entrée d’un fonds d’investissement. C’est ainsi que Morgane Rollando, une directrice financière rodée aux fusions et aux acquisitions, s’est retrouvée vice-présidente finance et stratégie d’Augment. Cette jeune pousse de réalité augmentée venait d’effectuer une importante levée de fonds auprès de Salesforce Ventures. « Le fonds avait besoin que l’entreprise optimise son organisation financière et son business model. Ne serait-ce qu’avoir déjà des tableaux de bord avec un reporting et une information financière et générale très élaborée », indique-t-elle. Elle y est restée plus de deux ans et demi, mais la start-up n’a pas trouvé son marché et elle s’est séparée de plus de 25 salariés. « Les missions dans des start-up ne sont pas nécessairement les plus courtes mais celles dont la durée est la plus incertaine », ajoute Morgane Rollando.