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L’éthique, un critère de choix pour les candidats

Décodages | RSE | publié le : 01.04.2020 | Frédéric Brillet

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L’éthique, un critère de choix pour les candidats

Crédit photo Frédéric Brillet

Bien que plus sensibles qu’auparavant à la RSE, la grande majorité des salariés et des jeunes diplômés attend toujours de leur employeur qu’il se soucie en priorité de leurs fins de mois plutôt que de la fin du monde. Mais les questions éthiques, de finalité et de RSE s’imposent déjà comme des leviers pour l’engagement et mobilisent dans les écoles d’ingénieurs et de management.

Les quêtes de sens et la performance sont-elles compatibles ? Telle est la question que tous les étudiants d’HEC doivent désormais se poser puisque l’école de management a intégré, à la rentrée 2019, un module obligatoire intitulé « sens et leadership ». L’objectif : sensibiliser les étudiants aux enjeux du sens dans l’entreprise et les inviter à une réflexion personnelle sur ce thème. « Le modèle friedmanien d’entreprise (qui donne priorité à la performance actionnariale au détriment des autres critères et parties prenantes, NDLR) n’est pas le seul. Il y a d’autres voies », justifie Rodolphe Durand, directeur académique du centre Society &Organizations (S&O Center) qui couvre les enseignements liés à l’éthique et à la RSE. Ces questions de sens et d’éthique sont aussi porteuses de frictions : en janvier dernier, les élèves de Polytechnique se mobilisaient contre l’implantation d’un centre de recherche et d’innovation de Total sur le campus de l’école, dénonçant une opération de lobbying du géant des hydrocarbures désireux d’influencer les futurs décideurs de la politique énergétique française. Déjà en 2017, quand le BDE avait proposé à Total de parrainer la promotion 2017, « ça avait fait grincer quelques dents », se souvient un élève ingénieur. Depuis, un débat a été engagé pour introduire des critères RSE dans le choix des parrains de promotion…

La RSE avant le salaire ?

Le Manifeste étudiant pour un réveil écologique de 2018, initié par des élèves d’écoles prestigieuses (HEC Paris, AgroParisTech, CentraleSupélec, Polytechnique…), et signé par quelque 30 000 étudiants français et étrangers, semble avoir marqué un tournant.

Les employeurs voient arriver une génération plus mobilisée que les précédentes sur la finalité et le sens du travail dans un monde menacé par la dégradation de l’environnement. Ce qui amène ces jeunes à se poser avec plus d’acuité la question des valeurs qu’ils partagent avec leur employeur : « Je ne travaille pas dans la finance verte en priorité pour le salaire, moins élevé que dans la finance conventionnelle, mais parce que cela me correspond », explique une diplômée d’Audencia, recrutée par un grand cabinet. « Je n’imagine pas prendre un poste dans l’extraction pétrolière, aussi passionnant et bien rémunéré soit-il », confesse un élève de Polytechnique, signataire du manifeste étudiant. La mobilisation des actifs et futurs actifs sur ces questions se perçoit dans les réponses qu’ils font aux sondeurs. La récente étude du NewGen Talent Centre de l’Edhec établit ainsi que les trois principaux critères de choix jugés importants ou très importants par les jeunes diplômés sont la diversité des collaborateurs (60 %), le respect des principes du développement durable – la démarche RSE de l’entreprise (50 %) et l’existence d’une politique de gestion de carrière – une politique de salaire (49 %). L’enquête 2019 d’Ipsos pour Openmind Kfé abondait dans ce sens : 51 % des salariés affirmaient ne pas vouloir travailler pour une entreprise qui n’a pas d’engagements social ou environnemental forts, 58 % que la RSE était un critère important dans le choix de leur travail. 55 % des sondés ont même déclaré qu’ils choisiraient de travailler pour une entreprise socialement responsable même si le salaire proposé était plus bas que les autres propositions. Chez les milleniaux, l’attente serait encore plus forte, 76 % plaçant la RSE au-dessus du salaire dans leurs critères de choix. Ces attentes ne sont pourtant que partiellement satisfaites… Ainsi, dans une étude BVA 2019 pour le compte de Salesforce, seulement 60 % des salariés jugeaient que leur entreprise était plutôt ou très respectueuse de l’environnement, 39 % pensant le contraire.

La sensibilité aux problématiques sociales et environnementales se décèle aussi à travers des comportements en début de carrière. Hier, il était de bon ton d’effectuer un long périple pour découvrir le monde avant d’entrer dans la vie active ou d’intégrer une start-up pour faire rapidement fortune dans le numérique. Aujourd’hui, la mode de l’économie sociale et solidaire et la quête de sens les conduisent à effectuer des stages ou à travailler dans des ONG quand ils ne créent pas leur société dans le « social » ou le « green business ». Et les employeurs classiques peinent à les fidéliser : 43 % désertent leur premier poste au bout de vingt mois en moyenne, selon une étude du NewGen Talent Centre. Cette volatilité pourrait encore augmenter avec des attentes éthiques non satisfaites. « La société fait irruption dans l’entreprise : les consommateurs prêtent plus d’attention à la dimension sociale et environnementale de leurs achats et les salariés vont adopter la même attitude vis-à-vis de leur employeur. La RSE va bientôt se lire comme un Retour Sur Engagement. L’entreprise devra de plus en plus rendre des comptes à ses collaborateurs comme à ses clients », prédit Blandine Thibault-Biacabe, DRH de L’Oréal France. Pour renforcer leur crédibilité, les grandes firmes proposent de plus en plus à leurs salariés de s’impliquer dans la RSE, d’en faire des acteurs des opérations menées plus que des spectateurs (lire encadré page suivante).

Générations Z et milléniaux.

Pourtant, quand on demande aux salariés ou aux étudiants de hiérarchiser leurs critères de choix d’un employeur, la RSE apparaît en queue plutôt qu’en tête de classement. Ainsi, la dixième édition de l’étude Randstad Employer Brand Research, publiée en 2019, montre que 62 % des salariés attendent avant tout de leur employeur qu’il leur propose une rémunération attractive. Viennent ensuite, les critères d’ambiance de travail, de confort au travail, d’équilibre vie professionnelle/vie personnelle… Même si elle est en hausse, la RSE des entreprises n’apparaît qu’en douzième place, citée par 20 % des sondés et par 26 % des membres de la génération Z (18-24 ans) qui survalorisent ce levier mais sans le mettre en tête. « Il existe une certaine mythologie des générations Z et milléniaux. Qu’elles soient diplômées ou non, leurs aspirations ne diffèrent pas tellement de celles des générations plus expérimentées. Au moment d’opérer un choix, les préoccupations personnelles (rémunération, ambiance de travail, perspectives de carrière…) prennent le pas sur les valeurs de l’entreprise et sa responsabilité sociétale », résume Clément Moulet, responsable des relations presse Randstad.

L’enquête Universum qui passe en revue 40 critères de choix et d’attractivité d’un employeur pour les étudiants des grandes écoles dresse un constat similaire : la RSE progresse en importance à 18 % en 2019 (+ 3 points par rapport à 2014). Idem pour l’exigence éthique (26 %, + 8 points par rapport à 2014). Mais ces critères demeurent secondaires, la RSE arrivant en 33e position sur 40. « Le premier critère de choix d’un étudiant qui sort d’une école de commerce est d’être bien payé et les prétentions sont plus élevées que jamais. Les ingénieurs affichent un état d’esprit proche, bien qu’ils accordent plus d’importance à l’innovation et à la dimension humaine (esprit d’équipe, environnement de travail attractif) », commente Aurélie Robertet, directrice France et Benelux chez Universum. Quand Universum demande aux sondés de classer 130 employeurs sur les critères de la RSE et de l’éthique, ils mettent sans surprise en bas du classement ceux qui opèrent dans les secteurs de l’énergie, de la finance, du tabac ou les icônes de la malbouffe. « Mais dans le haut du classement des entreprises jugées les plus attractives, on trouve souvent les entreprises les moins associées à de bonnes pratiques RSE », constate Aurélie Robertet. Celles dont les défaillances éthiques et les scandales en tout genre ont défrayé les chroniques médiatique et judiciaire ces derniers mois, comme Google, Facebook ou Amazon qui continuent néanmoins à faire rêver. « Elles compensent par d’autres critères comme l’innovation ou la rémunération. ».

Qu’en sera-t-il demain ?

« D’ici cinq ou dix ans, les sensibilités, les aspirations et les attentes vis-à-vis des employeurs peuvent évoluer bien plus fortement que cela n’a été le cas jusqu’à présent. Une disruption n’est pas à exclure car ces générations sont plus activistes : celle de Greta Thunberg qui reproche aux Gouvernements et aux entreprises de ne pas en faire assez pour l’environnement nous interpelle », affirme Blandine Thibault-Biacabe. L’investissement dans la RSE ne servira d’ailleurs pas qu’à séduire les nouvelles générations. « Lorsque l’entreprise permet à l’individu de vivre ses valeurs au travail, l’engagement est à son maximum », affirme le consultant américain Richard Barrett, qui propose un outil aidant à aligner les valeurs des entreprises et celles des salariés. D’autres études suggèrent un renforcement de la corrélation entre l’engagement et la fidélisation des salariés avec la performance RSE de l’employeur. Selon l’enquête Korn-Ferry, 80 % des collaborateurs de L’Oréal se disent satisfaits de la RSE de leur patron (ce qui est un taux élevé) et 71 % des collaborateurs se disent engagés, soit 4 points de plus que les entreprises comparables.

Les collaborateurs impliqués

Collecter des déchets, rénover des locaux, préparer des repas, aller à la rencontre de personnes fragilisées… telles sont les missions que propose L’Oréal à des salariés dans le cadre du Citizen Day, une journée d’action citoyenne annuelle prise sur le temps de travail pour apporter un soutien à une association ou à une ONG de proximité. En 2019, le Citizen Day a mobilisé, sur une base volontaire, 5 000 collaborateurs sur les 14 000 employés en France et 30 000 au total dans le monde. Des chiffres encore plus élevés qu’il n’y paraît puisque le taux de participation correspond à 50 % des postes éligibles à l’événement (certains métiers, notamment en production, s’y prêtent moins facilement). En complément, L’Oréal propose à ses salariés des dons à des ONG que l’employeur s’engage à abonder. Nouveauté en 2019, le géant des cosmétiques a mis en place un comité RSE incluant des salariés et invite ces derniers à soumettre des propositions concrètes pour améliorer les performances en ce domaine. Une politique qui semble payer : le taux de satisfaction des salariés de L’Oréal vis-à-vis de la RSE atteint 80 %. Récemment, Total a lancé par l’intermédiaire de sa fondation le programme Action !, dispositif qui sera, à terme, déployé dans 130 pays et qui donne à chaque collaborateur la possibilité de consacrer jusqu’à trois jours par an de leur temps de travail à des missions solidaires. De son côté, la SNCF encourage et valorise les collaborateurs qui effectuent du mécénat de compétences pour l’une des associations partenaires, sur tout ou partie de leur journée de travail.

Auteur

  • Frédéric Brillet