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Décodages

Le diplôme peut dormir tranquille

Décodages | Formation initiale | publié le : 01.04.2020 | Muriel Jaouën

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Le diplôme peut dormir tranquille

Crédit photo Muriel Jaouën

Il serait inadapté, inégalitaire, obsolète… On prédit régulièrement sa mort prochaine. Pourtant, le diplôme, figure phare de la culture méritocratique, demeure incontournable.

« Pierre X, agrégé des universités ». Respect dû aux défunts, nous avons préféré ici cacher la véritable identité de l’universitaire méritant, résident de longue date du cimetière du Père Lachaise. Sa stèle ne dit pas grand-chose de lui, si ce n’est qu’il se sera accordé cette ultime coquetterie : faire valoir ad patres ses titres académiques. Il ne fait d’ailleurs pas exception. Les cimetières regorgent de lauréats revendiqués. Quand le diplôme fleurit ainsi sur les tombes, n’est-ce pas, paradoxalement, qu’il est encore bien vivant ? Quelle meilleure illustration en tout cas d’un attachement social à un marqueur dont les absolutistes de la transformation systémique sonnent pourtant régulièrement le glas ? « Le diplôme ? Une relique barbare », osait Olivier Babeau dans une tribune publiée en juillet 2019 dans « Les Échos », paraphrasant Keynes qui s’attaquait à la valeur de l’or. Le patron du très libéral Institut Sapiens persiste et signe : « La formule était sciemment provocatrice. Certes, le système du diplôme a jusqu’ici tenu malgré ses nombreuses limites. Mais il ne fait aucun doute que la révolution numérique va en précipiter l’obsolescence. »

Soit. Regardons tout de même les chiffres. En trente ans, le nombre de diplômes de l’enseignement supérieur a plus que doublé en France (700 000 en 2015 selon l’Insee). Les projections de France Stratégie à horizon 2030 confirment la tendance. L’organisme de prospective rattaché à Matignon estime que 12,5 millions d’actifs pourraient être diplômés du supérieur dans dix ans, soit une hausse de 1,8 million par rapport à 2018. La part de diplômés du supérieur dans la population active atteindrait ainsi 48 %, contre 42 % aujourd’hui et… 14 % en 1986. Justement, rétorquent les Cassandre du parchemin, trop de diplômes tue le diplôme. Quelle valeur accorder à un système de sélection dont la pierre angulaire, le bac, voit son taux de réussite croître d’année en année ? (88,2 % pour le bac général en 2019).

Rite initiatique de cooptation sociale.

L’augure si souvent rabâché finira-t-il par avoir raison ? Difficile à envisager tant le diplôme cimente la charpente républicaine. Sur les ruines du système aristocratique, l’État moderne a voulu consacrer un étalon de répartition des emplois et d’accès à la richesse socialement agnostique : le mérite, révélé par l’instruction et sanctionné par le diplôme. Ce dernier s’est donc d’abord imposé comme un rite initiatique de cooptation sociale, avant de revêtir une valeur transactionnelle discriminante dans l’accès à l’emploi. Et au fil du temps, le niveau d’études devient de plus en plus structurant, notamment sur le marché de l’emploi cadre. « Dans une période pas si éloignée, l’accès aux fonctions cadres se faisait directement au niveau bac + 3/bac + 4. Aujourd’hui, douze mois après la fin de leur formation, 62 % des niveaux master (bac + 5) en emploi occupent des postes cadres, contre seulement 15 % des niveaux bac + 3 et bac + 4 », note Pierre Lamblin, directeur des études de l’Apec.

Toutes les recherches convergent pour rappeler que le diplôme reste le meilleur antidote contre le chômage. Pourtant, cette fonction protectrice connaît de premiers signes d’émoussement. Face au risque de chômage, beaucoup de jeunes ont allongé leurs études pour repousser leur entrée dans la vie active, conduisant à une concurrence accrue à l’entrée sur le marché du travail. Ce, à tous les niveaux de diplôme. En outre, il apparaît que la structure de l’emploi ne permet plus d’absorber l’afflux de diplômés du supérieur, qui se reportent de facto sur des emplois moins qualifiés, évinçant ainsi les moins diplômés.

Ce mouvement mécanique d’inflexion par ricochet vient accentuer un biais spécifiquement français : à postes constants, la plupart des employeurs préféreront des profils plus diplômés : bacs professionnels plutôt que CAP, licence professionnelle plutôt que BTS ou un DUT. Conséquence : un déclassement généralisé des diplômes, dont seul le haut du panier sort épargné.

La force de la marque.

Au-delà de sa vertu universellement émancipatrice, la valeur performative du diplôme, tant en matière d’employabilité que de rémunération et de qualité de vie professionnelle, augmente avec le niveau d’études. « Entre un niveau secondaire et un niveau supérieur, la différence moyenne de salaire est de 38 % », précise Guillaume Gellé, président de la commission formation et insertion professionnelle de la Conférence des présidents d’université, et président de l’université de Reims Champagne-Ardenne.

Mais, plus que tout, le diplôme n’échappe pas à un puissant effet concurrentiel. « La force des marques est essentielle. Elle repose sur la réunion de trois conditions : de stricts critères de sélection, une formation exigeante, des opportunités de contact », note Frank Bournois, président de l’ESCP Business School et président de la commission formation de la Conférence des grands écoles. Avantage ici aux grandes écoles, qui, en France, font de l’ombre à tout le système d’éducation. « En 2019, la part des diplômés ayant trouvé leur premier emploi avant même leur sortie d’une grande école était à son niveau le plus haut de la décennie, avec 65,2 %, soit 3 points de plus qu’en 2018 », illustre Frank Bournois.

S’il fallait saluer l’importance sociale des institutions à l’aune du zèle législatif qu’elles inspirent, le diplôme décrocherait au minimum un satisfecit. Il ne se passe jamais deux ou trois ans sans qu’une réforme vienne reconfigurer le système. Au risque d’en faire une usine à gaz. « La multiplication des diplômes, tant par la spécialité que par le niveau, a rendu le paysage illisible. Il y a là un échec institutionnel collectif. C’est d’autant plus dommageable que cette inflation n’est pas motivée par l’utilité, mais par des rapports de force entre acteurs économiques et partenaires sociaux », regrette Françoise Kogut-Kubiat, chargée de mission certifications et politiques éducatives au Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq). Parce qu’elle uniformisait les cycles et organisait une reconnaissance internationale des diplômes, la réforme licence-master-doctorat (LMD) de 2007 avait fédéré autour d’elle un large consensus. Aujourd’hui, l’unisson se fissure autour du Bachelor universitaire de technologie (BUT) qui doit remplacer la licence professionnelle en 2021. « Le message lancé est clair : on est en train de faire du bac + 3 le premier niveau de sortie de l’enseignement supérieur. Ce qui revient à dire que le monde du travail n’a pas besoin de bac + 1 ou de bac + 2 », critique Olivier Faron, administrateur général du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).

Césure entre académie et entreprise.

« De réforme en réforme, le dessein est toujours le même : il faut adapter le système de sélection et de reconnaissance aux contraintes et aux évolutions de l’économie et de l’emploi », souligne Jean-Philippe Leroy, directeur général adjoint en charge de l’alternance et de l’apprentissage au Cnam. Professionnalisation, voilà sans doute le mot-clé de l’évolution engagée depuis plusieurs décennies pour combler une atavique césure entre la sphère académique et le monde de l’entreprise. Les lois de 2007 et de 2014 ont incité les universités à accueillir au sein de leurs conseils de perfectionnement des acteurs du monde économique. « Notre grand défi, aujourd’hui, est dans la réingénierie des diplômes en blocs de compétences », soutient Guillaume Gellé, de la Conférence des présidents d’université. La loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle a introduit la notion de bloc de compétences comme unité substantielle des diplômes et des titres à finalité professionnelle et des certificats de qualification référencés au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Depuis le 1er janvier 2019, les certificats de qualification professionnelle sont enregistrables au RNCP, avec pour effet l’attribution au titulaire d’un niveau de qualification, au même titre qu’un diplôme, ou d’un titre professionnel. Les partenaires sociaux sont directement impliqués dans la gouvernance des certifications. « Les branches et les partenaires sociaux disposent aujourd’hui d’un pouvoir d’initiative auprès des ministères certificateurs pour la création ou la rénovation les diplômes », note Françoise Kogut-Kubiat, du Céreq. Le renforcement de la territorialisation des qualifications prévue par la loi sur le droit de choisir son avenir professionnel de 2018 parachève la volonté du politique de répondre expressément aux besoins du monde économique.

Un poids qui demeure écrasant dans les entreprises.

Cette coloration professionnelle de tout le système est-elle susceptible de menacer le bon vieux diplôme académique ? Nous en sommes encore bien loin. Même dans les branches fortement prescriptrices de labels professionnels, le poids du diplôme demeure écrasant. Depuis douze ans, Saint-Gobain Distribution Bâtiment France délivre des certificats de qualification professionnelle (CQP), reconnus par la branche du négoce et référencés au RNCP. « Nos 200 CQP par an sont à mettre en balance avec les 2 500 recrutements effectués sur la base du bac + 2 », commente Alexandre Watrin, directeur de la formation.

Acteur important du secteur de la supply chain, FM Logistic crée chaque année quelque 700 postes, en grande partie sur des fonctions de manutention et de préparation de commande en entrepôts. « Le diplôme est une aide à la sélection, un filtre et un accélérateur. Pour nous, le niveau de diplôme est peut-être davantage une sécurité en matière d’éducation qu’un label métier. En tout cas, son rôle comme facteur prédictif de carrière perd de l’importance », note Cécile Cloarec, DRH de l’entreprise.

Valeur étalon du marché de l’emploi en début de carrière, le diplôme perd de sa superbe avec le déroulement des parcours professionnels. « On peut considérer qu’au-delà de la trentaine – ce qui correspond en moyenne au troisième poste et à une éligibilité au statut de haut potentiel – le diplôme n’est plus un viatique », note Frank Bournois, de l’ESCP Business School. Dès lors que l’on arrive à un certain niveau de management, le critère diplôme sort très franchement des radars au profit d’un triptyque d’exigences : réalisation d’objectifs, potentiels d’évolution, compétences. Ces fameuses compétences, qui, en même temps qu’elles deviennent les blocs porteurs du nouveau système de diplomation, sont en train de prendre la main sur tout le corpus de référence de DRH friands de fortes dispositions comportementales. « Les soft skills sont de plus en plus considérés dans une logique de complément ou d’affinage. Mais, plus ils monteront en puissance, plus on aura besoin de normes, d’échelles référentes de lecture, donc de diplômes, de mentions, de titres », note Axèle Lofficial, directrice talent et développement de BPI Group. Non seulement le diplôme n’est pas encore mort, mais il a de beaux jours devant lui.

Auteur

  • Muriel Jaouën