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DRH, un métier à partdans les sites à risques

Décodages | Sécurité au travail | publié le : 01.04.2020 | Lucie Tanneau

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DRH, un métier à partdans les sites à risques

Crédit photo Lucie Tanneau

Le métier de DRH n’est pas de tout repos. Notamment dans l’industrie et surtout pour les professionnels intervenant sur des sites sensibles, classés Seveso. Parmi leurs missions, un gros enjeu en matière de gestion des hommes, de sécurité, voire de communication. Un job un peu différent, pour lequel ils doivent s’armer… parfois tout seul.

Le 26 septembre 2019, un incendie se déclarait sur le site de la filiale française du chimiste américain Lubrizol, à Rouen. Une communication de crise s’enclenche, et parmi les acteurs en première ligne, Delphine Martos, la DRH, est amenée à communiquer dans la presse, à la télévision… Une position difficile, mais qui, selon certains acteurs, a le mérite de rassurer, davantage que si la société faisait appel à un communicant. Sachant que sur ces sites industriels, la communication vers l’extérieur peut relever des missions du DRH. Depuis, la ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne, a annoncé vouloir renforcer les obligations et les contrôles, notamment dans les 1 312 sites Seveso dont les 705 sites dits en « seuil haut ». Les documents contenant la liste et la quantité des produits présents sur le site ainsi que leur danger potentiel devront être plus « intelligibles » et les exercices de sécurité plus réguliers, a annoncé la ministre le 11 février dernier. Des tâches qui viennent s’ajouter aux obligations légales – nombreuses – déjà prévues pour les entreprises dites « sensibles », et qui sont, en partie, assumées par les directeurs des ressources humaines et leurs équipes.

Un quotidien un peu spécial.

« Souvent le métier pur de DRH est, sur ces sites, complété d’autres fonctions : la sécurité, la sûreté avec notamment le contrôle d’accès aux sites, voire la gestion des bâtiments, les personnes habilitées… Car certains sites sont sensibles mais ne comptent que quelques centaines de salariés et n’ont donc pas de services généraux », détaille Luc Wangen, directeur des affaires sociales de l’Union des industries chimiques (UIC). « Le DRH peut aussi avoir un rôle en cas de crise et être habilité à communiquer », poursuit-il. « Chez nous, le DRH fait partie de la cellule de crise », confirme Martin Virot, DRH de DuPont France (anciennement DuPont de Nemours, entreprise de poudre à canon, devenue l’un des leaders mondiaux de la chimie). Le quotidien du métier est donc spécial.

« L’introduction au poste, déjà, est très différente, expose Martin Virot. Les formations liées au site, à la sécurité, aux procédures sont beaucoup plus lourdes », cite-il en exemple. « Des formations solides, quasi individualisées », renchérit Luc Wangen, qui a lui-même connu cela en tant que DRH au sein du groupe Total. Chez DuPont, depuis trente ans, la moitié des DRH ont des profils techniques, par exemple des anciens ingénieurs en poste dans les usines de production. Car c’est aussi une particularité des sites industriels : le quotidien est celui de l’usine, avec des horaires décalés et une unité de lieu et de temps propre à l’industrie. Les horaires peuvent être très variables pour faire passer des messages aux équipes de jour comme à celles de nuit, pour rencontrer et apprendre à connaître l’ensemble du personnel. Cela fait aussi, ici, partie du métier. « Ces secteurs ont des traditions collectives fortes avec la volonté de défendre la sécurité mais aussi les emplois, des traditions de dialogue social, avec d’ailleurs des obligations de CHSCT (et désormais de CSE) élargies avec des réunions plus régulières », note Sébastien Millet, avocat spécialiste en droit du travail, de la protection sociale et des risques professionnels. « Les équipes RH sur ces sites sont aussi souvent bien “staffées”, avec des possibilités d’entretien, de reclassement, d’évolution bien menées, et les RH sont beaucoup plus en lien qu’ailleurs avec des juristes, des avocats, les représentants de branches et fédérations », complète l’avocat.

Sur ce genre de sites à risques, autre particularité, le DRH est responsable de son effectif mais aussi de la sécurité des prestataires. « Les sous-traitants sont beaucoup plus nombreux que dans des entreprises classiques. Le ratio est souvent de 1 à 2 ou de 1 à 3 dans la chimie car on fait appel à beaucoup de métiers de maintenance spécialisés, détaille Luc Wangen. Il faut s’assurer qu’ils ont les bons accès, que les équipements type cantines ou vestiaires sont bien dimensionnés, que tous aient les habilitations, en particulier pour les sites Seveso, et la formation adaptée. » En tant que responsable de la formation, le DRH ne peut pas laisser entrer un salarié qui n’aurait pas tous ses modules à jour. Ailleurs, une formation peut être décalée, ou reportée. Ici, la production est en jeu et toutes les étapes doivent être rigoureusement suivies.

Embauche procédurière.

Les procédures commencent dès la phase de recrutement. « Selon les entreprises et les activités, il peut y avoir des autorisations de demande de casier judiciaire même si les discriminations demeurent interdites, détaille Brigitte Pereira, professeure de gestion des risques et RH à l’EM Normandie. En théorie, les enquêtes menées doivent être justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but poursuivi selon la formule de la Cour européenne des droits de l’homme. En pratique, les entreprises peuvent se rapprocher des autorités pour des demandes spéciales ou observer les réseaux sociaux, moyens officieux qui permettent de bien connaître la personne. » Cela vaut aussi bien pour les personnes recrutées en interne que pour celles embauchées par les prestataires, voire par les entreprises de travail temporaire avec lesquelles le DRH doit mettre en place des procédures. Au commissariat de l’énergie atomique ou dans le nucléaire, des dérogations liées à la sécurité de l’État existent. Ailleurs, les DRH doivent composer. « On va exercer une vigilance accrue pour voir si le candidat a la capacité de suivre les normes et les règles de sécurité et de pilotage des installations. On va chercher de la rigueur. Les personnes indépendantes et ultra-créatives ne sont pas forcément les bienvenues ! » illustre Luc Wangen.

« Pour tous les salariés que l’on embauche, qu’ils soient vendeurs, ouvriers, ou ingénieurs, nous faisons des vérifications avec des cabinets extérieurs. Nous nous assurons qu’il n’y a pas de trou ou d’inconnu sur le CV : nous avons besoin de transparence. Pour certains, nous demandons des habilitations en préfecture, mais cela reste du cas par cas, circonstancié, pour des interventions en ateliers Seveso, par exemple », raconte Martin Virot, de DuPont. « Autre chose : ce sont des métiers qui bénéficient de formations longues donc nous avons besoin que les gens restent ! Dans le raffinage, secteur que j’ai connu, un opérateur pouvait parfois avoir six mois de formation… Donc nous recherchons une capacité à s’investir dans la durée », complète Luc Wangen. Le Code du travail interdit en outre de recourir à des contrats précaires pour les activités dangereuses.

Passée la phase d’intégration des équipes, ce sont avant tout les obligations en matière de sécurité qui constituent le lot quotidien des DRH sur de tels sites. « En France, tout employeur a l’obligation de s’assurer de la sécurité de ses salariés, et il devra justifier qu’il a rempli cette obligation en cas de souci, indique Caroline Diard, professeure de management des RH à l’EDC Paris Business school. Dans les activités industrielles, qui comportent des risques liés à l’activité ou à des métiers plus manuels ou plus physiques, les contraintes d’un DRH ne sont pas les mêmes que dans l’informatique, c’est clair ! Pour nous, c’est ceinture et bretelles », ajoute l’enseignante qui a elle-même été DRH d’un site chimique de cent personnes. Pour des questions juridiques, mais aussi psychologiques. « On n’a pas envie d’avoir un mort sur la conscience », résume-t-elle. Sur les équipements de protection obligatoire, l’affichage, l’utilisation et le stockage des produits chimiques, les relations avec la médecine du travail… le DRH doit assurer un suivi quotidien. « Par exemple, si une femme nous annonce qu’elle est enceinte sur un site où des produits chimiques sont manipulés, on la retire immédiatement de son poste pour la mettre en bureau », décrit-elle. Sur ces sujets, les employeurs sont plus ou moins enclins aux dépenses et le DRH doit parfois batailler. « J’avais la chance d’avoir des scientifiques au Codir, et à chaque fois que j’y présentais un nouveau règlement, même si cela coûtait parfois cher en équipement, j’étais suivie. Mais ce n’est pas le cas partout, reconnaît Caroline Diard. Parfois certains dirigeants ne veulent pas payer, même pour la sécurité, et le DRH doit faire face à des conflits de valeur. »

Détecter les signaux faibles…

Les impératifs de sécurité passent aussi par un travail de management de proximité, piloté par le DRH. « Le risque le plus important dans toute entreprise, vient du facteur humain, rappelle l’avocat Sébastien Millet. Les RH ont donc le rôle de détection des signaux faibles qui peuvent être accidentogènes. » Un ressenti de terrain qui s’ajoute au travail de reporting obligatoire. Le DRH industriel a en effet, là aussi plus qu’ailleurs, un important travail administratif sur les taux d’incidents notamment. « Si le DRH ne veut pas faire de tableaux Excel, il n’en fait pas, mais, en pratique, tout le monde le fait, rapporte Caroline Diard. Dans certaines entreprises, l’inspection du travail est même présente à chaque comité de sécurité », complète-t-elle. Car être DRH de sites Seveso est un métier de réseaux. Le responsable des RH est en lien avec le comité de sécurité, la médecine et l’inspection du travail mais aussi avec la préfecture, les associations de riverains, les élus, les industriels du secteur, les médias… « La communication est de plus en plus importante dans nos entreprises », acquiesce Luc Wangen de l’UIC. « Cela relève des RH ou de services dédiés. Dans mon entreprise, cela faisait partie de mon portefeuille, se rappelle-t-il. Les salariés sont formés, informés, ils connaissent la maîtrise du risque et ils rationalisent. Mais les familles et les riverains peuvent, eux, avoir besoin d’être impliqués et rassurés », comprend-il.

L’Union des industries chimiques conseille à ses adhérents d’organiser des portes ouvertes, des réunions d’information, d’entretenir les rapports avec les médias locaux pour éviter les craintes inutiles. « On parle beaucoup des parties prenantes en RSE, pour les sites sensibles, c’est vraiment une notion critique : ce sont les premières ou les dernières personnes qui vous soutiendront en cas d’incident, donc mieux vaut qu’elles soient informées et connaissent votre activité », conseille Luc Wangen, qui rappelle, par ailleurs, que dans les industries dites « à risques », « on se trouve paradoxalement plus en sécurité que dans n’importe quelle autre activité domestique. Nos industries ont des taux d’accidents du travail dix fois inférieurs au transport routier, peut-être cinquante fois inférieurs au bâtiment… On parle des industries les plus sûres derrière le nucléaire et les transports aériens, avec une maîtrise du risque très élevée », constate-t-il.

Cellule de crise.

Reste qu’en cas de crise, d’accident ou même d’incident comme ceux qu’ont connu les sites AZF de Toulouse ou Lubrizol de Rouen et comme en vivent régulièrement de nombreux autres sites en France, le DRH doit tenir son poste. « Je faisais partie des sept personnes d’astreinte, c’est-à-dire qu’un week-end sur sept j’étais habilité à diriger la cellule de crise en cas de souci », se remémore Luc Wangen. « Nous avons des listes à jour de l’ensemble du personnel et de membres de leur famille à contacter en cas de crise. Cela se fait pour d’autres métiers, mais nous sommes peut-être encore plus pointilleux », confirme Martin Virot, le DRH de DuPont, qui dispose de procédures pour contacter les mairies, en plus des familles. Personnellement, que risque-t-il sur ces sites ? « Le DRH est un délégataire du chef d’entreprise, donc de par son statut de salarié, il peut être accusé de négligence et risquer le licenciement », commente Brigitte Pereira, la professeure de gestion des risques et RH à l’EM Normandie. Il peut aussi servir de fusible en cas de crise, comme dans tous les secteurs d’activité. « Au niveau pénal, en revanche, le risque est faible. Il existe si la justice relève des infractions d’imprudence, mais la faute revient au chef d’entreprise, sauf si le DRH dispose d’une délégation de pouvoirs parfaite, ce qui est extrêmement rare », poursuit Brigitte Pereira.

Et la psycho ?

Restent les risques psychosociaux, un sujet de préoccupation pour le DRH d’un site industriel. « Ce genre d’activité est stressante, avec des enquêtes plus fréquentes et une peur de l’incident », analyse Caroline Diard. « On parle désormais du préjudice d’anxiété liée à l’exposition aux produits dangereux : le DRH doit y être attentif pour ses équipes, mais pour lui ? » interroge Sébastien Millet. « Aujourd’hui, le problème de ce genre de poste est qu’il repose sur une exigence de transparence qui n’est pas satisfaite et qui se heurte à la confidentialité économique. Le DRH est tenu au secret des affaires mais il doit également être transparent vis-à-vis des salariés et de l’extérieur : il est vraiment dans un double dilemme qui fait que ce métier n’est pas simple », relève Brigitte Pereira. « Pour être DRH en site industriel, il faut vraiment avoir l’envie, celle de créer des contacts humains, d’être au plus près du terrain. L’industrie possède une culture forte, que l’on aime ou pas. Tous les DRH que j’ai côtoyés dans ce milieu avaient envie d’être là. D’ailleurs, beaucoup de DRH de nos sites industriels ont d’abord été ingénieurs en production avant d’assumer un rôle dans les RH. Vous ne mettez pas un DRH sur un site s’il n’a pas cette volonté et cette appétence des relations humaines, qui sont peut-être plus difficiles sur les sites industriels », conclut Martin Virot, DRH de DuPont.

« On n’arrive pas chez nous par hasard », abonde Luc Wangen, de l’UIC. La plupart des DRH de sites sensibles ont été auparavant numéro 2 d’une usine et sont au fait des sujets. Si aucun parcours de formation spécifique n’existe, ils doivent mettre à jour leurs compétences au moment de leur prise de poste, puis régulièrement avec des juristes ou avec les fédérations professionnelles. « Moi, je venais de l’agroalimentaire, analyse Luc Wangen. Mais on m’a bien formé à la sécurité pour travailler en raffinerie. Il faut un changement de mentalité radical : placer la sécurité avant tout, malgré les contraintes de budget, de production… Quand on apprécie le travail en usine, devenir DRH d’un site sensible est très motivant : on rencontre une communauté de travail souvent hyper-engagée, avec une production à sortir, et des relations un peu différentes, de partage, en permanence. » Un DRH, directeur des réseaux humains, en somme.

Auteur

  • Lucie Tanneau