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OPCO : le changement à marche forcée

À la une | publié le : 01.03.2020 | Benjamin d’Alguerre

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OPCO : le changement à marche forcée

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Hier, en tant qu’OPCA, ils étaient les banquiers des plans de formation des entreprises. Devenus OPCO, les voilà chargés de nouvelles missions, parmi lesquelles l’enregistrement et le paiement des contrats d’apprentissage, dans un contexte financier incertain, ou l’accompagnement des TPE-PME. Ils s’y attellent… dans un calendrier serré !

Pas le temps de souffler ! À peine les onze opérateurs de compétences (OPCO) étaient-ils agréés en avril 2019, leurs délégations de gestion signées et leurs équipes installées – et encore, pas toutes ! – qu’ils se voyaient déjà envoyé en première ligne sur le front de l’apprentissage. La raison ? Sous la pression des chambres de métiers de l’artisanat qui redoutaient de rater la rentrée de l’apprentissage 2020, le Gouvernement a avancé au 1er septembre 2019 l’application de la prise en charge financière des contrats d’apprentissage selon la règle du « coût-contrat » qui n’aurait dû entrer en vigueur… qu’au 1er janvier 2021 ! Branle-bas de combat dans les OPCO, contraints de récupérer et de traiter en urgence le stock des quelque 485 800 contrats d’apprentissage enregistrés sur la base de données Ariane – jusqu’alors à la main des chambres consulaires – afin d’être en mesure de payer les CFA concernés en temps et en heure. Histoire de rajouter un peu de difficulté à un exercice déjà compliqué que les OPCO accomplissaient pour la première fois, ce transfert de compétences accéléré s’est déroulé dans un contexte de croissance exceptionnelle de l’apprentissage (+ 16 %) ! En fonction des pratiques des branches en matière de recrutement d’apprentis, les OPCO se sont donc retrouvés à devoir gérer en un temps record une masse parfois colossale de contrats : OPCO EP (artisanat et libéraux), 110 000 contrats. Constructys (BTP), 80 000. Opcommerce (commerce), 60 000. Atlas (banque, assurance, conseil), 40 000. Ocapiat (agro-alimentaire), 37 000. Afdas (culture et loisirs), 14 000…

Contrats orphelins

Malgré ce tempo ultra-serré, les OPCO ont bataillé ferme pour être au rendez-vous le jour J, mobilisant leurs collaborateurs normalement dévolus à d’autres fonctions sur cette tâche, ou recourant massivement à l’intérim ou aux CDD pour renforcer les équipes. Un effort couronné de succès, puisque les quelque 1 200 CFA récipiendaires ont, dans leur immense majorité, perçu en septembre un premier acompte leur permettant d’aborder sereinement la rentrée en attendant le versement du reliquat en mars et juin prochains. La mission des OPCO n’est cependant que partiellement accomplie, car l’heure est aujourd’hui à la traque des quelque 20 000 « contrats orphelins » ou « fantômes » égarés dans la nature. Pour la plupart, des contrats incomplets, imparfaitement renseignés ou que les CCI ont négligé d’enregistrer en fin d’année dernière dans l’attente du transfert de cette responsabilité aux OPCO. Et la chasse est d’autant plus acharnée que la règle fixée par la loi avenir professionnel est stricte : tout contrat enregistré doit disposer d’un financement associé. Aussi, au moment où la ressource financière appuyée sur la contribution apprentissage des entreprises reste stable (environ 10 milliards d’euros) alors que dans le même temps, le nombre d’apprentis augmente et que le montant des coûts-contrats définis par France Compétences dépasse souvent celui des anciens « coûts préfectoraux » calculés par les Régions antérieurement à la réforme, la rigueur la plus extrême est de mise, et chaque euro compte ! « On ne payera que si derrière chaque contrat, il y a un apprenti et une prestation ! » avertit mezzo voce un ponte de l’UIMM dont la branche relève aujourd’hui d’OPCO 2i.

Soutenabilité financière

Un message directement adressé au ministère du Travail. Pour éviter de mettre les acteurs de l’apprentissage en difficulté lors de cette « année zéro » d’entrée en vigueur de la réforme, ce dernier a rusé. D’une part en accélérant le rythme des versements des contributions formation et apprentissage des entreprises vers France Compétences, afin que 98 % des fonds nécessaires au bon fonctionnement des CFA soient réunis dès 2019 (alors que cette collecte aurait dû être lissée sur deux ans) et d’autre part, en autorisant exceptionnellement France Compétences à emprunter auprès des banques pour disposer de la ressource suffisante à acquitter aux établissements de formation d’apprentis par le biais des tuyaux des OPCO. Pourtant, personne n’est dupe sur les risques à venir : si la croissance du nombre d’apprentis venait à se maintenir à 7 ou 8 % par an, les capacités de France Compétences se révéleraient insuffisantes pour régler la facture dès 2022 ou 2023 ! Conscients du problème, Muriel Pénicaud et Gérald Darmanin ont d’ailleurs missionné en novembre dernier les Inspections générales des affaires sociales (Igas) et des finances (IGF) afin que celles-ci définissent des orientations susceptibles d’assurer la soutenabilité financière du régime. Mais sans augmentation de la contribution apprentissage des entreprises – ce que l’exécutif affirme s’interdire – l’affaire semble mal engagée. « Il n’y a pas de secret : le développement de l’apprentissage constitue une priorité. Mais si les financements ne sont pas au rendez-vous, il faudra négocier des ressources supplémentaires auprès de France Compétences… ou plafonner le nombre de contrats à financer », soupire Philippe Degonzague, le président (Fédération Syntec) d’Atlas. Comme le ministère du Travail semble refuser d’envisager une systématisation du recours à l’emprunt par France Compétences, le scénario le plus probable qui se dessine est celui d’une bascule entre les différents budgets à la main des financeurs de la formation. En clair : puiser dans les caisses des autres dispositifs pour alimenter celle de l’apprentissage. « J’ai peur que les fonds affectés au plan de développement des compétences des entreprises de moins de 50 salariés ne deviennent la variable d’ajustement retenue par la mission Igas-IGF », confie Éric Chevée, vice-président CPME de l’OPCO EP. La situation, en tout cas, stupéfie les spécialistes du droit de la formation : « À moins d’un recours à l’emprunt ou d’une réaffectation des budgets entre pôle de dépenses, c’est intenable. C’est la première fois depuis la loi fondatrice de 1971 qu’une réforme de la formation n’est pas appuyée sur une enveloppe fixe ! » s’agace l’un d’eux.

La course aux contributions extralégales

Côté enveloppes, les OPCO ont conservé la main sur celle dédiée au plan de développement des compétences pour les entreprises de moins de 50 salariés. Même s’ils perdront la collecte associée en 2022, remplacés par les Urssaf. Mais la disparition de la contribution « plan » des entreprises de plus de 300 salariés a contribué à sérieusement rebattre les cartes des moyens alloués à la formation des salariés des TPE et PME. Grands perdants : les OPCO dont le périmètre comprend un nombre important de gros employeurs désormais exonérés de cotisations. C’est le cas d’Ocapiat, qui compte peut-être 98 % d’entreprises de moins de 50 salariés dans son champ, mais où la moitié de l’effectif total est employée par les géants de l’agroalimentaire (Nestlé, Lactalys) ou les grands organismes financiers de son périmètre (Crédit Agricole, MSA…). Résultat, son enveloppe TPME passe de 71 à 60 millions en 2020 ! Une situation pas aussi critique que pour l’OPCO 2i, où les 70 millions d’origine se voient réduits de moitié ! La perte est moins douloureuse chez Atlas qui, grâce à la branche du Syntec et ses 80 % de petites boîtes, réussit à conserver 44 millions en poche. A contrario, l’OPCO EP, qui recense 467 000 entreprises dans son périmètre mais dont seulement 3 000 comptent plus de 50 salariés, dispose d’un confortable trésor de guerre de 400 millions !

Pour les lésés de cette nouvelle clé de répartition, la situation est tendue, car l’insuffisance des ressources peut mettre en péril la formation dans les PME-TPE. La quête de nouveaux fonds devient stratégique pour les OPCO s’ils veulent rester d’équerre avec les missions que leur confie la loi du 5 septembre 2018. Si l’enveloppe de péréquation de France Compétences constitue le recours le plus logique, son contenu (482 millions) divisé entre les OPCO nécessiteux ne devrait pas couvrir tous les besoins. Aussi, le sésame pourrait se trouver dans l’incitation aux adhérents à verser des contributions extralégales à l’OPCO. Soit volontaires (par les entreprises), soit conventionnelles (par les branches). Dans certains secteurs, où la pratique des versements extralégaux ne relevait pas de l’évidence, le challenge s’annonce toutefois ardu : « À l’exception du périmètre des industries agricoles – soit celui de l’ex-OPCA Opcalim – qui pratiquait une politique de versements conventionnels à hauteur de 0,02 % de la masse salariale, nos branches ne s’engageaient pas sur l’extralégal », reconnaît Dominique Braoudé, président (SNFS) d’Ocapiat. Et d’ajouter : « Ce n’est pas notre rôle de demander aux branches d’engager une négociation sur ce point. En revanche, il relève de la mission d’Ocapiat, définie par les partenaires sociaux, d’accompagner toutes les entreprises. C’est pourquoi nous lançons un grand plan de développement pour aller chercher des contributions volontaires. »

Services premium

Comment convaincre les employeurs de verser au pot ? La stratégie choisie par les OPCO semble tendre vers la mise à disposition de leurs adhérents d’une gamme de services RH « à la carte ». Car si la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel confie aux opérateurs de compétences la mission d’accompagner et de conseiller gratuitement les TPE-PME, elle ne leur interdit pas en parallèle le développement d’une offre « premium » conditionnée au versement de contributions extralégales. Dans certains OPCO, le catalogue de cette gamme de prestations avancées est quasiment déjà bouclé : conseil sur les politiques de GPEC, aide à la mobilisation des fonds de la formation européens, construction d’EDEC sectoriels, conseil sur la coconstruction de parcours de formation mobilisant le CPF des salariés, etc. Une seule réserve : l’offre de service des OPCO, qu’elle soit payante ou gratuite, ne doit pas concurrencer celle des prestataires privés. Les PME dont l’effectif se situe entre 51 et 299 salariés et qui cotisent toujours aux fonds mutualisés de la formation sans recevoir de droit de tirage en retour constituent tout particulièrement le cœur de cible de cette nouvelle stratégie marketing. Autre avantage du développement d’une telle politique de versements extralégaux : le recouvrement de ces fonds resterait à la main des OPCO sans passer par les Urssaf. L’activité de collecte demeurant, pour nombre d’OPCO, la première porte d’entrée vers les entreprises, perdre ce lien privilégié constituerait un coup dur pour eux à l’heure où tous, à l’exception de l’Afdas et de Constructys qui ont gardé leurs anciennes identités d’OPCA, doivent imposer leur nouvelle marque.

Afdas (culture, communication, médias, loisirs, sport). Périmètre : 44 branches professionnelles. 70 000 entreprises bénéficiaires. 780 000 salariés.

Akto (« activités à haute intensité de main-d’œuvre » : propreté, intérim, hôtellerie-restauration, commerce de gros, formation professionnelle…). Périmètre : 32 branches professionnelles. 250 000 entreprises bénéficiaires. 4 millions de salariés.

Atlas (banque, finance, assurances, conseil, numérique). Périmètre : 15 branches professionnelles. 110 000 entreprises bénéficiaires. 1,6 million de salariés.

OPCO Cohésion sociale (acteurs du lien social, centres socio-culturels, acteurs de l’insertion et de l’emploi, habitat social…) Périmètre : 21 branches professionnelles. 40 000 structures et entreprises bénéficiaires. 1 million de salariés.

Constructys (bâtiment, travaux publics, négoce du bois et des matériaux de construction). Périmètre : 3 branches professionnelles. 197 000 entreprises bénéficiaires. 1,4 million de salariés.

Frais de gestion : des négociations sous haute tension

Les négociations des conventions d’objectifs et de moyens (COM) entre les OPCO et la DGEFP s’ouvrent le 5 mars. Elles détermineront notamment le montant des frais de gestion des OPCO, qu’un arrêté du 26 mars 2019 limite à une fourchette comprise entre 2 et 6 % du montant des sommes reçues par les opérateurs de compétences, au titre du développement de l’apprentissage et de la gestion du plan de développement des compétences des entreprises de moins de 50 salariés. Les discussions risquent de se révéler tendues, car c’est à partir de ces frais de gestion que les OPCO devront financer leurs services de proximité dans les territoires. Cette cagnotte en négociation pourra se voir renforcée par un maximum de 3 % des versements conventionnels et volontaires. Le développement de ces ressources particulières s’impose donc plus que jamais comme une priorité pour les OPCO.

OPCO EP (commerces et services de proximité, artisanat, professions libérales). Périmètre : 54 branches professionnelles. 467 000 entreprises. 4,5 millions de salariés.

OPCO Mobilités (ferroviaire, automobile, transport de voyageurs, tourisme…). Périmètre : 22 branches professionnelles. 210 000 entreprises. 1,6 million de salariés.

Ocapiat (agriculture, industries alimentaires, coopération agricole, territoires et pêche). Périmètre : 50 branches professionnelles. 184 000 entreprises. 1,3 million de salariés.

L’Opcommerce (commerce, grande distribution). Périmètre : 19 branches professionnelles. 90 000 entreprises. 1,7 million de salariés.

OPCO Santé (sanitaire, santé, social et médico-social à but non lucratif, hospitalisation privée, thermalisme, santé au travail). Périmètre : 4 branches professionnelles. 11 000 entreprises. 1 million de salariés.

OPCO 2i (industrie, métallurgie, plasturgie, chimie, pétrole…). Périmètre : 11 branches professionnelles. 70 000 entreprises. 3 millions de salariés.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre