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Vie des entreprises

Statut doré pour les salariés des aéroports de Nice et Marseille

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.04.2001 | Sandrine Foulon

32 heures, primes et avantages en tout genre : les salariés de Marseille-Provence auraient tort de se plaindre. Ceux de Nice-Côte d'Azur sont presque aussi gâtés. Mais, avec l'ouverture à la concurrence de la gestion aéroportuaire, les très sociales chambres de commerce pourraient bien perdre la main.

Jolie pagaille à Marseille-Provence, juste avant Noël, en raison d'une grève des bagagistes d'Air France survenant après celle des contrôleurs aériens de l'aviation civile. Retards et annulations de vols en cascade depuis le printemps 2000 à Nice-Côte d'Azur à cause des débrayages à répétition des salariés d'AOM, d'Air Liberté et d'Air Littoral. Pour bon nombre de passagers, les deux grands aéroports du sud de la France sont synonymes de galère, de week-ends contrariés ou de voyages d'affaires ratés. Les fautifs, ce ne sont pourtant pas les quelques centaines d'agents qui prennent en charge les avions au sol, assurent le transit des passagers, la maintenance et le développement commercial de la plate-forme aéroportuaire. Ils sont 500 sur les 4 600 personnes qui travaillent à Nice et 350 sur 4 700 salariés à Marseille, employés par les chambres de commerce et d'industrie niçoise et marseillaise, concessionnaires respectifs des deuxième et troisième aéroports français.

Même si la gestion des aéroports par les CCI est régulièrement remise en cause, le statut consulaire – de droit public mais distinct de la fonction publique – est beaucoup plus enviable que le sort des salariés de certaines compagnies aériennes, ballottés par les fusions. « Par comparaison avec les collègues d'AOM ou d'Air Littoral, les salariés CCI sont au chaud », reconnaît Jean, ouvrier dans les ateliers de l'aéroport de Nice. À Marignane, le label chambre de commerce suscite le même genre de commentaire flatteur. « Affirmer que les conditions de travail sont mauvaises serait exagéré, admet Robert Givaudan, délégué syndical FO. On n'en voit pas beaucoup qui démissionnent. » Les CCI ne connaissent pas les plans sociaux. En 1997, lorsque la directive européenne ouvre l'assistance technique en escale à la concurrence, tous les employés qui assuraient cette activité sur les pistes et les passerelles sont réintégrés dans d'autres services des chambres. Les conducteurs de bus sur piste deviennent magasiniers, superviseurs sûreté, voire contrôleurs d'exploitation.

Préretraite à 56 ans à Nice

Mais tous les aéroports consulaires ne se ressemblent pas. À Nice, les salariés bénéficient de la convention collective des chambres de commerce, ceux de Marseille dépendent de celle des ports et docks. « Un particularisme anachronique et archiprotecteur que la Chambre de commerce de Marseille partage avec cinq autres chambres de commerce », remarque un observateur. Dans leur local en préfabriqué, les délégués syndicaux CGT marseillais ne contestent pas les avantages de leur convention. « Je ne dirais pas que nous sommes des privilégiés. Disons qu'il faudrait que tout le monde soit comme nous », nuancent Pierre Boyer, Jean-François Sales et Bernard Muller. Leur cheval de bataille: « Surtout ne rien changer. » Et pour cause. Les salariés bénéficient d'un 13e mois, d'une prime d'intéressement de 1 600 francs, d'une « prime de chauffage » (pour compenser la perte d'avantages en nature) de 6 500 francs par an, de chèques-vacances, d'une allocation de rentrée scolaire. Les travailleurs postés qui font les 3 x 8 touchent une « prime de quart », qui varie entre 1 300 et 1 700 francs net mensuels sur vingt jours de travail… À cet inventaire s'ajoutent les avantages sociaux de la commission des œuvres sociales – l'équivalent du CE –, des prêts, une mutuelle consulaire. Cerise sur le gâteau, les salariés peuvent partir en préretraite à 57 ans et demi.

Sur ce point, l'aéroport de la Riviera bat Marseille d'un an et demi. Il y est en effet possible de faire son pot d'adieu dès 56 ans. Presque aussi choyés qu'à Marseille, les salariés niçois bénéficient, en plus, d'un compte épargne temps alimenté par la RTT, les congés payés, les heures supplémentaires ou du salaire.

Reste à préserver un tel statut dans un contexte de plus en plus déréglementé. À mi-chemin entre public et privé, les aéroports ne sont pas censés courir après les profits. Même si Nice et Marseille réalisent de belles progressions, ils sont attendus au tournant. Leurs détracteurs ne les trouvent pas suffisamment compétitifs, empêtrés qu'ils sont dans leurs lourdeurs de fonctionnement. Soumis au Code des marchés publics, ils n'ont pas les coudées franches pour engager une dépense supérieure à 35 000 francs. Quant à l'autonomie des établissements, elle reste limitée. Davantage encore à Nice qu'à Marseille. Rien ne se décide sans la bénédiction de la chambre.

« Que l'on soit “Carabacel” (du nom du boulevard où siège la CCI de Nice) ou “aéroport”, cela ne change rien, explique un cadre. On est “chambre”. » Les mêmes conventions s'appliquent à tous les établissements, le port, la Bourse de commerce ou l'école supérieure de commerce. Que l'établissement ferme ses portes à 18 heures du lundi au vendredi ou à 23 heures sept jours sur sept, comme à l'aéroport, ils doivent respecter la même durée du travail. Un véritable casse-tête.

Quarante-cinq jours de RTT !

Depuis 1996, tous les personnels de la Chambre de commerce de Marseille sont ainsi passés aux 32 heures. Ils ont hérité de quarante-cinq jours de RTT, en plus de leurs cinq semaines de congés payés. Un cadeau royal de départ de Bernard Cazes, le directeur général de la CCI de l'époque. « Il était vraiment très social », concède la CGT. Avec des prises de position à faire sortir le patronat local de ses gonds, le DG n'a négocié aucune contrepartie, en termes de flexibilité, d'annualisation du temps de travail ou de baisse de salaire. À Marseille, le passage aux 32 heures s'est accompagné du recrutement d'une centaine de personnes, dont 43 pour l'aéroport. Toutes les fonctions postées ont été complétées. Et de l'ouvrier de maintenance au président, tout le monde a été prié de venir travailler quatre jours par semaine.

Deux ans avant la loi Aubry, et bien avant que la RTT ne devienne un argument de marketing social, les dirigeants de l'aéroport ont été contraints de faire contre mauvaise fortune bon cœur. « Les quatre jours sont un progrès social. Surtout pour les femmes et les salariés postés, concède Pierre Régis, le directeur général de l'aéroport de Marseille. Mais ce n'est pas du tout évident à mettre en place pour les cadres. Comment compléter 20 % de l'activité d'un dirigeant ? Comment recruter un directeur marketing et lui expliquer qu'il travaillera 32 heures ? » Ce dernier, Philippe Wilmart, n'a d'ailleurs jamais goûté aux charmes des 32 heures. « J'ai commencé chez Sabena, où je travaillais déjà 45 heures hebdomadaires. En acceptant ce poste à l'aéroport, je ne m'attendais pas à faire plus de 50 heures par semaine, surtout avec la réputation du sud de la France, s'amuse le jeune directeur marketing d'origine belge. Le boulot est passionnant, mais concrètement ça veut dire être là cinq jours sur cinq et emporter du travail à la maison. » Il n'est pas seul dans ce cas. Même les travailleurs postés débordent parfois sur ces 32 heures. « Pas question de quitter l'aéroport si le dernier vol du soir a du retard. À chacun de prendre ses responsabilités », note un employé de Marseille-Provence.

À Nice, la pendule est officiellement arrêtée à 37 heures 30 hebdomadaires. Au 1er janvier 2002, toutes les chambres devront être passées aux 35 heures. Les responsables de l'aéroport attendent le résultat d'un audit sur le temps de travail. Du côté des syndicats, on espère une compensation en jours de RTT. À rajouter aux cinq semaines de congé et aux six jours déjà obtenus lors du passage de 39 heures à 37 heures 30. Quant aux cadres, qui représentent un tiers des effectifs, ils refusent d'être les dindons de la farce. « Les non-cadres peuvent mettre une partie de leurs heures sup sur un compte épargne temps. Les heures sup des cadres ne sont ni comptabilisées ni payées », souligne Éric Trichot, représentant du personnel CGC.

Pour l'ensemble des syndicats, de la CFDT au Syndicat national autonome des personnels des chambres de commerce (SNAPCC), les 35 heures sont un enjeu important. Prudente, la DRH de la CCI de Nice ne veut pas brûler les étapes et se garde d'évoquer d'éventuels recrutements. « La deuxième phase sera de créer un groupe de travail RTT pour entamer ensuite les négociations avec les partenaires sociaux avant l'été », souligne Armelle Châtelet, qui depuis cinq ans met en place une DRH transversale à tous les établissements consulaires de la cité niçoise.

La volonté, à Nice comme à Marseille, est de ressembler trait pour trait aux entreprises privées. Un effort qui passe aussi par de nouvelles politiques de rémunération. Respectivement en 1990 et 1994, les deux aéroports ont adopté la méthode Hay, outil d'analyse des postes de travail, pour remettre de l'ordre dans les métiers et salaires, encore aujourd'hui légèrement en dessous du marché. Mais Marseille vit toujours au rythme des augmentations collectives. Tous les deux ans, les non-cadres sont augmentés de 3,5 % jusqu'à un plafond de 35 %. Et 20 % du personnel change de coefficient tous les ans.

Un système « à la papa »

Mais l'individualisation fait lentement son chemin. « On fonctionne comme une entreprise normale, assure Hélène Etcheverry, la DRH de l'aéroport de Marseille. Tous les ans, sur proposition de la hiérarchie, entre 20 et 25 % des salariés sont augmentés au mérite. » Marseille réfléchit à un système d'intéressement pour ses cadres. À Nice, l'individualisation est nettement plus avancée. L'aéroport a rompu avec les augmentations à l'ancienneté de 5 % tous les trois ans. Les primes sur objectifs définis lors d'entretiens annuels d'évaluation ont été étendues à l'ensemble des salariés. Ces bonus peuvent atteindre plus d'un mois et demi de salaire. « On reste pourtant dans un système à la papa, déplore Éric Trichot, de la CGC. Les mentalités résistent à l'individualisation. Dans la pratique, les montants distribués ressemblent trop à du saupoudrage. Ce n'est guère motivant. Car, en parallèle, on nous demande d'être de plus en plus productifs. Et de travailler de plus en plus avec des équipes de sociétés sous-traitantes. Or, si on veut maintenir la qualité de service avec un personnel sous-qualifié, une forte présence sur le terrain est nécessaire. » À Marseille, Stéphanie Colin, ex-hôtesse du bureau d'accueil devenue superviseuse, est également confrontée à des populations précaires: intérimaires, CDD, sous-traités… « Entre les personnels chargés des chariots ou du contrôle aux rayons X, on doit faire preuve de compétences managériales de plus en plus pointues », souligne cette jeune femme de 29 ans qui est déléguée du personnel SNAPCC.

Ces exigences poussent les deux aéroports à booster leur politique de formation. Marseille y consacre 4,5 % de sa masse salariale, et Nice près de 6 %. En marge des formations au management, aux nouvelles technologies, à la sécurité dispensées sur les deux plates-formes, Marseille propose depuis sept ans un stage de gestion du stress, notamment pour les publics en contact avec la clientèle. En outre, les deux aéroports se sont lancés dans des politiques de certification. « Après Lille et Nantes, l'aéroport de Marseille est certifié ISO 9002, explique la DRH. La norme évolue et nous devrons sans cesse prouver la compétence de notre personnel dans le service rendu au client. D'où l'importance des programmes de formation. »

Les deux aéroports ont également dynamisé leur politique de recrutement. « Pour chaque embauche, on essaie d'envisager les évolutions de carrière », note Hélène Etcheverry, DRH de Marseille-Provence. Les nouvelles recrues, pour la plupart issues du secteur privé, ont donné un coup de jeune à la direction. Le directeur du marketing a 35 ans, le directeur des opérations 30 ans, le directeur technique 37 ans… Nice fait également largement appel aux compétences du privé et oriente de plus en plus ses embauches vers des cadres à valeur ajoutée. Loin des affres de certaines entreprises franciliennes en panne de candidats, les deux aéroports n'éprouvent guère de difficulté à recruter. Marseille reçoit bon an mal an 2 000 à 3 000 candidatures spontanées; Nice, entre 4 000 et 5 000. Soleil et air marin continuent de plaire. Et si l'on en croit les résultats du baromètre social de Nice réalisé tous les ans par un cabinet extérieur, il fait bon vivre sur les plates-formes aéroportuaires.

Un statut en sursis

Véritable serpent de mer, la réforme de la gestion des aéroports par les chambres de commerce ressort régulièrement des tiroirs. Critiquées pour leurs coûts trop élevés au regard des compagnies aériennes, menacées par des directives européennes qui prônent l'ouverture à la concurrence, les CCI pourraient bien un jour perdre la main. « Même si, pour l'heure, absolument rien n'est décidé en ce sens », assène Jacques Sabourin, secrétaire général de l'Union des chambres de commerce et des établissements gestionnaires d'aéroports (UCCEGA). Du côté de la CFDT, on est moins confiant. « En mars dernier, lors de l'assemblée générale de la section aviation civile à la Commission de Bruxelles, la sortie de la subsidiarité de la gestion des aéroports a été évoquée », rapporte Hervé Alexandre, secrétaire général de la branche transport aérien de la CFDT. Une évolution que les observateurs pronostiquent à l'horizon de deux à trois ans. Déjà, le nouvel aéroport de fret de Vatry (en Champagne) est géré par une filiale montréalaise.

Dès lors, différentes logiques s'affrontent. Si les Vivendi and Co. entrent dans la danse, les exigences en termes de retour sur investissement risquent d'être beaucoup plus élevées. D'où une augmentation probable des taxes passagers, aéroportuaires, domaniales.

Pour l'heure, des pistes de réflexion sont en cours, telle la création de sociétés aéroportuaires avec un gestionnaire public majoritaire et des prises de participation privées. Une solution qui préserverait momentanément les salariés de droit public « qui, le cas échéant, auraient beaucoup à perdre », assure un syndicaliste.

Auteur

  • Sandrine Foulon