Peut-on « gérer » les salariés âgés autrement qu'en les mettant au rebut ? La question apparaît presque surréaliste dans un pays qui croit dur comme fer aux vertus du jeunisme et qui se dope à la préretraite depuis une vingtaine d'années. Elle va pourtant bientôt devenir d'une brûlante actualité. Tout d'abord pour des raisons démographiques. D'ici à 2015, la population des 25-50 ans va diminuer de 1 million environ, tandis que celle des 50-65 ans va, elle, s'accroître de pratiquement 4 millions. Sauf à ouvrir tout grand les vannes de l'immigration, l'économie française devra prendre la main-d'œuvre là où elle se trouvera alors, et en abondance : chez les quinquas et les sexagénaires.
Que le coût de leur inactivité soit supporté par l'assurance chômage, l'État, les régimes de retraite ou les entreprises elles-mêmes, son poids va, du fait du vieillissement accéléré de la population, vite devenir insupportable. La pérennité de nos retraites par répartition étant étroitement liée au ratio entre actifs et retraités, l'arrivée imminente des gros bataillons de « baby-boomeurs » à 60 ans, combinée à l'augmentation de l'espérance de vie, conduira inévitablement à allonger la durée de cotisation requise pour bénéficier d'une pension à taux plein.
Le maintien des plus anciens au travail va enfin devenir inéluctable pour des raisons politiques et juridiques. L'étau européen se resserre en effet sur les entreprises françaises. Le sommet qui s'est tenu le mois dernier à Stockholm a ainsi décidé de faire pression sur les États membres afin qu'ils relèvent progressivement le taux d'emploi des 55-65 ans à 50 % en 2010. Par ailleurs, une directive sur l'égalité de traitement, adoptée en novembre dernier, interdit toute discrimination fondée sur l'âge en matière d'emploi et de travail. Or ce texte communautaire est sur le point d'être transposé dans la législation française via une proposition de loi de « lutte contre les discriminations dans l'emploi », signée Jean Le Garrec et actuellement en discussion au Parlement. Si ses dispositions sont définitivement votées – elles pourraient l'être courant avril –, le réveil risque d'être brutal pour nombre d'entreprises hexagonales. Sera en effet jugée discriminatoire, donc nulle et pénalement sanctionnée, toute mesure d'embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de promotion, de mutation, de renouvellement de contrat ou de licenciement qui apparaîtra justifiée par l'âge du salarié. Un sacré pavé dans la mare.
à l'égard de ses salariés vieillissants. Les chiffres sont accablants. Seul un Français sur trois travaille encore entre 55 et 65 ans, contre près d'un Allemand et un Britannique sur deux, et pas loin de deux Américains ou Japonais sur trois. Un chômeur de plus de 50 ans a, selon sa qualification, entre trois et six fois moins de chances d'être recruté qu'une personne plus jeune que lui (aux États-Unis, les probabilités de réemploi sont similaires). Et, pour un salarié quinquagénaire, la possibilité d'accéder à un stage de formation est pratiquement inexistante.
Autant dire que la France va devoir changer son fusil d'épaule. Et remettre en cause ses préjugés à l'encontre des salariés grisonnants. Aux yeux des chefs d'entreprise, ceux-ci sont à la fois trop chers, démotivés, peu mobiles, réticents à se former, dépassés par les nouvelles technologies et, en définitive, moins performants que les plus jeunes. Un verdict sans nuances à mille lieues des qualités que leur prêtent, selon une récente enquête du cabinet Brunhes, les dirigeants américains : taux d'absentéisme moindre, aptitudes relationnelles, capacité à prendre du recul et à s'auto-organiser, loyauté plus forte envers l'employeur.
pour le départ anticipé de leurs salariés : si le robinet du FNE se referme, les préretraites maison ou de branche se développent en effet à tout va. À ces dispositifs couperets, il faut substituer une transition en douceur vers la retraite (temps partiel, préretraite progressive). À revoir également : les modalités de rémunération à l'ancienneté qui pénalisent les plus âgés. Essentielle au maintien de la performance de ces derniers, la formation suppose de son côté des méthodes pédagogiques adaptées, à leur rythme notamment. Autre piste à explorer : une seconde carrière dans les services aux personnes, le secteur associatif, le conseil, à des postes relationnels aux exigences de productivité moindres. Les entreprises doivent enfin se doter d'une gestion prévisionnelle des âges et veiller à ce que les conditions de travail préservent, ou n'aggravent pas, le potentiel physique et mental de leurs salariés. L'accord signé début mars chez PSA, qui vise à intégrer les contraintes ergonomiques liées à l'âge dès la conception des nouveaux véhicules, est à cet égard exemplaire.