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Politique sociale

Les recettes de nos voisins pour faire face à la dépendance

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.04.2001 | Isabelle Moreau

Plus égalitaire et mieux ciblée que le dispositif précédent, la future allocation personnalisée à l'autonomie restera en France une aide sociale pour les plus de 60 ans. Ce n'est pas le choix d'autres pays qui, comme l'Allemagne, couvrent toutes les personnes dépendantes, sans conditions d'âge ni de ressources.

Marie Dyèvre a 86 ans et demi. Il y a un an environ, sa vue a commencé à baisser. Mais elle ne se trouve pas « mal-en-point », même si elle avoue se déplacer avec deux cannes dans son deux-pièces parisien et ne pas pouvoir sortir seule, « à cause de [ses] vertiges ». Heureusement, ses huit enfants viennent régulièrement la voir et l'accompagner pour « une petite marche dehors ». Car cela, l'aide-ménagère qui vient deux heures tous les matins ne le fait pas. Récemment, Marie Dyèvre a demandé à bénéficier de la prestation spécifique dépendance afin d'obtenir davantage d'aide. Elle saura dans peu de temps si elle correspond aux critères fixés par la loi. Mais elle pourrait aussi profiter directement de la future allocation personnalisée à l'autonomie (APA), qui devrait remplacer, au 1er janvier 2002, la très critiquée PSD. Un dispositif créé en 1997 par le gouvernement d'Alain Juppé, auquel on reproche son caractère inégalitaire, en raison de la trop grande disparité des sommes versées par les départements, et le faible nombre de ses bénéficiaires (135 000).

Accessible à toutes les personnes dépendantes de plus de 60 ans, l'APA devrait concerner 800 000 personnes, qui percevront, quel que soit le département dans lequel elles habitent, entre 3 000 et 7 000 francs, selon leur degré de dépendance et le montant de leurs revenus. Coût de l'opération : 15 à 17 milliards en 2002 et 2003, et 23 milliards de francs en vitesse de croisière, largement supportés par les conseils généraux, le Fonds de solidarité vieillesse et l'assurance vieillesse. « C'est toujours la logique d'aide sociale qui prime, regrette Claude Martin, sociologue au CNRS. En attendant de faire mieux, on fait le minimum. » « Le problème de base dans l'approche française, ajoute Francis Kessler, maître de conférences à l'université Paris I, c'est qu'on relie la dépendance aux personnes âgées. Mais on peut aussi être dépendant quand on est jeune ! » s'exclame-t-il. Comme beaucoup des détracteurs de la nouvelle prestation, il préconise la création d'un véritable risque de Sécurité sociale consacré à la dépendance.

Ce choix, l'Allemagne, l'Autriche et le Luxembourg l'ont fait. Obéissant en cela à la logique bismarckienne qui couvre les travailleurs et leur famille contre les risques sociaux. En Grande-Bretagne et en Irlande, c'est l'État qui prend en charge la dépendance, gérée de façon décentralisée. Dans les pays scandinaves aussi, mais les aides y sont plus généreuses que dans le monde anglo-saxon.

Allemagne

Un risque couvert par les assurances sociales

Deux fois par semaine, Hanne, une jeune Allemande de 20 ans, rend visite à Jenny Krenz. À 85 ans, cette vieille dame, qui vit seule dans un HLM du quartier ouest de Berlin, bénéficie d'une aide-ménagère fournie par les services sociaux. Ce qui soulage sa fille Ingrid, jeune retraitée. Jenny Krenz sait qu'un jour elle se retrouvera peut-être dans la même situation que les quelque 1,9 million d'Allemands bénéficiaires de la Pflegeversicherung, la prestation dépendance créée outre-Rhin. Si cette perspective lui fait peur, la vieille dame sait aussi qu'elle ne sera pas « un poids pour [ses] proches ». Car le dispositif allemand, entré en application le 1er juillet 1995 pour les personnes maintenues à domicile, et six mois plus tard pour celles placées en hébergement, fonctionne bien. Il est même envié, voire copié par les pays voisins.

Le principe retenu, qui a tout de même mis vingt ans à mûrir, est celui d'un cinquième risque, universel, sans conditions d'âge ni de ressources. C'est un véritable pilier de l'assurance, créé à l'origine pour enrayer l'explosion des dépenses d'aide sociale qui grevaient fortement le budget des Länder. Financé par une cotisation que supportent à part égale salariés et employeurs – avec comme compensation pour satisfaire le patronat la suppression d'un jour de congé –, le système coûte cher. « Mais ce n'est pas un flop financier. Il y a même des réserves », précise la gérontologue Hannelore Jeni.

Il est vrai que près de 80 % des personnes dépendantes ont opté – comme les pouvoirs publics l'avaient prévu – pour une prestation en espèces, dont le montant maximal est de 1 300 marks, environ 4 370 francs, c'est-à-dire quasiment la moitié de l'aide en nature (2 800 marks par mois, soit 9 400 francs). Avec la prestation en espèces, la personne reçoit l'argent pour rémunérer une aide à domicile de son choix (qui peut être un membre de la famille). Dans le cas de l'aide en nature, elle fait obligatoirement appel aux services d'un réseau professionnel. « La première année, explique Hannelore Jeni, les spécialistes estimaient que, si la loi était strictement appliquée, le système serait en faillite au bout d'un an. » L'État a donc veillé à ce que l'attribution des trois degrés de dépendance soit encadrée. Et la pléthore de médecins embauchés en CDD pour épauler ceux des caisses maladie « se faisaient taper sur les doigts s'ils ne respectaient pas les consignes ; on ne leur renouvelait parfois pas leur contrat », poursuit la gérontologue allemande. Résultat : des personnes atteintes de démence sont restées à l'écart du dispositif. Mais, très vite, l'État et les caisses d'assurance dépendance, conscients du problème… et de l'importance des réserves accumulées, ont lâché du lest.

Plus de cinq ans après, on peut dire que le « système est bien rodé, commente Gerhardt Igl, professeur de droit à l'université de Kiel. En plus il offre une véritable protection sociale aux aidants, qui peuvent également suivre une formation ». Ceux-ci bénéficient en effet de points de retraite calculés en fonction de la durée passée auprès de la personne et du degré de la dépendance. Ce sont les caisses de dépendance qui cotisent directement auprès des caisses de retraite. Ces salariés ont également une couverture pour les accidents du travail prise en charge par les communes.

Luxembourg

Une assurance dépendance plutôt généreuse

Comment éviter que les personnes dépendantes fassent des séjours à rallonge dans les hôpitaux ? C'est la question que s'est posée au début des années 90 le plus petit pays d'Europe, avec ses 450 000 habitants. Avant d'y répondre en juin 1998 par la mise en place d'une assurance dépendance, largement inspirée du modèle allemand. Si, comme sa grande sœur allemande, l'assurance dépendance luxembourgeoise ne tient pas compte de l'âge mais de la maladie et du handicap, elle s'en distingue en revanche par son mode de financement. Pas question en effet d'introduire des cotisations supplémentaires. L'État y participe donc à hauteur de 45 %, « le reste étant financé par une contribution sociale généralisée et le produit d'une taxe sur l'énergie électrique », explique Nicole Kerschen, conseillère de la ministre de la Sécurité sociale luxembourgeoise entre 1989 et 1999 et véritable cheville ouvrière de la réforme.

Autre différence avec le modèle allemand, l'absence au Luxembourg de niveaux de dépendance. Certes, en 1996, lors de la rédaction du projet de loi, « il y avait bel et bien trois degrés de dépendance plafonnés, raconte Nicole Kerschen, actuellement chercheuse au CNRS. Mais nous nous sommes heurtés à la contestation des prestataires de services de maintien à domicile et des syndicats, hostiles à un plafonnement, partant du principe que l'assurance maladie ne l'est pas. Nous avons dû supprimer les différents niveaux de dépendance ». Résultat : la loi tient compte du temps d'aide et des soins requis par la personne et ne fait pas rentrer les gens dans des « cases » de dépendance. Quant au montant des aides, s'il reste plafonné, c'est à un niveau très élevé.

L'assurance dépendance luxembourgeoise, attribuée sans condition de ressources, est destinée à couvrir les frais générés par l'emploi d'un salarié chargé d'aider les personnes dépendantes à effectuer les actes essentiels de la vie dans leurs tâches domestiques et leurs sorties. L'assurance maladie continue de couvrir les frais relatifs à la maladie. Comme en Allemagne, les prestations en nature sont généreuses, avec un maximum de… 23 500 francs par mois pour les personnes les plus dépendantes. En revanche, les allocations versées en espèces ne dépassent pas 5 000 francs par mois. Une somme plafonnée, à la demande du ministère de la Promotion de la femme, pour inciter les Luxembourgeoises à rester sur le marché du travail au lieu de se contenter d'un salaire reçu pour aider un parent proche.

Suède

Priorité à l'aide à domicile des personnes dépendantes

Élisabeth est décédée l'an dernier, à l'âge de 90 ans. Un souvenir douloureux pour sa petite-fille, Frederika : « À la fin de sa vie, elle était tellement diminuée qu'elle recevait la visite toutes les deux heures, y compris la nuit, d'une aide-soignante, d'une infirmière ou d'un médecin. » Ce qui n'était pas simple, la vieille dame habitant une maison en rase campagne. « Mais au moins, reconnaît Frederika, elle a pu vieillir chez elle. » Un souhait partagé par la grande majorité des Suédois. À l'instar d'Ulla et d'Einar Knutsen-Öy, qui totalisent à eux deux plus d'un siècle et demi. Ce couple a obtenu de sa commune, située près de Stockholm, l'aménagement de son trois-pièces, notamment une meilleure accessibilité des toilettes et de la salle de bains. Et cela suffit pour le moment.

Ces exemples ne sont pas isolés. Rompant définitivement avec la politique menée dans les années 60 de placement systématique en maison de retraite, la Suède a clairement fait le choix du maintien à domicile. Jugé plus humain et, surtout, moins coûteux pour la collectivité. Car, dans ce petit pays de quelque 9 millions d'habitants, la prise en charge de la dépendance est totalement publique, financée à 100 % par l'État. Un système universel, très généreux et géré par les communes. Depuis janvier 1992, elles doivent proposer des solutions aux personnes âgées ou handicapées nécessitant une assistance et des soins de longue durée.

« Les communes ont la maîtrise d'œuvre de l'aide à la dépendance, précise Francis Kessler. Elles peuvent sous-traiter à des prestataires qui proposent des hospitalisations de jour, car les personnes souhaitent la plupart du temps rester chez elles. » Elles doivent aussi, lorsque ces dernières le veulent, pouvoir offrir une place en institution ou un logement adapté à la mobilité de la personne. Certes, le système suédois est facilité « par la taille harmonieuse des communes », comme le fait remarquer le sociologue Claude Martin, mais il offre du sur-mesure. Sans faire peser sur la famille le poids de la prise en charge de la dépendance. « C'est le système le plus abouti, confirme Nicole Kerschen, car il est fondé sur le seul besoin des personnes. Quand il y a un besoin, c'est la collectivité qui l'assume et non l'aide sociale. »

Grande-Bretagne

Les communautés locales, maîtres d' œuvre du Long Term Care

Steve Squires se sera longtemps battu pour son père, Charles. Contre le National Health Service, le service de santé britannique. Atteint de la maladie d'Alzheimer, Charles Squires, qui vient de décéder à l'âge de 85 ans, avait été placé par les services sociaux de Devon, une ville située à 200 kilomètres de Londres, dans une maison médicalisée, et non dans une maison de retraite. « C'était normal, car son état nécessitait une assistance 24 heures sur 24, explique son fils Steve. Ce qui l'était moins, en revanche, poursuit-il, c'est qu'on m'ait demandé de payer pour mon père, les services sociaux estimant qu'il n'avait besoin que d'une aide ponctuelle. Pour moi, c'était inacceptable. J'ai même écrit au secrétaire d'État à la Santé, Alan Milburn, pour le lui dire. Ces soins devraient être gratuits ! »

C'est aussi ce que pensent les membres de la Commission royale mise en place en décembre 1997 par le gouvernement Blair afin de réfléchir à un système durable de financement des soins de longue durée pour les personnes âgées. Ils l'ont d'ailleurs écrit noir sur blanc dans un rapport publié le 1er mars 1999, dans lequel ils suggéraient notamment de financer par l'impôt les dépenses de soins, dans le cadre du Long Term Care. Seules les dépenses d'hébergement devant être soumises à condition de ressources.

Las ! Deux ans après, « le gouvernement n'a toujours rien fait », regrette Steve Squires. Et les communes qui, depuis le Community Care Act de 1990, appliqué en 1993, supportent l'évaluation et la prise en charge des personnes âgées et handicapées répondent plus ou moins bien aux besoins. Ce dispositif décentralisé est jugé globalement satisfaisant puisqu'il traite les problèmes au cas par cas, mais il génère des inégalités de traitement assez importantes en fonction du lieu de résidence. Car le principe est le suivant : « Les services sociaux gèrent des sommes provenant de financements conjoints des autorités locales et du NHS, avec lesquels ils achètent des services à des prestataires, le plus souvent privés », indiquent Laurence Assous et Pierre Ralle dans une étude internationale sur la question menée pour le compte de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la Solidarité. En général, les autorités locales proposent un « care package (“programme de soins”) et prennent en charge la totalité des frais que le patient ne peut assumer ». Après examen, toutefois, des revenus de la personne, comme c'est d'ailleurs le cas pour l'ensemble des aides publiques en Grande-Bretagne.

Celle apportée aux personnes âgées dépendantes est ainsi soumise à un plafond de patrimoine de… 18 000 livres (soit environ 180 000 francs). « Les personnes qui ont un patrimoine excédant le plafond doivent en principe payer la totalité des charges, jusqu'à ce que leurs actifs soient réduits à ce niveau. C'est le principe du spend down », explique Laurence Assous. Celles qui ont des revenus inférieurs à 10 000 livres (100 000 francs) par an ne déboursent rien, tandis que celles qui ont des revenus compris entre ce plancher et ce plafond (100 000/180 000 francs) acquittent une partie de leurs dépenses.

Le système est critiquable. Car beaucoup de Britanniques sont propriétaires de leur maison et disposent donc d'un patrimoine largement supérieur au plafond. C'est pourquoi « lorsqu'ils sont propriétaires de leur maison, mais disposent de faibles retraites, poursuit Laurence Assous, ils bénéficient en général de l'aide maximale, que l'autorité locale récupère à la vente des biens, réalisée après le décès » !

Dans les pays du Sud, c'est avant tout une histoire de famille

Mauro Ferrante a bon pied, bon œil malgré un diabète qu'il traîne depuis plus de dix ans. À 72 ans, ce retraité des postes italiennes vit à Milan avec sa femme, aux petits soins pour lui. Mais à l'instar de beaucoup de retraités italiens, comme le révèle une récente étude réalisée par la CGIL, le principal syndicat italien, Mauro Ferrante a peur de l'avenir. Peur de dépendre des autres. Et c'est légitime. Car si l'État italien prévoit depuis peu la « possibilité de prendre trois jours de congé par mois pour s'occuper d'un parent âgé », précise Laurence Assous, chargée d'études à la Drees, il ne prévoit guère autre chose sur le plan national.

« Les pays du Sud ont des systèmes balkanisés, commente le sociologue Claude Martin. Il n'y a pas de droit commun. Il existe des programmes spéciaux, gérés au niveau local. Ce qui génère des inégalités. » C'est particulièrement vrai en Italie, où la prise en charge de la dépendance s'apparente à une véritable loterie. Seule l'Espagne, où la dépendance est gérée au sein du système de protection sociale par les Communautés autonomes, se distingue un peu du lot, avec la mise en place d'un « plan d'action 2000-2005 » pour les personnes âgées qui vise à moderniser le dispositif. Mais, en Espagne, les solidarités familiales – essentiellement l'apanage des femmes – jouent plein pot pour la prise en charge de la dépendance. « Dans le schéma du Sud, analyse Nicole Kerschen, la famille a l'obligation morale de s'occuper des personnes âgées et l'État n'a pas à s'y immiscer. » Reste que, confrontés à l'augmentation du taux d'activité des femmes, ces pays ne pourront longtemps encore laisser de côté le problème de la dépendance… et de sa prise en charge.

Auteur

  • Isabelle Moreau