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Politique sociale

Le leadership syndical d'IG Metall malmené outre-Rhin

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.04.2001 | Sabine Syfuss-Arnaud

Dépassé, le supersyndicat des métallos ! D'abord par la montée en puissance du moderne IG Chemie, qui a fait la preuve de son efficacité dans les grandes négociations, là où le radicalisme d'IG Metall montre ses limites. Mais aussi par la création de Verdi, qui lui vole le premier rang outre-Rhin.

Révolution dans le paysage syndical allemand. L'IG Metall est détrôné ! La puissante organisation de la métallurgie n'est plus la première fédération syndicale au monde. Elle a été doublée par un challenger d'outre-Rhin, Verdi (pour Vereinigte Dienstleistungsgewerkschaften, Syndicat unifié des services). Ce syndicat géant, constitué le 19 mars dernier, est le fruit de la fusion entre ÖTV, syndicat des services publics et des transports et deuxième syndicat de branche allemand, DAG, celui des employés, DPG, le syndicat de la Deutsche Post, HBV (commerce, banque, assurance) et IG Medien (médias). Avec 2,9 millions de syndiqués, Verdi, présidé par Frank Bsirske, l'ancien leader d'ÖTV, dépasse le doyen IG Metall, qui compte 2,6 millions d'adhérents. Les jeux étaient cependant loin d'être faits. Dans chacun des cinq syndicats, 80 % des troupes devaient en effet accepter la fusion. Et la presse allemande n'a pas manqué de pointer les arrière-pensées des caciques syndicaux, qui craignaient de perdre leur pouvoir et leur titre au sein de la nouvelle structure.

Pour IG Metall, la création de Verdi tombe d'autant plus mal que le syndicat des métallos voit son leadership dans l'industrie contesté par un autre trublion, IG Chemie, rebaptisée IG BCE (Bergbau, Chemie und Energie : mines, chimie, énergie) en 1997. Au printemps 2000, alors que les métallos ont lancé des grèves d'avertissement pour tenter de faire passer leurs revendications en force, le syndicat de la chimie a conclu le premier ses négociations salariales. Résultat, c'est IG Chemie qui a donné le la pour l'ensemble de l'économie allemande. Et damé le pion au syndicat de la métallurgie, toujours en pointe dans ce genre de marathon. Patron de la chimie, Hubertus Schmoldt a négocié une hausse de rémunération de 4,2 % sur vingt et un mois et un élargissement du système de préretraite à temps partiel.

Des conditions qui lui ont valu les félicitations de la très orthodoxe Bundesbank et qui lui ont permis de couper l'herbe sous le pied à la centrale de la métallurgie. Jusqu'au-boutiste, IG Metall réclamait 5,5 % de hausse de salaire sur un an et la retraite à 60 ans. Son président, Klaus Zwickel, a certes clamé que l'accord de la chimie « n'[était] pas un modèle ». Mais il a dû en rabattre sur ses exigences et conclure in extremis un accord moins généreux. Il a retiré son projet sur la retraite et signé, six jours après la chimie, un texte prévoyant une hausse de salaire de 5,1 % sur deux ans.

À IG Chemie le sens du réalisme

Ce n'est pas la première fois que le troisième syndicat de branche outre-Rhin, fort de ses 900 000 adhérents, vole la vedette à son grand frère. Ce n'est pas non plus la première fois que la presse allemande parle d'un « affaiblissement » de la centrale de Francfort au profit de celle de Hanovre. Depuis des années, IG Chemie attire l'attention par son sens de la conciliation, de l'innovation et du réalisme. Dans les années 80, le syndicat avait négocié une convention collective sur la classification, commune aux ouvriers et aux cadres, un résultat auquel les métallurgistes ne sont jamais parvenus. Il a été parmi les premiers à accepter, lors des négociations annuelles salariales, les fameuses Offnungsklausel, les « clauses d'ouverture », qui permettent à certaines entreprises de déroger, dans des limites clairement définies, aux règles de la branche. Une souplesse particulièrement importante à l'Est, où les entreprises de la chimie ont été restructurées de fond en comble au prix d'une sévère réduction des effectifs, ramenés de 300 000 à 30 000 personnes !

Sur un sujet épineux comme la retraite, Klaus Zwickel est apparu très rigide avec son projet de cessation d'activité à 60 ans, au lieu de 65 ans. Alors que la centrale de Hubertus Schmoldt (voir encadré, page 39) a joué le réalisme, en s'appuyant sur la loi de 1996 relative à la mise à la retraite partielle. Un dispositif voisin de l'Arpe française, qui permet aux salariés proches de la soixantaine de lever le pied en douceur, en conservant près des deux tiers de leur salaire, en contrepartie de l'embauche d'un jeune. Les chimistes font preuve du même réalisme au plan international. Dès l'annonce de la fusion entre Hoechst et Rhône-Poulenc, ils ont fait d'Aventis un test grandeur nature de ce que pourrait être la coopération syndicale européenne, multipliant les contacts et les tracts bilingues avec leurs homologues français et faisant pression auprès de Jean-René Fourtou et de Jürgen Dormann pour que le groupe franco-allemand adopte la cogestion germanique.

Chez les métallos, les négociations menées à l'échelon européen depuis trois ans n'ont pas donné de résultats tangibles, sinon des échanges réguliers avec les Néerlandais et les Belges, et n'ont abouti qu'à des déclarations de principe sur une hausse concertée des rémunérations en fonction de critères communs.

Personnalités très différentes, Schmoldt et Zwickel usent de registres également très différents. On le voit notamment lors des réunions du Bundnis für Arbeit, l'Alliance pour l'emploi. Le premier s'y montre pragmatique, faisant des créations d'emplois sa priorité absolue. Le magazine Stern, qui l'a décrit dans un long portrait comme « un homme opposé à Marx et aux machos », n'a-t-il pas déclaré que « si tous étaient aussi disposés au consensus que le chef d'IG Chemie, il aurait émergé depuis longtemps déjà un nouveau modèle allemand au sein de l'Alliance pour l'emploi » ? Plus radical, le patron d'IG Metall, omniprésent dans les médias, campe sur des positions tranchées et use de la menace. Son entourage le reconnaît ouvertement : « Nous discutons, mais si la discussion n'aboutit pas, nous n'hésitons pas à passer à l'action. Ainsi, nous avons fait grève pendant six semaines en Bavière en 1995. Nous ne renoncerons jamais au combat social. »

Stratégie bien différente chez les chimistes, qui mettent un point d'honneur à promouvoir le « partenariat social ». « Placé à la droite des syndicats allemands, IG Chemie s'est toujours montré pragmatique », analyse Gerhard Bosch, professeur au centre de recherche Institut für Arbeit und Technik à Gelsenkirchen. Un des ténors du BDA, le patronat allemand, est plus mordant : « Le syndicat de la métallurgie, c'est un peu le dinosaure, la tradition de lutte des classes de l'ouvrier de l'industrie, alors que les gens de la chimie sont les intellos et les modernes. »

Il est vrai que les centrales ne chassent pas sur les mêmes terres. Membres toutes les deux du DGB, la Confédération unitaire des syndicats allemands, elles sont soumises à la règle intangible du ein Betrieb, eine Gewerkschaft, « une entreprise, un syndicat ». IG Metall est présent dans des milliers d'entreprises de toutes tailles, depuis le géant Volkswagen jusqu'à ses plus petits sous-traitants. Il lui faut donc concilier des intérêts diamétralement opposés. Le recrutement d'IG BCE est beaucoup plus homogène, ses adhérents appartenant essentiellement aux trois grosses entreprises du secteur, Bayer, BASF et Hoechst, devenu Aventis.

Des effectifs en chute libre

« Attention à ne pas méconnaître le subtil jeu entre les deux syndicats, prévient toutefois Gerhard Bosch, de l'Institut für Arbeit und Technik. Il y a constamment un jeu de balance entre les deux syndicats. IG BCE a vu son succès amplifié parce que IG Metall se positionnait comme un syndicat plus radical. » Tête pensante du patronat allemand et responsable de l'international, Renate Hornung Drauss discerne un « effet miroir » entre les deux centrales. Quant à Adelheid Hege, de l'Institut de recherches économiques et sociales, elle estime que le compromis sur la retraite a fait les affaires de Klaus Zwickel. La retraite à 60 ans aurait rogné sur les augmentations salariales, ce qui n'aurait pas été très porteur auprès d'une base qui aspire à des « augmentations salariales importantes, notamment chez les plus jeunes, peu motivés à payer pour un pacte de solidarité entre générations dont ils risquent fort de ne pas être les bénéficiaires plus tard ».

Reste que IG Metall, qui a perdu 800 000 adhérents en huit ans, et IG Chemie sont tous deux confrontés à une érosion de leurs effectifs. Face à ce désamour, les deux centrales tentent de réagir. Elles ont intégré de petits syndicats de branche et draguent la nouvelle économie. Mais la montée en puissance de Verdi ne fait pas leur affaire.

Les deux frères ennemis

Tous deux sont considérés comme honnêtes, sincères et compétents. Tous deux ont commencé comme apprentis dans l'industrie, ont été militants syndicalistes de la première heure et sont, comme la plupart de leurs homologues allemands, membres du Parti social-démocrate. Là s'arrêtent les points communs entre Klaus Zwickel, 61 ans, patron de la métallurgie depuis fin 1993, et Hubertus Schmoldt, 54 ans, diplômé d'économie et de sciences politiques, devenu numéro un de la chimie il y a cinq ans.

Réélu l'an dernier pour un dernier mandat, le chef des métallos est à la tête d'une centrale turbulente, hétérogène, qui, comme l'explique un ténor du patronat allemand, « oblige Zwickel à se radicaliser et à mettre sous le boisseau ses idées modernistes ». Sa succession est déjà ouverte, même si deux dauphins de poids ont quitté le syndicat : Walter Riester, devenu ministre du Travail du chancelier Schröder, et Harald Schartau, nommé depuis peu ministre du Travail du Land de Rhénanie-Westphalie. Restent en lice un orthodoxe, Jürgen Peters, actuel numéro deux de la centrale, guère plus jeune que Zwickel, et Berthold Huber, le moderniste et pragmatique patron d'IG Metall en Hesse.

Consensus et réalisme en interne comme en externe sont les maîtres mots chez IG BCE, surtout depuis qu'une poignée de contestataires ont été exclus il y a une quinzaine d'années. La coupe de cheveux sage et les lunettes cerclées donnent un air si posé à Hubertus Schmoldt que certains vont jusqu'à dire qu'il manque de charisme. Ce qui ne l'empêche pas de lancer des idées qui dérangent dans le monde syndical : oui à la modération salariale, oui à une partie de salaire variable en fonction de la performance, oui à la pluriannualisation du temps de travail. Cet ardent partisan du pragmatisme déclare faire 100000 kilomètres en train chaque année pour prendre le pouls du terrain, aller discuter en entreprise. Une idée que vient de faire sienne IG Metall qui entend se rapprocher des préoccupations de l'homme de la rue.

Auteur

  • Sabine Syfuss-Arnaud