logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

SERVICES EN TOUT GENRE POUR CADRES DEBORDES

Enquête | publié le : 01.04.2001 | Anne Fairise

Baby-sitters, concierges d'entreprise, salles de sport et cours de danse… Les sociétés les plus fortunées multiplient les services pour satisfaire leurs salariés préférés. Un créneau porteur pour les prestataires. L'Employee Relationship Management est peut-être en train de naître.

Trouver un soutien scolaire pour l'aîné, passer à la pharmacie, appeler la baby-sitter pour répondre à l'invitation à dîner de vieux amis et dégoter une bonne bouteille de vin… Ces préoccupations récurrentes de la vie quotidienne, les consultants et les auditeurs de Pricewaterhouse-Coopers ne les laissent plus à la porte de l'entreprise, comme tant d'autres salariés. La vie privée a sa place et ses espaces dans les sites parisiens de « la Firme », comme l'appellent les quelque 5 000 salariés. Ils sont même clairement identifiés au 23e étage de la tour Haig à la Défense : des lambris de bois pour rompre avec la moquette des enfilades de couloirs, quelques fauteuils colorés, un présentoir gorgé de « presse détente » – de Fluide glacial à Géo – et surtout 10 hôtesses aux petits soins de 8 heures à 19 h 30.

Mi-secrétaires, mi-nounous, elles ne se chargent pas seulement de recueillir les messages ou d'organiser des déplacements pour les jeunes professionnels qui enchaînent les missions en entreprise. « Nous les épaulons aussi dans leur vie quotidienne. S'ils ont besoin de trouver un médecin, de réserver des billets de spectacle ou de s'organiser un week-end au vert, ils savent qui d'entre nous les y aidera », commente Véronique Negroni, responsable de l'espace. Mieux : la direction a étoffé, depuis huit mois, la liste des coups de main proposés en appelant à la rescousse un spécialiste des services à domicile. Il comptabilise une cinquantaine de demandes chaque mois. « Des prestations payantes, à la carte », précise Jean-Félix Jacquet, de Services Attitudes, ce matin-là en pleine recherche d'appartement pour un nouvel arrivant dans la société. Mais rien d'insurmontable pour celui qui sait dénicher en un tournemain un « chef cuisinier antillais » pour un dîner privé. Même s'il a plus l'habitude de trouver des femmes de ménage ou des baby-sitters, traitant parfois directement avec les épouses des consultants… Le monde à l'envers ? Pas au pied de la Grande Arche de la Défense en tout cas. Usinor, Elf, Cegetel : chaque société ou presque propose, en son sein, des services de proximité pour faciliter la vie de ses employés, pardon, de ses « collaborateurs ». Mais le renversement de tendance ne se niche pas que dans les qualificatifs. Poussées par la pénurie de compétences et les exigences de nouvelles recrues, les directions se mettent aujourd'hui à les bichonner comme de véritables clients, venant abonder ou compléter les avantages déjà souvent généreux proposés par les comités d'entreprise. Mais à des tarifs moins avantageux, au dire des plus jeunes : « 220 francs la coupe homme ou 100 francs l'heure pour l'achat de cadeaux, ce n'est pas donné », commente un consultant de Pricewater-houseCoopers, âgé de 25 ans.

De véritables concierges d'entreprise

Chez Accenture (ex-Andersen Consulting) et Hewitt Associates, il y a désormais de « véritables concierges d'entreprise ». À la tour Ernst & Young, un étage complet est dédié, depuis fin 1999, aux « besoins personnels » des consultants. Location de vidéos, services bancaires avec un conseiller financier, agence de voyages, travaux photos, kiosque où l'on trouve des timbres comme de quoi remplacer un bas filé… Et cette liste à la Prévert n'est pas exhaustive. Car l'entreprise ne se mue pas seulement en majordome, elle anime aussi. Les propositions « détente » à l'heure du déjeuner ? Cours de jazz-danse et de gym dans la salle de sport et, tous les deux mois, vernissage-cocktail quelques étages plus haut. Début janvier, la direction a même organisé un concert de jazz dans l'auditorium de 100 places. « Le groupe était formidable. Mais nous n'avons pas eu le monde attendu. Les salariés sont moins disponibles à 18 h 30. On va tester la formule un midi », commente Laure Descamps, chargée de communication interne, bien placée pour constater l'évolution du discours de l'entreprise. « On ne dit plus seulement client first mais aussi people first ! Le succès de la société repose également sur le bien-être des salariés, [ici] régulièrement sondés » sur leurs besoins. Le kinésithérapeute qui masse les cervicales, un matin par semaine, connaît un succès non démenti.

Massages sur chaise ergonomique

La lutte contre le stress, voilà la dernière mode venue enrichir la carte des services. Certes, toutes les entreprises n'ont pas les moyens de proposer à leurs cadres, comme Elf et Total le font depuis longtemps à la Défense, une piscine grandeur nature. Mais, à en croire Gymnase Club Entreprises qui propose, depuis trois ans, des salles de sport clés en main (appareils de cardio-training en location et des professeurs pour assurer les cours), la démocratisation est en cours. Les grosses PME des secteurs high-tech – Ubi Soft ou Business Object – viennent de rejoindre le fichier clients, alimenté hier par les seuls Esso, Renault, Air France ou Canal Plus. « Le marché se développe doucement », commente Nicolas Breugnon, le directeur général, qui compte 20 salles en exploitation dans les entreprises et autant en commande. Bel effort quand on sait qu'un « petit health club » de 250 mètres carré coûte au minimum 300 000 francs par an. Basée à Neuilly-sur-Seine, la société Cortal (groupe BNP Paribas) n'en est pas là. Mais elle s'est laissé tenter par la vague du bien-être au travail. Et a aménagé, depuis janvier, une vaste salle auparavant dédiée au stockage de matériel pour laisser place, à l'heure du déjeuner, aux cours de yoga et d'aïkido. Un préalable « au développement prochain d'une offre complète de services aux salariés », précise Françoise Chiron, la DRH. En attendant, elle a privilégié les « activités de contrôle de soi qui déstressent ». C'est un succès : « Nous n'en sommes qu'au cours d'initiation. Mais on compte déjà 44 inscriptions pour les 600 salariés du site. La demande est réelle. »

Chaque société y va selon ses moyens, tolérant des jeux sur les ordinateurs de travail, proposant billard et massages habillés sur chaise ergonomique. Gadget pour start-upiens stressés ? Erreur, martèle Superzen, qui dépêche dans les bureaux ses spécialistes du shiatsu. « Les plus demandeurs sont les sociétés traditionnelles, du cabinet juridique aux SSII, qui veulent fidéliser leurs salariés », note Véronique Maus, la fondatrice et ex-responsable marketing de France Télécom Multimédia. Boostée par la vague de chouchoutage, la société parisienne, passée de 2 à 15 praticiens depuis mai, s'implante aujourd'hui à Toulouse, Lyon et Grenoble.

Une retraite complémentaire ne suffit pas

La Toile va-t-elle permettre au mouvement de s'étendre hors du cercle très parisien des grands groupes et des secteurs en manque de compétences ? Elle offre, en tout cas, de nouvelles perspectives aux DRH. Comme aux sociétés qui y voient un créneau très porteur, un probable eldorado. « Mettre en place une palette de services auprès des salariés n'est pas chose aisée », arguë Dominique Beaulieu, fondateur d'Affiniteam, qui propose d'intégrer sur les intranets un véritable portail « collaborateur », modulable selon les demandes. Le constat de l'ex-directeur marketing du consultant Valoris se veut lucide. Il a même inventé, à l'appui, un nouveau concept : ERM, pour Employee Relationship Management, dérivé du fameux Customer Relationship Management. « Les salariés sont l'unique capital fiable sur lequel les entreprises peuvent s'appuyer. Vu le renversement de tendance, on ne peut se contenter de leur promettre une retraite complémentaire dans trente ans. »

Son offre ? Regrouper sur l'intranet les offres maison dont le salarié dispose déjà (plan d'épargne d'entreprise, par exemple), les avantages proposés par le comité d'entreprise, et y ajouter des propositions complémentaires « à forte valeur ajoutée », à commencer par les fameux services de proximité, du pressing au baby-sitting, sous-traités auprès de professionnels. Quant au salarié, il règle avec une carte, sorte de porte-monnaie électronique que la société peut abonder. Une formule qui commence à séduire. Affiniteam, créé en mai dernier, annonce « cinq gros clients » et en escompte 40 d'ici à la fin 2001. Entre l'audit et le forfait annuel, les entreprises déboursent pourtant 400 000 francs la première année, auxquels s'ajoutent 50 francs par salarié. Même perspective chez NetValorem, filiale de Téléperformance spécialisée dans le développement de contenus intranet, et autres tenants du marketing appliqué aux ressources humaines. « On dépasse nos prévisions de commande », se réjouit Thomas Dubus, directeur commercial, qui annonce, après deux mois de commercialisation, déjà sept sociétés clientes et 30 000 utilisateurs. Que propose l'« assistant personnel des salariés », baptisé du doux nom de Valentin et disponible sur l'intranet ? De poser des questions à des experts, d'être assisté dans sa recherche d'information sur le Web et, enfin, d'accéder à des services de proximité sous-traités à des professionnels.

Mais l'argument de la fidélisation n'est plus le premier avantage mis en avant par NetValorem. « Le secteur high-tech, notre cible première, ne représente que 50 % de nos ventes. Beaucoup d'entreprises traditionnelles voient dans Valentin l'occasion de se positionner par rapport à Internet, d'en cadrer l'accès pour éviter tout dérapage. » Comme Valentin peut être la seule porte d'entrée sur le Web, il permet de comptabiliser le temps passé à surfer dans l'entreprise, d'identifier les sites les plus sollicités. NetValorem remet même aux DRH les questions les plus souvent posées aux experts par les salariés. Intrusion dans la vie privée ? « Il n'y a aucune information nominative. Et les salariés ont la possibilité de se soustraire aux statistiques. Valentin n'est pas un outil de contrôle », se défend Thomas Dubus. Reste que le prétexte du « bien-être des salariés » a été vite oublié… Ouf ! disent les cyniques qui ne voient dans le chouchoutage qu'un effet de la conjoncture et pointent les possibles renversements de tendance. Au nom d'un accès contrôlé à Internet, la vie privée a peut-être une meilleure chance de pénétrer les entreprises.

Le filon des services de proximité
Les entreprises d'insertion sont concurrencées par des professionnels

La vogue du chouchoutage va-t-elle booster les services de proximité ? Du chemin a été parcouru depuis 1993 et la première offre multiservice (ménage, repassage, couture) proposée aux agents de l'hôpital Sainte-Camille, de Bry-sur-Marne. Une centaine d'entreprises, grands groupes ou sociétés de plus de 300 employés en région parisienne, proposent aujourd'hui une palette de services à leurs salariés. Mais la donne a changé. « Quand la crise battait son plein, les entreprises, en plus d'améliorer la qualité de vie de leur personnel, souhaitaient développer l'insertion et l'emploi », note Pascal Dutilleul, responsable des relations entreprises au Comtié d'information et de mobilisation pour l'emploi. La majorité d'entre elles s'adressaient à des entreprises d'insertion ou à des associations intermédiaires. Maintenant que les services sur le lieu de travail sont devenus un outil de management, l'insertion perd du terrain au profit de professionnels. Cegetel, qui cherche un successeur à l'association proposant depuis 1998 pressing et repassage aux salariés de la Défense, va certainement traiter avec une société privée. Pas question, en revanche, chez Aventis Pharma, de se laisser séduire par les professionnels.

« Nous avons été démarchés. Mais notre objectif reste l'insertion », commente Jacqueline Rambaud, médecin du travail et présidente d'Harpe Solidarité, association créée par des salariés. Elle a confié le nettoyage des voitures à une entreprise d'insertion et le pressing aux travailleurs handicapés de deux centres d'aide par le travail. « Il faut se professionnaliser », reconnaît Catherine Marsault, directrice générale de l'Association de développement des emplois de services qui crée des boutiques services en centre commercial ou en entreprise, en recrutant des chômeurs de longue durée. A. F.

Auteur

  • Anne Fairise