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Enquête

LES SALARIÉS NE VEULENT PAS D'UNIFORME

Enquête | publié le : 01.04.2001 | Jean-Paul Coulange

Fini le temps où le salarié voulait avant tout faire carrière, sans compter son temps ni ses efforts. Ce qui compte désormais, c'est l'épanouissement personnel. Notre sondage « Liaisons sociales »-Manpower le révèle : entre plus de salaire et davantage de temps libre, l'arbitrage est vite fait.

Le travail n'est pas la valeur phare du début du XXIe siècle. Mais faut-il s'en étonner dans un pays converti par la gauche à la réduction du temps de travail ? Le sondage exclusif Liaisons sociales-Manpower, réalisé au début du mois de mars par le CSA, fait un constat sans appel : près des deux tiers des salariés (64 %) sont prêts à gagner moins d'argent afin de disposer de plus de liberté, tandis qu'un petit tiers (29 %) fait le choix inverse. L'arbitrage est toutefois plus difficile à faire pour les ouvriers et les non-qualifiés, qui perçoivent des rémunérations plus modestes, une faible majorité d'entre eux préférant malgré tout la conquête de temps libre. En revanche, les cadres sont sans nuances : 70 % aimeraient disposer de plus de temps libre, quitte à ce que leurs revenus diminuent.

Le phénomène est en progression constante depuis le début des années 90 : les cadres font passer leur qualité de vie et leur famille avant leur carrière. La mise sur orbite de l'e-économie, créatrice d'une nouvelle génération d'entrepreneurs, ainsi que l'embellie du marché de l'emploi, indissociable d'une inflation des salaires, n'ont visiblement pas infléchi cette tendance, apparue après la guerre du Golfe. Une véritable lame de fond que les 35 heures ont fait remonter à la surface, les cadres ayant exprimé, à cette occasion, un ras-le-bol contre leur charge de travail et leurs horaires à rallonge.

Leurs arguments sont fondés. Car notre sondage montre que les frontières entre travail et temps libre sont de plus en plus fragiles. Pour une importante majorité de cadres (68 % exactement), les heures de bureau se prolongent de temps à autre à la maison avec force notes et dossiers. Rien de plus facile avec les ordinateurs portables, qu'on voit fonctionner partout, y compris dans les trains et les avions. Mais, beaucoup plus surprenant, près d'un tiers de l'ensemble des salariés, et même 10 % des ouvriers, affirment emporter, de temps en temps, voire souvent, du travail chez eux. On trouve surtout ces travailleurs du soir ou du week-end dans le tertiaire, les services et la finance. Et davantage dans le secteur public (31 % des salariés) que dans le privé (27 %) ! À ces heures sup s'ajoutent des coups de téléphone à caractère professionnel : plus de la moitié des cadres déclarent recevoir des coups de fil en provenance de leur entreprise en dehors de leurs heures de travail, ce qui est le cas pour plus d'un tiers des salariés (38 %). Le boom du portable, surtout lorsqu'il est fourni par l'employeur, n'y est certainement pas étranger.

Internet ne fait pas encore de ravages

À charge de revanche, sur leur lieu de travail, les salariés s'autorisent quelques libertés, avec ou sans l'accord tacite de leur employeur. Plus d'un tiers d'entre eux, et près de la moitié des cadres, reconnaissent téléphoner de leur entreprise à des fins personnelles. Mais la mode Internet ne semble pas encore faire de ravages au bureau. Seulement 19 % des salariés (15 % dans le public et 22 % dans le privé) indiquent qu'ils utilisent leur micro-ordinateur professionnel, leur messagerie électronique ou surfent sur le Web pour réserver billets d'avion ou places de théâtre. Les cadres sont plus nombreux à faire une utilisation strictement personnelle de leur matériel (27 %), ce qui pourrait s'apparenter à une sorte de monnaie d'échange, leur activité professionnelle empiétant de plus en plus sur leur vie privée. Mais, dans leur ensemble, les salariés ont encore quelque scrupule à utiliser leur outil de travail à des fins privées.

Il n'en reste pas moins que le lieu de travail n'est plus ce sanctuaire où le seul mot d'ordre serait la productivité. Car les valeurs individuelles sont en train de s'affirmer face aux valeurs collectives dans l'entreprise. L'épanouissement personnel importe autant aux salariés que la réussite professionnelle. Ces derniers refusent d'être assimilés à une simple force de travail, recrutée sur des diplômes et reconnue pour sa seule compétence. Illustration de cette aspiration à une plus grande reconnaissance de l'individu, une large majorité de cadres (79 %), mais aussi d'ouvriers (72 %) et d'employés (77 %), du secteur public comme du privé, souhaiteraient pouvoir s'habiller comme ils l'entendent pour venir travailler. Deux tiers des salariés ont déjà cette liberté. Ce qui tendrait à montrer que la vogue du casual est sortie du cercle restreint du conseil ou des nouvelles technologies.

Affirmer sa personnalité…

L'habillement a valeur de symbole. Mais le sondage révèle des aspirations d'une tout autre ampleur. Plus de la moitié (53 %) des salariés ne se sentent pas libres d'évoquer, au sein de leur entreprise, leur situation familiale ou leurs inclinations sexuelles. Un sentiment beaucoup plus répandu chez les non-qualifiés et les ouvriers (respectivement 72 % et 60 %) que chez les cadres (41 %). Dans la même veine, 55 % des salariés, mais 57 % des ouvriers et 64 % des non-qualifiés n'osent pas non plus afficher leurs convictions politiques et religieuses.

À une forte majorité, plus relative pour la seule catégorie des cadres, les salariés n'ont cependant pas envie de faire étalage de leurs choix de vie, qu'ils relèvent de la sexualité, de la politique ou de la religion, sur leur lieu de travail. Comme s'ils refusaient le mélange des genres. Ou alors, ils n'y mettent pas un point d'honneur. Ce qui leur importe par-dessus tout est de pouvoir affirmer leur personnalité. C'est le souhait de 87 % des personnes interrogées. Un sentiment unanimement partagé par les ouvriers et les cadres, les jeunes et les plus anciens, par les salariés des PME comme des grandes entreprises, dans le privé et dans le secteur public. Mais 77 % « seulement » d'entre eux estiment que leur entreprise leur permet d'exprimer leur personnalité. Un décalage de 10 points qui révèle des frustrations, essentiellement chez les ouvriers et les employés, les salariés de faible niveau de qualification. Et davantage dans l'industrie, le commerce et les transports que dans le tertiaire.

… mais préserver son jardin secret

Signe de la croissance retrouvée, les salariés veulent aujourd'hui que l'entreprise les cocoone. Pour attirer et fidéliser leurs troupes, mais probablement aussi pour retenir leurs collaborateurs plus longtemps et leur faire accepter des horaires à rallonge, certains employeurs pensent avoir trouvé une réponse, en mettant à leur disposition salles de détente ou de sport, ainsi qu'une gamme de services, qui vont du pressing au coiffeur en passant par la réservation de voyages. Une mode venue tout droit des États-Unis, mais réservée aux sociétés les plus prospères : seulement 16 % des salariés interrogés bénéficient de tels avantages sur leur lieu de travail. Avec un écart très significatif entre les entreprises de plus de 200 personnes (26 %) et les PME de moins de 50 salariés (6 %).

Sans doute parce que la création de richesses a longtemps été considérée comme l'unique finalité de l'entreprise, mais peut-être aussi parce que les salariés tiennent à préserver leur jardin secret, une grande majorité d'entre eux (69 %) pensent toutefois que proposer des services personnels n'est pas le rôle des entreprises. Cet avis général mérite d'être nuancé en fonction des secteurs d'activité, de la taille de l'entreprise, et surtout de l'âge et de la fonction de l'interviewé. Ainsi, 39 % des moins de 35 ans et 40 % des cadres sont demandeurs de services de proximité sur leur lieu de travail. Souvent parce que l'intensité de l'activité professionnelle des intéressés ne leur permet plus d'accomplir des tâches de la vie courante.

D'ailleurs plus d'un cadre sur quatre (21 % de l'ensemble des salariés) estime que son entreprise ne lui permet pas de concilier sa vie professionnelle et sa vie privée. Un sentiment qui varie fortement en fonction de l'âge des personnes interrogées. Les quinquas s'en plaignent beaucoup plus (27 %) que la tranche des 35-49 ans (19 %), voire que les moins de 35 ans (22 %). De même, un cadre sur quatre (25 %) accuse son milieu professionnel de respecter de moins en moins cette séparation entre travail et vie privée. Si, au total, 41 % des salariés jugent que la situation s'est plutôt améliorée, ce sentiment général est davantage partagé par les salariés du privé (44 %) que par ceux du public (39 %).

L'entrée en vigueur des 35 heures dans les entreprises de plus de 20 salariés en février 2000 est un début d'explication. La réduction du temps de travail est parée de beaucoup de vertus : 64 % des salariés pensent qu'elle facilite la conciliation entre vie privée et vie professionnelle. Cette opinion est plus répandue chez les agents du secteur public (68 %), qui ne sont pas, pour la plupart, passés aux 35 heures, que chez les salariés du privé. Et plus parmi les sympathisants de la gauche plurielle (73 %) que parmi ceux qui se déclarent proches de la droite (59 %).

Mais la stricte application de la loi Aubry ne suffit pas à dédouaner les entreprises d'autres efforts. Ils sont moins d'un salarié sur cinq (19 %) à juger que leur employeur tient « beaucoup » compte de leurs contraintes d'ordre familial et privé. Un peu plus de quatre sur dix (43 %) estiment qu'il en tient « un peu » compte. Et plus d'un tiers (36 %) considèrent que leur entreprise n'en fait aucun cas. Les plus négatifs ne sont pas les plus hauts placés dans la hiérarchie, bien au contraire. 62 % des non-qualifiés, 46 % des ouvriers et 40 % des employés estiment que leur entreprise ne prend pas en compte les contraintes liées à leur vie privée et familiale. C'est également le cas de la moitié des plus de 50 ans et de 41 % des salariés des PME de moins de 50 personnes. A contrario, les cadres portent un jugement globalement positif sur l'attitude de leur entreprise.

Principale leçon de ce sondage : l'équilibre entre vie privée et vie au travail est une revendication montante chez les salariés. Les cadres l'ont manifesté clairement lorsque les négociations sur les 35 heures ont commencé. Mais les entreprises auraient tort de croire que les cols blancs sont la seule catégorie à s'en préoccuper. À ignorer, ou à sous-estimer cette intrusion de la vie privée sur les lieux de travail, elles s'exposent à de cruelles déconvenues.

70 % des cadres et 64 % des salariés (cadres et non-cadres) préfèrent gagner moins d'argent mais avoir plus de temps libre.

24 % des cadres et 29 % des salariés préfèrent plus d'argent mais moins de temps libre.

6 % des cadres et 7 % des salariés sont sans opinion.

68 % des cadres et 29 % des salariés emportent du travail chez eux.

55 % des cadres et 38 % des salariés reçoivent des coups de téléphone professionnels en dehors du travail.

Vous arrive-t-il ?

53 % des salariés et 41 % des cadres ne se sentent pas libres d'évoquer leur situation familiale ou leurs préférences sexuelles dans l'entreprise.

Êtes-vous ?

83 % des salariés indiquent que leur entreprise ne leur propose pas de services personnels (baby-sitting, point argent, démarches administratives, pressing……) sur leur lieu de travail.

or 30 % des salariés et 40 % des cadres, qui en sont privés, souhaiteraient en bénéficier.

26 % des cadres et 21 % des salariés ont du mal à concilier vie professionnelle et vie privée dans leur entreprise.

71 % des cadres et 78 % des salariés n'ont pas de mal à y parvenir.

3 % des cadres et 1 % des salariés sont sans opinion.

25 % des cadres et 19 % des salariés estiment que leur entreprise respecte de moins en moins la séparation entre leur vie professionnelle et leur vie privée.

Par rapport à ces dernières années, le respect entre la vie professionnelle et la vie privée dans votre entreprise.

Sondage exclusif CSA-« Liaisons sociales » réalisé par téléphone du 3 au 8 mars 2001 auprès d'un échantillon de 765 salariés extrait d'échantillons nationaux représentatifs de la population française âgée de 15 ans et plus, constitué d'après la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage), après stratification par régions et tailles d'agglomération.

Auteur

  • Jean-Paul Coulange