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Enquête

LA VIE PRIVÉE S'INVITE AU BOULOT

Enquête | publié le : 01.04.2001 | Sandrine Foulon

Travailler à point d'heure ou le week-end, pourquoi pas. À condition d'avoir un moment de libre pour pratiquer son sport favori, s'occuper de ses enfants, ou de pouvoir utiliser Internet au bureau pour faire ses courses. À en croire notre sondage et les témoignages du terrain, c'est à ce nouveau compromis qu'aspirent cadres et salariés.

Geneviève est consultante et, à ses heures perdues, écrit des bouquins. Une activité indispensable à son épanouissement personnel. Ernst & Young, son entreprise, lui a accordé un temps partiel pour jongler entre les missions et l'édition. Dans cette tour de la Défense, un cadre est retourné à ses dossiers après avoir crapahuté six mois, sac au dos. Et dans un autre service, un avocat poursuit un tour du monde à la voile… Assistante dans une importante PME strasbourgeoise, Valérie a beaucoup plus de mal à faire accepter ses projets extraprofessionnels. Mutée dans un autre service, elle a pu conserver son mercredi de liberté. « Mais mon nouveau patron m'a bien expliqué que je serai la dernière à bénéficier d'un tel avantage et que ça ne lui facilitait pas la vie. Le temps partiel est considéré comme un manque d'ambition. Si je lui parlais de quelques mois de ressourcement au Venezuela, il s'étranglerait. »

Et pourtant, les salariés d'aujourd'hui veulent qu'on prenne en compte leur identité, leurs aspirations personnelles et familiales. Si l'univers professionnel déborde de plus en plus sur la vie privée, la réciproque est vraie. L'entreprise exige beaucoup de ses salariés, mais ces derniers veulent un retour. « Le discours managérial ambiant ne cesse de marteler qu'il faut se réaliser, mobiliser toutes ses ressources, apporter le meilleur de soi. Du coup, les salariés arrivent avec toutes leurs valises », explique Philippe Bataille, chercheur au laboratoire Cadis. Avec des contradictions que les employeurs ne parviennent pas toujours à gérer : « Une femme doit être elle-même, apporter créativité et qualités féminines, mais son chef de service prie pour qu'elle ne soit jamais enceinte. » Ce système ne fonctionne que dans un modèle de performance et n'intègre pas la défaillance, la maladie. Les directions n'ont pas réfléchi à la question…

Pour autant, la frontière entre vie professionnelle et vie privée continue de s'estomper. « Auparavant, c'était le travail qui façonnait les salariés, ajoute Philippe Bataille. L'ouvrier adhérait au modèle ouvrier, vivait dans le quartier des ouvriers, consommait comme un ouvrier. Idem pour les patrons. Aujourd'hui, cette barrière n'existe plus. La manière dont les individus se définissent dans les relations affectives, sexuelles… constitue leur identité. Le monde du travail devient le lieu de la diversité. Et, phénomène nouveau, c'est dans le travail lui-même qu'on va porter nos différences pour faire évoluer les mentalités. » C'est ainsi qu'en l'espace de quelques mois, dopées par le Pacs, des associations d'homosexuels se sont constituées à la SNCF et à Canal Plus (voir encadré page 18).

N'est pas « family friendly » qui veut

La gestion de masse a fait long feu. « Les entreprises se sont rendu compte qu'elles étaient allées très loin dans l'anonymat des salariés, remarque Franck Bournois, directeur du Ciffop et responsable du DESS de gestion des ressources humaines à l'université Paris II. Ce qui fait la différence entre la gestion des ressources humaines des années 80 et celle d'aujourd'hui est le passage d'un traitement uniformisé du salarié à une totale individualisation, toutes les entreprises n'étant évidemment pas au même stade d'évolution. » Une situation délicate pour l'entreprise, assise entre deux chaises. « À la fois elle renonce à couler les salariés dans des moules, elle encourage ce kaléidoscope de personnalités, et, en même temps, elle a besoin de normes », poursuit Franck Bournois. Jamais l'entreprise n'aura autant oscillé entre déshumanisation totale, quand elle jette les salariés comme des Kleenex, et favoritisme excessif, lorsqu'elle tient à les conserver.

Car, en matière de fidélisation, les entreprises sont prêtes à tout, y compris à faciliter la vie privée d'un précieux collaborateur. « Cela va de l'abonnement au club de sport à la prise en charge de l'école privée pour les enfants en passant par les primes de déménagement, les services du décorateur, le planning fiscal pour maximiser les revenus… », énumère Jacques Rojot, professeur de gestion à l'université Paris I, auteur d'une étude sur les attentes des jeunes cadres. Les entreprises les plus généreuses vont jusqu'à se transformer en nounous d'occasion, voire en pourvoyeuses de loisirs en tout genre (voir article page 22). Les DRH doivent également compter avec une autre pression : le sacro-saint équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Ce n'est pas qu'un discours : les jeunes cadres veulent plus de temps pour eux. « Lors du recrutement, la question revient invariablement : combien de jours de RTT dans le forfait  ? » s'alarme un DRH. Pouvoir raconter une histoire à ses enfants le soir, ne pas sacrifier son conjoint lors d'une mutation est devenu une revendication légitime. Et pourtant, seuls les grands groupes, à l'image de Schlumberger (qui a créé un service pour accompagner l'expatrié et son conjoint), Total ou Danone, chouchoutent leurs cadres à haut potentiel.

Mais n'est pas family friendly qui veut. Les crèches d'entreprise ne sont pas légion et ce sont toujours les mêmes exemples qui reviennent, comme l'association Les Petits Avions d'Air France… La filiale française de Cisco projette bien d'installer une crèche quand elle aura passé le cap des 2 000 salariés. Mais, pour l'heure, elle se contente d'inviter une demi-journée par an une centaine d'enfants au siège d'Issy-les-Moulineaux. Pour favoriser la vie de famille de leurs salariés, de grandes entreprises privées et publiques commencent toutefois à prendre des mesures. La mairie de Rennes, engagée depuis plus de dix ans dans un processus d'égalité professionnelle hommes-femmes (voir également page 88), a notamment prohibé les réunions de service le soir. Quant aux temps partiels, ils sont de plus en plus octroyés aux femmes cadres (10 %).

Arthur Andersen, et avec lui tous les grands du conseil et de l'audit réputés pour leur stakhanovisme, a dû aussi mettre de l'eau dans son vin. Le cabinet accorde des temps partiels aux consultants… élus dans les collectivités locales. Certes, seuls 4 % des effectifs fonctionnent à temps partiel. « Mais on part de zéro », plaide Jean-Philippe Montagne, le DRH, qui entend se montrer imaginatif. « Lorsque les couples veulent se stabiliser, fuir un rythme parisien, ils peuvent demander à être mutés en province ou à l'étranger. En quelques mois nous sommes passés de six expatriés à plus de cinquante », observe-t-il. L'un des managers, mère d'une petite fille de 2 ans, a souhaité suivre son mari à Dijon. Sur une base hebdomadaire, le cabinet a réussi à trouver une organisation entre Paris et Dijon et a fait installer une seconde ligne téléphonique à son domicile pour qu'elle puisse travailler à distance.

Jeune DRH (36 ans) de Cegetel et de Vivendi Universal Net, Jérôme Duval-Hamel a parfaitement mesuré les attentes de ses 23 000 salariés. « On se trouve clairement en face de différentes catégories de cadres. Certains veulent du temps pour eux tout de suite. D'autres s'investissent à fond et savent déjà qu'ils feront tout à fait autre chose dans moins de cinq ans. Tout cela nous donne des gens en quête d'équilibre. Mais, de toute façon, nous sommes obligés de faire avec », souligne-t-il. Avec l'aide de l'Institut français de l'anxiété et du stress (Ifas), le groupe a mis en place un système de coaching pour aider ses cadres à trouver ce savant dosage entre temps de travail et temps social. « Au-delà d'un certain nombre d'heures de travail, plus personne n'est fiable. » Novatrice, l'entreprise a également réorganisé sa DRH en fonction des réponses individuelles à apporter. Conseils en carrière, relais, coaches et autres interlocuteurs de proximité répondent aux questions de la vie courante que se posent les salariés.

Pas de philanthropie

« Beaucoup de DRH ont compris que les gens attendent de l'individuel », analyse Béatrice Abeille-Robin, psycho-clinicienne qui intervient chez Usinor, Bouygues Offshore, TF1, Gras Savoye ou encore au GAN… Les cadres dirigeants de ces entreprises peuvent s'entretenir en toute confidentialité avec elle. Tout ce que l'entreprise et les situations professionnelles réveillent dans leur propre histoire est analysé. Plusieurs fois par mois, pendant plus d'une heure et aux frais de la société, ces managers choisissent de lui confier des épisodes parfois douloureux : divorce et autres problèmes personnels et relationnels…

Il n'est pas question de philanthropie de la part de ces entreprises. Elles savent qu'il faut rendre la monnaie de la pièce. Car aujourd'hui, nombre de cadres emportent du boulot partout avec eux. Interrogés lors d'un sondage pour le Financial Times, des cadres londoniens expliquaient trouver leurs meilleures idées : 1, pendant leurs congés ; 2, pendant le temps de trajet ; 3, sous la douche ; et enfin 4, au bureau ! Et, avec la multiplication des outils nomades, on plonge la tête la première dans la confusion des genres. « Avant, on avait des scrupules à déranger un cadre chez lui le dimanche soir. Avec les portables payés par l'entreprise, on n'hésite plus une seconde. Les nouvelles technologies bousculent le savoir-vivre », constate Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à Paris I et Sciences po. L'ouvrier de 1936 qui sortait de l'usine n'emmenait pas son haut-fourneau avec lui. Sur le chemin du retour, il était déjà un autre homme. Aujourd'hui, les « laisses électroniques » empêchent cette dissociation.

Les cadres et commerciaux de Xerox sont tous équipés de téléphones et ordinateurs portables. Dans une chambre d'hôtel, chez lui, chacun peut se connecter au réseau de l'entreprise et travailler le plus naturellement du monde. À grand renfort de campagnes de communication, Vivendi vient de lancer l'opération « un ordinateur pour tous ». Pour 3 euros par mois pendant trois ans, tout salarié de Vivendi Universal peut bénéficier d'un ordinateur personnel dernier cri avec Internet illimité. Dans son accord d'entreprise, le groupe s'interdit formellement d'exiger de ses salariés qu'ils utilisent ce matériel pour travailler. « Il est effectivement souhaitable que ces problématiques soient réglées par convention collective poursuit Jean-Emmanuel Ray, auteur d'un ouvrage à paraître sur le droit du travail à l'épreuve des NTIC. Mais, malgré ce garde-fou, qui pourrait empêcher un salarié, par ailleurs consentant, de boucler un dossier tard chez lui sur son ordinateur  ? »

Pascal, 34 ans, consultant senior dans une agence de communication, ne se pose pas ce type de question. Il a négocié avec son employeur un superbe Powerbook. Une machine qu'il peut connecter sur son téléphone portable. Alors, certes, il bénéficie de huit semaines et demie de congés mais il ne compte plus les cinés annulés au dernier moment ni les « bouts » de dimanche passés devant son portable.

En contrepartie, les sociétés tolèrent que ces outils nomades servent aussi à des fins personnelles. « Passer un coup de fil avec le portable de l'entreprise pour inscrire le petit dernier à un stage de ski me paraît légitime », souligne Hervé Farret, responsable du recrutement chez Xerox. Aujourd'hui, aucune entreprise n'empêche des cadres au forfait, susceptibles de travailler treize heures par jour, de faire leurs courses sur Internet, d'envoyer un e-mail au cousin d'Amérique ou de régler un problème de facture France Télécom pendant la journée. Selon notre sondage exclusif Liaisons sociales-Manpower (voir page 26), si 55 % des cadres interrogés affirment être joints par téléphone en dehors des heures, voire des jours de travail, ils sont 45 % à passer des coups de fil personnels au bureau. Et si 68 % d'entre eux emportent du travail chez eux, ils sont 27 % à utiliser les équipements de l'entreprise à des fins personnelles (e-mails, Internet, mobile…). Dans ce petit jeu des compromis, « l'entreprise est largement gagnante », affirme Sylvie Roussillon, professeur de management à l'EM Lyon, qui constate de plus en plus cette soumission librement consentie des salariés qui acceptent de travailler chez eux car ils ont le sentiment de développer leur employabilité.

Un esprit « touche pas à ma vie privée »

Quelle est la ligne jaune à ne pas franchir  ? Tout en prenant en compte la vie extraprofessionnelle de ses salariés, l'entreprise doit veiller à ne pas empiéter sur leur vie privée. D'autant que le droit du travail veille sur leur intimité. « Nous vivons dans un monde schizophrène. Nous voyons clairement émerger chez les jeunes un esprit “touche pas à ma vie privée” – difficile de les motiver autour d'événements collectifs, de sorties communes –, mais aussi des exigences très fortes et parfois personnelles vis-à-vis de l'entreprise », constate François d'Avout, DRH France de Michelin. Les salariés ne veulent plus tout mélanger. Pour attirer des cadres à Clermont, le géant du pneu cherche aujourd'hui des solutions pour trouver un emploi au conjoint, soit au sein de Michelin, soit dans la région. Et pour répondre aux angoisses des parents sur l'avenir de leurs enfants, la société a mis en place toute une batterie de bilans de compétences, formations en entreprise, parrainage et autres aides à la recherche d'emploi à leur intention.

Gérer au cas par cas la vie privée des salariés laisse plus d'une entreprise dans le désarroi. D'autant que les clivages sont déjà difficiles à éviter. Entre des privilégiés écoutés et des salariés ignorés. Mais aussi entre ceux qui réussissent à protéger leur vie privée et ceux qui se laissent envahir. Les salariés postés ont plus de temps, 35 heures obligent, pour se consacrer à leur intimité ; les cadres au forfait, eux, devront apprendre à dire non.

Les homos en quête de reconnaissance
De la SNCF à Canal Plus, les associations prennent pied dans l'entreprise

En septembre 2000, les cheminots et cheminotes homosexuels de la SNCF ont fait sensation en créant l'association Gare ! Les médias se sont emparés de l'affaire, une association familiale de la SNCF s'est mise en colère. Et la direction s'est trouvée gênée aux entournures par ce « coming out »… Quelques mois après la création de Cgay à Canal Plus, certains DRH ont cru que la France allait imiter les États-Unis, où les associations homosexuelles sont légion dans les entreprises. Outre-Atlantique, la société Xerox possède ainsi plus de 500 sites communautaires dont l'association Galaxie (Gay and Lesbians et Xerox). La filiale française n'en recense aucune. « Nous n'avons pas du tout cette culture communautaire, souligne Jean-François Fiévet, le président de Gare ! L'objectif est davantage de faire reconnaître notre identité.

Pas question de créer un ghetto ni de faire l'apologie de nos orientations sexuelles, tout le monde s'en fout. Mais nous ne voulons plus que les gens cessent d'être ce qu'ils sont sur leur lieu de travail. Je travail au service des ressources humaines. L'état d'esprit y est très ouvert. Mais c'est loin d'être le cas dans les filières plus techniques, à la maintenance, sur les chantiers… où des homos dépensent beaucoup d'énergie pour ne rien laisser transparaître. Or nous partons du principe qu'un salarié bien dans sa peau est mieux dans son travail. »

Véritable déclic, le Pacs a donné l'occasion aux homos de s'exprimer au sein même de l'entreprise. « Une loi a été votée. Respectons-la », poursuit le président de Gare ! qui réunit déjà 250 adhérents.

En quelques mois, ces associations ont essaimé. Sur le modèle de la SNCF, celle de la RATP vient de déposer ses statuts. Liberté, égalité et fraternité homosexuelles (Lefh) réunit ainsi les fonctionnaires gays et lesbiennes de l'entreprise publique. Un projet similaire est en cours à Air France.

En marge de la quête identitaire, ces associations créées en dehors des instances syndicales, qui ne montent pas au créneau pour régler des problèmes d'ordre privé, revendiquent aussi une égalité de traitement entre les couples mariés et les pacsés. À la SNCF, première grande victoire : la gratuité des voyages sur le réseau ferré accordée au conjoint. Mais l'association attend des éclaircissements sur les pensions de réversion, les prêts immobiliers, les congés spéciaux pour conjoint, voire pour enfant malade…

Dire que la SNCF est devenu « gay friendly » est pour le moins prématuré. « La direction n'a jamais voulu nous recevoir, poursuit le président. Sous prétexte que nous ne sommes pas représentatifs et qu'elle ne traite pas représentatifs et qu'elle ne traite qu'avec les syndicats. » Dans une société qui compte 85 % d'hommes, la lutte contre l'homophobie et le sexisme n'est pas une mince affaire, « En interne, nous avons placardé des affichettes concernant Gare ! dans les établissements. La plupart n'ont pas tenu deux heures. » S.F.

Religion : des aménagements au cas par cas
Pas d'obligation de respecter les rites, mais des tolérances au nom de la paix sociale

Pendant le ramadan, le centre d'appels parisien Convergis aménage les horaires de ses salariés musulmans qui respectent la coutume. « Ils continuent de travailler à l'heure du déjeuner pour pouvoir partir une heure plus tôt, vers 17 heures, et rompre le jeûne avec leur communauté », explique Pascal N'Diaye, délégué CFDT. Une « faveur » qui s'est instituée petit à petit dans cette entreprise comptant près de 10 % de pratiquants religieux parmi ses téléopérateurs qui font de la vente directe auprès des entreprises. À l'usine Citroën d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), on scrute aussi chaque année le calendrier des fêtes musulmanes. Mais « il n'y a pas de dispositif généralisé d'aménagements horaires pour le ramadan. Nous acceptons cependant que certaines pauses soient décalées. Cela se fait au cas par cas, équipe par équipe », commente Philippe Dorge, le DRH de l'usine de 5 500 salariés dont 15 % sont d'origine étrangère mais « pas tous pratiquants ». Ici les prières sont « tolérées » sur le lieu de travail. Mais il n'y a pas de salle de culte. Un donnant-donnant pratiqué au nom de la paix sociale. Car les dirigeants d'entreprise n'ont aucune obligation de satisfaire les revendications des minorités religieuses qui voient leurs rites et usages bousculés par l'organisation du travail. Ils sont évidemment tenus de respecter les convictions religieuses de leurs salariés mais elles n'entrent pas dans le contrat de travail, sauf clause expresse. La Cour de cassation a ainsi tranché, en 1998, en faveur du responsable d'un commerce de détail de Mayotte.

L'un de ses salariés, musulman pratiquant, muté au rayon boucherie, avait cessé de travailler et demandait une indemnité de licenciement pour avoir été régulièrement en contact avec de la viande de porc. Mais aucune clause dans son contrat de travail ne concernait les activités incompatibles avec le respect de ses convictions religieuses…

Si les entreprises réagissent au cas par cas, la fonction publique a, elle, pris des mesures. À chaque début d'année est diffusée une circulaire qui accorde trois jours de congé aux fonctionnaires se réclamant d'une religion minoritaire (judaïsme, islam, bouddhisme…). Reste que la législation française, qui met en avant le principe de la laïcité, a entériné le calendrier de la chrétienté. Les grandes fêtes religieuses sont chômées par tous. Sur ce sujet, les revendications restent néanmoins peu nombreuses. Et donnent rarement naissance, dans les entreprises, à la création d'associations de salariés sur des bases religieuses.

La RATP a recensé une association israélite qui avait demandé des aménagements pour éviter que ses membres ne travaillent le samedi, jour de sabbat. Ils n'ont pas été adoptés. Mais, note la direction, « chaque année, une note de service indiquant les grandes fêtes religieuses juives est diffusée. Cela permet d'informer les chefs de service et de faciliter les autorisations d'absence ». A.F.

Du temps pour soi et pour les autres
Partir en mission humanitaire ou donner des cours est entré dans les mœurs

Passer des mercredis après-midi entiers avec son jeune fils  ?

Akeniounine Ariski, directeur projet en clientèle chez Norsys, SSII spécialisée dans la conception de logiciels, n'y avait jamais pensé, jusqu'aux 35 heures. Depuis, il le « [voit] enfin grandir ». Il en a profité pour réaliser un vieux rêve et donne des cours à l'université de Lille I. Il a renoué aussi avec l'association interculturelle qu'il a fondée voici près de quinze ans.

Il est loin d'être un cas isolé parmi les salariés de Norsys, qui ont bénéficié d'un accord particulièrement généreux avec vingt jours supplémentaires. Certains se sont accordé une longue pause, en accolant congés payés et jours de RTT. Comme une femme ingénieur, partie deux mois à Londres perfectionner son anglais. « Les 35 heures, on les a pensées comme un outil pour améliorer l'épanouissement des salariés », commente Sylvain Breuzard, responsable de l'entreprise et membre du CJD (Centre des jeunes dirigeants).

Car toutes les entreprises le constatent : les jeunes cadres veulent plus de temps pour eux. « Il ne se passe plus un entretien d'embauche sans que le candidat ne demande ce qu'on a fait pour les 35 heures. L'annualisation comme la possibilité de cumuler les jours accordés dans le cadre de la RTT sont devenues des arguments de poids », commente Françoise Sagorin, DRH chez Cisco. En interne, les demandes de congé sabbatique ou sans solde, hier rarissimes, sont en augmentation depuis le passage aux 35 heures. « Elles ont fait réfléchir les salariés sur la gestion de leur temps personnel », souligne Françoise Sagorin.

Même constat chez le consultant PricewaterhouseCoopers qui autorise une souplesse extrême dans la gestion des horaires pour répondre aux aspirations des jeunes salariés. Bien qu'il soit embauché en CDI depuis un mois et demi à peine, Philippe, 25 ans, a eu le feu vert pour partir deux semaines au Kosovo dans le cadre d'une mission humanitaire organisée par l'association Atlas Logistique. La direction lui a permis de cumuler jours de congés payés, congés sans solde et jours de RTT par anticipation !

Certaines sociétés vont plus loin encore que les simples aménagements horaires. Elles proposent à leurs salariés de s'investir dans des actions solidaires, sur le temps de travail. C'est le cas chez Ford France (seize heures par an offertes aux salariés) ou chez Timberland France. Des initiatives qui restent l'apanage des groupes américains. « La très grande majorité des sociétés qui proposent à leurs salariés de s'investir dans des actions solidaires dégagent des moyens financiers, mais pas de jours. C'est au salarié de prendre sur son temps personnel », dit-on à l'Institut du mécénat social (IMS). Le donnant-donnant, qui commence à se pratiquer dans les entreprises et les secteurs en quête de compétences, trouve vite ses limites. A.F.

Auteur

  • Sandrine Foulon