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Les services formation au pied du mur

Dossier | publié le : 01.04.2001 | S. P.

Internet bouleverse les modes d'apprentissage dans les entreprises. Bien au-delà de l'adoption d'un nouvel outil, c'est une révolution pour les responsables de la formation, obligés de se remettre en question.

Un investissement qui peut rapporter gros : les éditeurs de plates-formes ou de portails pour la formation en ligne promettent tous une réduction à terme des coûts de formation pour convaincre les entreprises de se convertir à l'e-learning. L'argument semble faire mouche. De plus en plus de directions générales pressent leurs services de formation de se lancer dans la course. « Les directives viennent d'“en haut”, contrairement à l'achat de stages sur catalogue qui reste la chasse gardée des services formation », observe Bernard Blandin, consultant au Cesi et membre du Forum français pour la formation ouverte et à distance (Fffod). Il faut dire que l'investissement n'est pas tout à fait du même ordre. « Les coûts de mise en œuvre de tels dispositifs sont tellement élevés que seule la direction générale peut décider, au final, de les financer ou non, confirme Gérard Arnaud, responsable ingénierie et formations métiers au centre de formation de BNP Paribas, qui a lancé, en janvier dernier, une plate-forme d'e-learning. Deuxièmement, il s'agit d'un choix stratégique pour l'entreprise qui touche non seulement à son système d'information, mais également à sa communication, puisque la formation s'étale désormais au vu et au su de tous. »

Une fois que les directions générales ont donné le feu vert aux services de formation pour lancer le projet d'e-learning, les directions informatiques entrent dans la danse. « Les responsables de la formation ne sont pas des informaticiens, rappelle Thierry Kinderstuth, membre du Groupement des animateurs et responsables de formation en entreprise (Garf). Lors de la conception de ces dispositifs, ils doivent donc travailler de concert avec les directions informatiques. » Une collaboration parfois difficile entre des techniciens attachés à l'outil et des gestionnaires de formation plus intéressés au contenu. Les directions opérationnelles ne sont pas en reste. Quand elles ne sont pas directement instigatrices d'un projet d'e-learning – exemple : un département commercial qui souhaite former à distance ses vendeurs –, elles interviennent de plus en plus dans l'élaboration des formations. « Ce sont les opérationnels qui font remonter les expertises du terrain, permettant d'élaborer les contenus des formations, explique Sandra Bellier, directrice de recherche et développement à la Cegos. Car, plus que des cours standards en langue ou en bureautique, qu'elles peuvent acheter, ce sont des formations aux métiers qui intéressent surtout les entreprises. »

Des responsables de formation Inquiets

Autant d'interventions et de partenariats obligés qui perturbent les services de formation des entreprises. Certains responsables le vivent plutôt mal. « La pilule est difficile à faire passer auprès des responsables qui ont encore une vision administrative du métier », constate Thierry Kinderstuth. Ceux qui se contentent de gérer un budget sont fortement remis en question par les nombreuses possibilités des plates-formes de formation en ligne. « Le fait de pouvoir déléguer à l'encadrement des tâches administratives comme la gestion des inscriptions aux stages, l'envoi des convocations ou le suivi de l'assiduité et des progrès du stagiaire m'a contraint à supprimer un poste administratif », reconnaît Raymond Chenaud, responsable de la formation au Crédit agricole du Centre-Est, qui forme en ligne ses salariés depuis quelques mois. Un problème que voit également se profiler Gérard Arnaud, de BNP Paribas : « En outre, il est souvent difficile de reconvertir les administratifs des services de formation en concepteurs de formations ou en animateurs. » Des profils qui sont, en revanche, plus demandés. « Le métier des responsables de formation n'est pas en danger, assure Jacques Coquerel, président de la Cegos. Mais ils s'inquiètent cependant des efforts qui vont leur être demandés. »

« Le responsable ou directeur de la formation va devoir être plus performant en amont de la formation », explique, en effet, Christopher Clarke, directeur de l'Institut de développement Leroy Merlin, qui devrait mettre quelques formations en ligne dès avril 2001. Cela passe, notamment, par la conception d'approches pédagogiques nouvelles, compatibles avec la notion de distance. « Il ne s'agit pas de faire un simple copier-coller de formations qui existent déjà sous un format papier pour des stages en présentiel et de les transposer sur écran, assure Gérard Arnaud. Les responsables de formation doivent réfléchir aux éléments qui peuvent faire l'objet d'une formation à distance et à ceux qui relèvent du présentiel. » Parallèlement, ils doivent penser à « scénariser » les éléments qui vont être mis en ligne (animations, vidéos…) et à créer des liens avec des outils de pilotage pédagogique. Par exemple, des questions pour l'autoévaluation, des exercices ou des minicas interactifs, des ouvrages de référence, des sites Web… « Ce travail de conception est relativement long et passe souvent par une analyse de ce qui a déjà été vécu et transmis lors des formations en présentiel », ajoute Sandra Bellier. Il est également impératif pour les responsables de la formation de prévoir un dispositif d'accompagnement des stagiaires. Il peut s'agir d'un système de pilotage géré à distance. « Nous mettons au point un système d'évaluation en ligne pour individualiser et personnaliser les parcours, indique Raymond Chenaud. Cela va nous permettre de nous adapter au fur et à mesure au rythme d'apprentissage de chaque stagiaire. » Les forums ou les chats peuvent aussi remplir cette mission. Le concours des managers est également demandé, pour maintenir l'implication des stagiaires. « Instaurer un système de tutorat sur place, auprès des salariés, est un moyen d'éviter les abandons, constate Gérard Arnaud. Le rôle du tuteur est d'aider, de piloter et de canaliser celui qui apprend. »

Un mode de médiation à inventer

Former et animer un réseau de formateurs relève toujours des missions des responsables ou des directeurs de la formation. Reste à adapter leur mode d'intervention à l'e-learning. Dans les formations mixtes, combinant séances en présentiel et formation en ligne, les participants travaillent généralement en amont sur le Web pour acquérir les rudiments de la formation. « En salle, les groupes de stagiaires sont ensuite plus homogènes, reconnaît Gérard Arnaud. Le rôle du formateur consiste alors à aider les stagiaires à mettre en application les connaissances acquises via le Web, grâce, par exemple, à des mises en situation. » Dans les cas de classes virtuelles ou de tutorat à distance, le formateur doit inventer un nouveau mode de médiation. « Former à distance diffère d'une relation de face-à-face dans laquelle une grande part d'informel garantit la réussite, affirme Sandra Bellier. Dans un dispositif de formation en ligne, cette relation est conditionnée par l'aisance des e-tuteurs avec les outils et les différentes technologies sur lesquels ils s'appuient. »

Dans les classes virtuelles, le formateur doit également apprendre à répondre à une question à distance sans isoler le reste des participants, sans casser la dynamique de groupe. Dans les échanges via le mail ou les forums, la rapidité de sa réponse est aussi primordiale. « Cette évolution ne se fera pas toute seule, ajoute Gérard Arnaud, de BNP Paribas. Nous devons leur apprendre à former à distance. » Une fois la machine mise en route, le rôle du responsable ou du directeur de la formation consiste surtout à veiller à la bonne marche de la plate-forme d'e-learning, et notamment à l'actualisation de son contenu, tout en tenant compte des savoirs et des pratiques dans l'entreprise. « Le rôle du responsable ou directeur de la formation va énormément évoluer dans les cinq années à venir, prédit Sandra Bellier. Il va devenir un knowledge manager en chef. »

Auteur

  • S. P.