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Débat

Comment patronat et syndicats doivent-ils réformer l'assurance maladie ?

Débat | publié le : 01.04.2001 |

Alors que les dépenses de santé sont en plein dérapage par rapport aux objectifs votés par le Parlement, patronat et syndicats s'apprêtent à aborder le dossier de l'assurance maladie, dans le cadre de la refondation sociale. Exercice périlleux tant les responsabilités sont, dans ce domaine, diluées entre l'État et les partenaires sociaux. Que peuvent faire ces derniers ? La réponse de trois experts.

« Pas de réforme de l'assurance maladie sans dialogue avec le gouvernement et le Parlement. »

CLAUDE ÉVIN Ancien ministre, député de Loire-Atlantique.

La question de la responsabilité des partenaires sociaux dans la gestion du financement de notre système de santé se pose de manière aiguë depuis les ordonnances d'avril 1996. Aujourd'hui, ce sont les agences régionales de l'hospitalisation qui arrêtent les objectifs et les moyens pour l'ensemble des établissements de santé publics et privés. Les représentants des organismes d'assurance maladie qui siègent aux commissions exécutives de ces agences sont des responsables administratifs et médicaux. Les partenaires sociaux, gestionnaires de l'assurance maladie, n'assument plus de responsabilités directes dans le domaine hospitalier.

Ils continuent certes d'avoir le pouvoir de négocier les conventions avec les professionnels libéraux de santé. Mais, pour être applicables, ces conventions doivent être agréées par le gouvernement. Outre le fait que la plupart d'entre elles ont été annulées par le Conseil d'État, lorsqu'un bon accord, innovant et progressiste comme le plan de soins infirmiers est signé, le gouvernement en retarde la mise en œuvre sous la pression d'organisations conservatrices. Les partenaires sociaux ont raison de se poser la question de leur présence à la tête de l'assurance maladie.

Ils ne pourront toutefois y répondre seuls. L'assurance maladie concerne le financement de la santé. Or on ne peut traiter du financement sans aborder la question de l'organisation et de la qualité de l'offre de soins. Il s'agit là de missions régaliennes de l'État. Les partenaires sociaux ne peuvent réformer seuls l'assurance maladie indépendamment d'un dialogue avec le gouvernement et le Parlement.

S'il est de la responsabilité de l'État de réguler l'offre de soins, d'en assurer une équitable répartition sur le territoire national et de garantir un juste accès aux soins dans un mécanisme de solidarité nationale, il n'a pas les compétences pour gérer seul l'ensemble du système. L'État a besoin des caisses d'assurance maladie et des partenaires sociaux. Il faut donc redéfinir les responsabilités des uns et des autres. D'autant que nous serons de plus en plus amenés à avoir, particulièrement pour la prise en charge des pathologies lourdes, une organisation en réseaux associant l'hôpital et la médecine de ville. Pour développer ces réseaux, nous butons aujourd'hui sur le cloisonnement des financements de ces secteurs. Nous serons forcés d'imaginer, demain, un mode d'organisation plus intégré entre l'État et l'assurance maladie pour répondre à ces évolutions. L'assurance maladie ne peut prétendre se transformer en acheteuse de soins choisissant ses prestataires de services, hôpitaux et médecins libéraux, pratiquant avec eux des conventionnements sélectifs, sans que cette possibilité soit aussi offerte aux caisses concurrentes. La logique d'un tel système conduirait à laisser aux assurés le choix de leur caisse de Sécurité sociale.

Ce mouvement risquerait de préfigurer, à terme, l'ouverture totale de la couverture maladie aux assurances privées, rompant avec une organisation fondée sur la solidarité. Toute idée dans ce sens ne manquerait pas d'être suspecte si elle était préconisée par des responsables patronaux qui exercent, par ailleurs, dans les métiers de l'assurance.

« La seule réforme possible consiste à donner aux caisses une autonomie réelle. »

JEAN DE KERVASDOUÉ Titulaire de la chaire d'économie et gestion des services de santé au Cnam.

Les partenaires sociaux ne pourront jamais réformer seuls l'assurance maladie. Ils ne le souhaitent pas et ce dossier n'est pas de leur seule compétence. Ils ne sont d'ailleurs unanimes ni sur l'opportunité ni sur la nature d'une éventuelle réforme. Mais pourquoi réformer ?

Chaque année les règles changent, la loi transforme profondément les modalités de financement et les pouvoirs des caisses, d'une part, des services et agences de l'État, d'autre part. Les tuteurs directs de l'assurance maladie pensent que l'autonomie des caisses s'est accrue et que la crise actuelle s'estomperait si les gestionnaires des caisses utilisaient un peu leur réel espace de liberté. Pour ces derniers, le champ et la nature de leurs compétences se sont fortement réduits. En attendant, les dépenses augmentent, les budgets dérapent, les règles ne sont pas appliquées et le mécontentement s'amplifie dans l'ensemble des professions de santé. Il est indéniable qu'au cours de ces dernières années les caisses, et d'abord la Cnam-TS en 1999, ont fait des propositions de réforme. Si ces projets n'étaient pas les plus adaptés à la situation française, le moins que l'on puisse dire est qu'ils étaient ambitieux et peu démagogiques. Depuis 1999, la donne a sensiblement changé. La couverture maladie universelle permet à tous les résidents du territoire d'être couverts par l'assurance maladie. La loi de financement de la Sécurité sociale 2001 donne aux artisans, commerçants et professions libérales un même taux de couverture que les autres affiliés. Les deux tâches classiques du personnel des caisses, vérifier les droits et rembourser les feuilles de soins, sont donc à la fois totalement inutile, puisque tout le monde a les mêmes droits, et très onéreuses, parce qu'il serait beaucoup moins cher de payer directement les professionnels et les institutions de santé que de conserver le système du remboursement. Enfin, l'étatisation progresse et les caisses ne contrôlent plus qu'une partie (21 %) de l'Ondam (objectif national des dépenses d'assurance maladie), l'État ayant conservé de nombreuses prérogatives dans ce domaine ! Dans ces conditions, la première tentation est non pas la réforme, mais la fuite. Le Medef l'envisage. Il n'est pas certain qu'à la rentrée prochaine l'organisation patronale nomme ses représentants aux caisses d'assurance maladie. Ceux qui pensent qu'une nouvelle majorité syndicale pourrait à cette occasion prendre le relais – le rêve de revanche de FO – rêvent effectivement. Ce syndicat et d'autres pourront très bien un jour assumer de nouvelles responsabilités dans ce secteur, mais dans un système de régulation totalement nouveau qui reste à inventer. Si on élimine provisoirement la solution vraisemblable de régionalisation du système de santé, accompagnée à plus ou moins court terme de la fusion des régimes, et donc de la disparition des caisses d'assurance maladie, la seule réforme alternative consiste à donner aux caisses une autonomie réelle dans la gestion d'un panier de biens et de services défini chaque année par l'État.

« C'est à l'État de fixer le budget de la santé et de contracter avec des opérateurs publics. »

CLAUDE LE PEN Professeur d'économie à Paris-Dauphine.

Schématiquesment, la politique de la santé vise à résoudre deux problèmes distincts, mal gérés dans le système actuel. Le premier est celui de la détermination de la taille du budget global des dépenses de santé remboursables ; le second celui de sa répartition entre les différents postes, l'hôpital et la ville, le public et le privé, les soins médicaux et paramédicaux, le médicament et les autres types de traitement.

En ce qui concerne le premier, la solution est connue : l'État doit fixer l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (le fameux Ondam) à un niveau réaliste. L'extension de la protection sociale, le progrès des techniques médicales, l'évolution des besoins, notamment ceux liés au vieillissement de la population et à l'amélioration de la qualité des soins, nécessitent une croissance globale des dépenses remboursées de l'ordre de 5 à 6 % par an, soit presque le double de ce que le gouvernement a planifié pour 2001. Un tel objectif est compatible avec notre niveau de développement économique et correspond à celui de la plupart des pays comparables au nôtre. Il faut cesser cette politique funeste qui consiste, depuis 1996, à tenir les professions de santé responsables de ne pas avoir respecté des objectifs irréalistes, fixés en dehors de toute réalité sanitaire, dont on savait à l'avance qu'ils ne seraient pas tenus !

Mais la fixation d'un Ondam « intelligent » ne résout pas le second problème, celui de sa répartition. Cela nécessite une autre approche, beaucoup plus décentralisée. Si l'État a en effet toute légitimité pour fixer le budget santé de la nation, une « bonne » répartition de ce dernier entre les différents postes de soins passe par des procédures de gestion au jour le jour, prises au plus près du terrain, là où sont effectivement délivrés les soins et où se nouent les coopérations entre professions de santé. Cela implique de renoncer à cette régulation par enveloppes sectorielles qui gèle les budgets, oppose les professions de santé, ralentit, voire interdit les déploiements, et joue finalement davantage comme outil de rationnement que de rationalisation.

Il faut donc une fongibilité intégrale du budget de la santé autorisant des déplacements entre les producteurs de soins en fonction des besoins de la population et des nécessités techniques. Elle est difficilement praticable dans le cadre institutionnel actuel. En revanche, elle devient possible si le budget de la santé est mis en œuvre par une pluralité d'opérateurs d'assurance maladie, de statut public mais indépendants, entre lesquels s'exerce le choix des assurés. Disposant d'un budget spécifique et dotés d'une réelle capacité à négocier et à contracter avec les professions de santé, de tels opérateurs pourraient être les acteurs de cette fongibilité intégrale à travers notamment une organisation des prestataires en réseaux.

Quant à ces derniers, ils auraient devant eux des interlocuteurs responsables, soucieux d'offrir à leurs assurés une prise en charge de qualité, ce qui implique l'établissement de bonnes relations avec les professionnels. En résumé, la solution est contractuelle : un contrat avec la nation pour la détermination du budget global, et des contrats opérateurs-prestataires pour le financement des soins.