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Faut-il revaloriser le Smic ?

Idées | Débat | publié le : 01.02.2020 |

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Faut-il revaloriser le Smic ?

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Porté à 1 219 euros net au 1er janvier 2020, le Smic a bien augmenté de 1,2 %. Mais cette hausse est uniquement liée à celle de l’inflation et des salaires des ouvriers et employés. Autrement dit, pas de coup de pouce supplémentaire cette année. Si une telle initiative doperait forcément le pouvoir d’achat, quel est, plus généralement, l’impact du salaire minimum ? Les experts sont partagés. Se pose alors la question de la stratégie à adopter.

Gilbert Cette Professeur d’économie associé à l’université d’Aix-Marseille et président du groupe d’experts sur le Smic.

Au 1er janvier 2020, le Smic a été augmenté de 1,2 %, conformément à l’application de la revalorisation automatique prévue dans le Code du travail. Cette hausse correspond à la somme d’une indexation sur l’inflation et sur la moitié des gains de pouvoir d’achat d’un index salarial (le SHBOE, pour salaire horaire de base des ouvriers et employés) depuis la revalorisation de l’année précédente. Une telle automaticité est spécifique à la France : sur les 36 pays de l’OCDE, 28 disposent d’un salaire minimum national dont la revalorisation est totalement discrétionnaire pour 24 d’entre eux. Une indexation automatique sur l’inflation existe dans les quatre derniers pays, mais parmi eux, la France est le seul à ajouter à cela l’indexation partielle sur le pouvoir d’achat d’un index salarial. Le revenu d’un salarié au Smic a par ailleurs été fortement augmenté au mois de janvier 2019 par la revalorisation de la prime d’activité (PA), qui s’est ajoutée à celle du Smic. Les rapports annuels du groupe d’experts sur le Smic ont montré qu’une telle revalorisation de la PA est, comparée à une hausse du Smic, nettement plus efficace pour lutter contre la pauvreté et moins préjudiciable à l’emploi des personnes les moins qualifiées. En prenant en compte la PA, le revenu disponible net d’un salarié à temps plein au salaire minimum en France est désormais le plus élevé de tous les pays de l’OCDE. La priorité est maintenant dans la mobilité professionnelle et salariale permettant à un salarié au Smic de ne pas y rester. C’est l’un des enjeux de la réforme de la formation professionnelle qui est en cours.

Karen Gournay Secrétaire confédérale, secteur de la négociation collective et des salaires, Force ouvrière.

À la question « Faut-il revaloriser le Smic ? », Force ouvrière répond « Oui » ! Et ajoute qu’il faut arrêter de se limiter à la revalorisation annuelle minimale prévue par les textes. Alors que le rapport du groupe d’experts Smic suggère de modifier la formule de revalorisation du Smic prévue par le Code du travail et supprimer tout ou partie des termes de revalorisation automatique, le Smic serait inférieur de 35 % par rapport à son niveau actuel, soit une baisse de plus de 400 euros net par mois, si la suppression des termes de revalorisation automatique avait été appliquée depuis 2000 ! Avec une indexation limitée à l’inflation depuis 2000, le SMIC aurait perdu 200 euros à ce jour1. Nous sommes fortement opposés à la position du groupe d’experts et nous avons exprimé notre souhait de prendre en compte dans la méthode de revalorisation un indicateur stable et plus général prenant en considération les services non marchands, notamment le poids réel du logement dans le budget, ainsi que le déremboursement des médicaments.

Plutôt qu’une augmentation significative du Smic et, par voie de conséquence, des salaires comme le réclame Force Ouvrière, est de nouveau prôné l’accroissement des revenus de transferts, tels que la prime d’activité. Pourtant, l’augmentation de la prime d’activité coûte plus cher à l’État que l’augmentation du Smic, exonération fiscale comprise2. Quant à l’idée de faire compléter le Smic par l’État, Force ouvrière renvoie le patronat à ses responsabilités. Il n’appartient pas à l’État de prendre en charge les salaires des salariés. En matière de rémunération du travail, nous réclamons la juste répartition de la richesse produite entre salariés et employeur plutôt que la redistribution étatique !

L’augmentation du pouvoir d’achat demeure donc notre revendication principale. À ce titre, nous continuons à réclamer une hausse du Smic de sorte qu’il atteigne progressivement 80 % du salaire médian, soit un Smic mensuel net à hauteur de 1 437 euros.

Marie-Claire Villeval Directrice de recherche au CNRS.

En France, le taux de chômage a baissé récemment, le taux de marge des entreprises se redresse et la croissance est plus forte que la moyenne de la zone euro. Mais le taux de pauvreté reste élevé et le sentiment d’un pouvoir d’achat insuffisant est profond. Pourtant, s’imposent aujourd’hui à la fois une grande prudence quant à une revalorisation du niveau du Smic et un grand courage pour réformer son mode de calcul. La prudence s’impose quant à la revalorisation de son niveau car le taux de chômage reste un des plus élevés de l’OCDE, la situation financière des entreprises n’a pas retrouvé son niveau antérieur et le déficit de compétitivité est chronique. Le contexte est fragile. Aussi, le revenu disponible au Smic représente déjà 80 % du revenu disponible médian, plaçant la France en tête de l’OCDE et laissant peu d’espace à la mobilité. Si le coût du travail au niveau du Smic relatif au coût médian est dans la moyenne, c’est grâce aux politiques de réduction de charges. Mais ces politiques sont coûteuses pour le contribuable et elles sont arrivées à terme avec la suppression de la quasi-totalité des charges patronales. Une revalorisation significative serait, en France, néfaste à l’emploi sans contribuer pour autant à la baisse de la pauvreté, laquelle dépend d’abord du nombre d’heures travaillées et réagit davantage à une revalorisation de la prime d’activité. En revanche, le courage serait de réformer son mode de calcul. Avec une règle de revalorisation automatique à deux arguments (indexation sur l’inflation et le pouvoir d’achat du salaire horaire de base), le système actuel assure certes un gain de pouvoir d’achat cette année encore, mais il limite les initiatives du Gouvernement et ne fait pas confiance au dialogue social. La suppression partielle ou totale de l’automaticité permettrait un pilotage plus fin de l’articulation entre Smic et minima sociaux et une responsabilité étendue des partenaires sociaux dans la gestion des normes salariales. Un autre enjeu serait de permettre aux travailleurs de plateformes, subordonnés économiquement mais situés entre salariat et travail indépendant, d’accéder à une rémunération minimale.

Ce qu’il faut retenir

// La prime d’activité, c’est mieux ! Dans son rapport 2019, remis le 28 novembre dernier au Gouvernement et à la Commission nationale de la négociation collective, le groupe d’experts qui analyse l’impact du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) sur l’économie française a rappelé qu’à son niveau actuel, « la revalorisation du Smic a un impact limité contre la pauvreté, y compris la pauvreté laborieuse ». Les simulations réalisées montrent que la revalorisation de la prime d’activité mise en œuvre en 2019 contribue davantage à réduire la pauvreté qu’un relèvement du Smic de la même valeur.

// Attention à l’effet de trappe ! En 2018, les mêmes experts s’inquiétaient de « l’effet trappe » du Smic. Autrement dit, quand on y est, on y reste. En tout cas, après un an au Smic, la probabilité d’y rester augmente. Ainsi, les experts constataient que si, entre 1995 et 2015, la proportion de salariés rémunérés à moins de 1,1 Smic était restée stable – « autour de 11 % » – et que la très grande majorité (69 %) des périodes passées au voisinage du Smic ne durait « pas plus d’une année », « la probabilité que cette période dure une année supplémentaire augmente avec le temps déjà passé à ce niveau ». Aussi, « les personnes ayant passé au moins deux ans au voisinage du salaire minimum passent au total un quart de leur carrière dans ce voisinage ».

En chiffres

19 %

C’est, selon le rapport 2018 du groupe d’experts sur le Smic, le pourcentage de bénéficiaires appartenant à des ménages pauvres et qui profitent d’une hausse de Smic. Autrement dit, « une hausse du Smic horaire bénéficie en grande majorité à des ménages qui ne sont pas pauvres ». « L’augmentation du niveau de vie des ménages les plus pauvres doit donc prioritairement reposer sur des mesures permettant une augmentation de leur durée travaillée plutôt que sur une hausse du Smic horaire », concluent les experts.

Source : https://urlz.fr/bvj4

11,5 %

C’est, selon la Dares, le pourcentage des salariés qui ont bénéficié de la revalorisation du Smic au 1er janvier 2018. « Un salarié peut être concerné par la revalorisation du Smic sans être rémunéré exactement au Smic, et la hausse de sa rémunération horaire n’est alors pas nécessairement de même ampleur que le relèvement du Smic », précise la direction de l’Animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du Travail.

Source : https://urlz.fr/bvjc

(1) Pierre Concialdi-Chercheur à l’Ires.

(2) Rapport 2017 du groupe d’experts sur le Smic, p. 102.