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Idées

Du conflit à l’art de négocier en entreprise

Idées | Livres | publié le : 01.02.2020 | Lydie Colders

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Du conflit à l’art de négocier en entreprise

Crédit photo Lydie Colders

Le dialogue social, dont l’obligation est dictée par la loi, serait-il dans l’impasse ? C’est en tout cas le point de vue du sociologue Christian Thuderoz. Dans son essai, l’enseignant à l’Essec-Irené plaide pour s’éloigner des rapports de force et pour passer « à une pédagogie de la négociation » en entreprise. Ambitieux.

Analysant l’histoire conflictuelle des rapports sociaux en France (les syndicats, comme le patronat, auraient eu « un intérêt stratégique » à laisser l’État légiférer, selon lui), Christian Thuderoz estime que ces trois acteurs sont piégés « dans une logique mortifère ». Selon lui, l’État dicte sa feuille de route aux partenaires sociaux, incitant « de loi en loi au dialogue social », qui braque les syndicats et les organisations patronales à tous les niveaux, y compris en entreprise. En bon expert de la négociation, le sociologue, ex-syndicaliste à la CFDT, appelle donc à quitter une logique de rapport de force. Et livre ici un long plaidoyer politique et opérationnel pour « repenser l’idée même de la négociation collective en entreprise », et inviter à renouer avec l’esprit « d’un compromis social pragmatique », en « incitant » plutôt qu’en imposant. Une idée chère au syndicat réformiste.

Sans rompre avec l’obligation légale, l’auteur milite donc « pour un moratoire » dans la législation, suffisante selon lui. Malgré « l’arsenal juridique impressionnant » pour décentraliser le dialogue social en entreprise, notamment avec la loi travail, « obliger ne donne pas l’envie aux partenaires sociaux dans l’entreprise de négocier ». Très inspiré du rapport Combrexelle de 2015 sur le dialogue social qu’il cite à maintes reprises, le sociologue reprend à son compte l’idée que l’obligation de négocier sur l’égalité professionnelle ou sur la gestion des emplois conduit à « des accords d’entreprise » certes nombreux (plus de 64 000 en 2018), « mais peu originaux », parfois même « sans diagnostic local approfondi », soutient-il. Un rituel « sans grand intérêt » pour de nombreux employeurs, qui « organisent un semblant de concertation ».

Face « à un management à la peine », à un syndicalisme affaibli qui aurait besoin « de nouvelles pratiques militantes » et à des salariés « qui ne veulent plus être gouvernés d’en haut », Christian Thuderoz brosse une pédagogie de la négociation (retrouver « l’esprit de la contrepartie ou du compromis oublié » sur les salaires ou sur le temps de travail), invitant « à laisser place à l’expérimentation » en entreprise, dans des négociations multithématiques : « Les parties avancent ainsi à leur rythme, sur des sujets de leur choix. »

Avançant de multiples pistes, il suggère notamment de ne plus seulement reconnaître les accords d’entreprise, mais aussi des « textes de dialogue social » conclus en interne. Mais aussi de renforcer « le lien d’adhésion » entre syndicats et salariés, en les associant au travail de négociation, voire en validant par référendum les axes d’un accord… Réaliste ?

L’opinion du sociologue semble très ambitieuse au regard des moyens attribués aux CSE. Et un brin taiseuse sur les divergences syndicales internes…

L’âge de la négociation collective.

Christian Thuderoz, PUF, 376 pages, 21 euros.

Auteur

  • Lydie Colders