Le dialogue social, dont l’obligation est dictée par la loi, serait-il dans l’impasse ? C’est en tout cas le point de vue du sociologue Christian Thuderoz. Dans son essai, l’enseignant à l’Essec-Irené plaide pour s’éloigner des rapports de force et pour passer « à une pédagogie de la négociation » en entreprise. Ambitieux.
Analysant l’histoire conflictuelle des rapports sociaux en France (les syndicats, comme le patronat, auraient eu « un intérêt stratégique » à laisser l’État légiférer, selon lui), Christian Thuderoz estime que ces trois acteurs sont piégés « dans une logique mortifère ». Selon lui, l’État dicte sa feuille de route aux partenaires sociaux, incitant « de loi en loi au dialogue social », qui braque les syndicats et les organisations patronales à tous les niveaux, y compris en entreprise. En bon expert de la négociation, le sociologue, ex-syndicaliste à la CFDT, appelle donc à quitter une logique de rapport de force. Et livre ici un long plaidoyer politique et opérationnel pour « repenser l’idée même de la négociation collective en entreprise », et inviter à renouer avec l’esprit « d’un compromis social pragmatique », en « incitant » plutôt qu’en imposant. Une idée chère au syndicat réformiste.
Sans rompre avec l’obligation légale, l’auteur milite donc « pour un moratoire » dans la législation, suffisante selon lui. Malgré « l’arsenal juridique impressionnant » pour décentraliser le dialogue social en entreprise, notamment avec la loi travail, « obliger ne donne pas l’envie aux partenaires sociaux dans l’entreprise de négocier ». Très inspiré du rapport Combrexelle de 2015 sur le dialogue social qu’il cite à maintes reprises, le sociologue reprend à son compte l’idée que l’obligation de négocier sur l’égalité professionnelle ou sur la gestion des emplois conduit à « des accords d’entreprise » certes nombreux (plus de 64 000 en 2018), « mais peu originaux », parfois même « sans diagnostic local approfondi », soutient-il. Un rituel « sans grand intérêt » pour de nombreux employeurs, qui « organisent un semblant de concertation ».
Face « à un management à la peine », à un syndicalisme affaibli qui aurait besoin « de nouvelles pratiques militantes » et à des salariés « qui ne veulent plus être gouvernés d’en haut », Christian Thuderoz brosse une pédagogie de la négociation (retrouver « l’esprit de la contrepartie ou du compromis oublié » sur les salaires ou sur le temps de travail), invitant « à laisser place à l’expérimentation » en entreprise, dans des négociations multithématiques : « Les parties avancent ainsi à leur rythme, sur des sujets de leur choix. »
Avançant de multiples pistes, il suggère notamment de ne plus seulement reconnaître les accords d’entreprise, mais aussi des « textes de dialogue social » conclus en interne. Mais aussi de renforcer « le lien d’adhésion » entre syndicats et salariés, en les associant au travail de négociation, voire en validant par référendum les axes d’un accord… Réaliste ?
L’opinion du sociologue semble très ambitieuse au regard des moyens attribués aux CSE. Et un brin taiseuse sur les divergences syndicales internes…
Christian Thuderoz, PUF, 376 pages, 21 euros.