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Idées

Changer, c’est perdre ?

Idées | Bloc-notes | publié le : 01.02.2020 | Gilles Gateau

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Changer, c’est perdre ?

Crédit photo Gilles Gateau

L’art difficile de conduire le changement

Mon précédent « Bloc-notes », rédigé avant la journée de mobilisation sociale du 5 décembre, s’inquiétait de ce qui se passerait à partir du 6… On n’a pas été déçus : la plus longue grève des transports depuis 50 ans mais dont la radicalité – « Le retrait et rien d’autre » – n’offre guère d’issue, une mesure d’âge ajoutée qui braque les syndicats réformistes avant d’être retirée (tout en laissant entendre qu’elle pourrait revenir…), un projet qui paraissait simple mais dont on découvre jour après jour – tardivement – la complexité, des mesures catégorielles (ah, les pilotes de ligne !) qui affaiblissent le message d’égalité et de justice… et à l’arrivée une opinion perdue !

Voilà une nième démonstration de la difficulté à conduire le changement. C’est vrai dans la société, c’est souvent vrai aussi dans nos entreprises et organisations. Celles et ceux qui se sont trouvés en responsabilité auront l’humilité et l’honnêteté de reconnaître cette difficulté. La question est : « Peut-on progresser dans le management du changement en démocratie ? » De ce point de vue, cette réforme des retraites méritera un « retour d’expérience » critique : elle paraissait plutôt bien partie avec un principe clairement annoncé dans le programme du président de la République élu, une longue première étape Delevoye sans vagues (mais avec trop de vague ?)… avant de laisser s’installer confusions et flou anxiogènes. À l’heure d’écrire ces lignes, si le vote de la réforme ne fait guère de doute, le degré d’adhésion à cette transformation profonde d’un élément essentiel de notre modèle social va poser problème ! Il dépendra beaucoup de la capacité du Gouvernement et du Parlement à donner plus de lisibilité1 au projet et à résister à la tentation du « j’ai raison seul contre tous »… et des partenaires sociaux à faire entendre leurs propositions.

Retraites, mobilité et sécurisation des parcours

Dans la pédagogie du nouveau régime universel de retraite, une dimension est curieusement peu mise en avant : sa cohérence avec le mouvement d’individualisation et de portabilité des droits sociaux, qui peu à peu redessine notre modèle social. La logique est la même que celle du CPF ou de l’élargissement de l’assurance-chômage aux indépendants : des droits individuels garantis collectivement, indépendants du statut et de l’entreprise où l’on travaille, favorisant la mobilité et rendant possible une meilleure sécurisation des parcours. Un pas de plus – et non des moindres ! – dans le « reengineering social » à l’œuvre depuis une quinzaine d’années. Un mouvement nécessaire pour que les mutations du travail que nous vivons – d’aucuns diraient « subissons » – (travail indépendant, plateformes numériques, travail à domicile, tiers lieux, etc.) ne soient pas synonymes de destruction lente de notre modèle social. Encore faut-il accompagner ce mouvement, pas seulement par quelques applications astucieuses, mais ça c’est une autre histoire… On y reviendra !

« Anywhere » contre « somewhere »

À l’heure du Brexit, il faut lire David Goodhart2 sur le populisme et sur la fracture grandissante entre les « anywhere » (diplômés, mondialisés, aisés) et les « somewhere » (déclassés, ancrés dans un territoire). Pour les premiers, « changer c’est bien » ; pour les seconds – désormais majoritaires –, « changer c’est perdre ». Voilà le défi, et un sacré chantier pour la décennie qui s’ouvre : réduire cette fracture !

(1) Dans son ouvrage « Le siècle du populisme » (Seuil), Pierre Rosanvallon formule trois principes devant régir la relation des gouvernants aux gouvernés : lisibilité (notion plus large que celle de transparence), responsabilité et réactivité. Une réflexion pertinente pour le management d’entreprise.

(2) « Les Deux clans » (Les Arènes).

Auteur

  • Gilles Gateau