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De la connaissance de l’autre à la connaissance de soi

Dossier | publié le : 01.02.2020 | Laurence Estival

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De la connaissance de l’autre à la connaissance de soi

Crédit photo Laurence Estival

Si la thématique du management interculturel n’a pas disparu des radars, elle s’est en revanche modifiée, comme l’indiquent les enseignants et les consultants qui accompagnent les équipes au quotidien. Avec dans leur besace une liste de bonnes pratiques à adopter.

« Fini l’époque où les employeurs nous demandaient exclusivement des séminaires pour apprendre à travailler avec les Américains, les Chinois, les Indiens… raconte Jacques Pateau, professeur à l’UTC et dans le MBA de Mannheim Business School, qui accompagne en tant que consultant les entreprises sur les sujets de management interculturel. Si ces approches ont pu constituer une première sensibilisation des équipes, les employeurs se sont rapidement rendu compte qu’elles enfermaient les salariés dans des stéréotypes. » Difficile en effet de résumer les différences culturelles avec des clés de lecture qui s’appliqueraient pour tous les individus d’une même origine. « Gérer l’interculturel aujourd’hui, c’est s’intéresser à la culture de chacun mais aussi à sa personnalité et à la psychologie de la relation à l’autre dans un contexte où, dans 90 % des cas, les échanges se font à distance, le travail au sein d’équipes internationales et réparties dans plusieurs pays ou sur plusieurs continents étant bien souvent la règle », souligne-t-il.

Pas de baguette magique

« Cet élargissement du spectre est d’autant plus nécessaire que la mondialisation a chamboulé les concepts utilisés jusqu’aux années 2000, ajoute Virginia Drummond, enseignante franco-brésilienne à l’EM Lyon, spécialiste de l’interculturel. Il est de moins en moins rare de rencontrer des individus nés de couples mixtes, ayant passé leur enfance dans un autre pays et étudié ou travaillé ailleurs… Ces expériences ont modifié leurs comportements sans pour autant avoir fait d’eux des personnes capables de maîtriser les relations interculturelles sur le bout de doigts. » Car on confond souvent international et interculturel. La mondialisation n’a pas supprimé d’un coup de baguette magique la nécessité de gérer les différences culturelles, elle l’a simplement déplacée. Et transformé, par ricochet, la manière de travailler sur ces sujets.

Retour aux sources

Dans un ouvrage de référence sur le sujet1, Virginia Drummond pose d’abord le cadre en revisitant les bases. Plus d’un demi-siècle après avoir été énoncés, les travaux d’Edward T. Hall sont toujours d’actualité. Ils ont mis en avant l’importance du rapport au temps, du style de communication et la question des hiérarchies. Au début des années 1980, Geert Hofstede, qui a réalisé des recherches comparatives sur les comportements chez IBM dans différents pays, a placé le curseur plus loin en s’interrogeant, non pas sur les comportements des autres, mais sur le sien. Un fil conducteur au centre des conseils énumérés par cette enseignante, et placé au cœur des pratiques des experts. « Travailler dans une équipe interculturelle oblige à sortir de ses habitudes, insiste Michelle Mielly, anthropologue américaine et enseignante de management interculturel à Grenoble École de management. Souvent les participants à mes séminaires ne comprennent pas ce qui énerve les autres chez eux. Aussi, je propose des jeux de rôle pour les aider à saisir ce qui est biaisé. » Illustration : concrètement, les Américains se mettent dans la peau des Français et vice-versa. Les premiers posant des questions aux seconds trouvent leurs réponses superficielles et quand les rôles sont inversés, les Français jugent les Américains trop arrogants. « C’est très efficace de voir chez les autres ce que l’on ne voit pas chez soi », ajoute-t-elle.

Cette façon de prendre du recul sur ses propres pratiques permet aussi de s’interroger sur son propre jugement : pourquoi serait-il meilleur que celui de l’autre ? « Il ne s’agit pas d’analyser une parole en fonction de ce qu’elle dit sur la culture de l’autre, mais en fonction de la manière dont elle m’oblige à élargir mon point de vue en prenant d’autres opinions en considération », poursuit-elle. À l’ouverture d’esprit, Virginia Drummond ajoute la sensibilité, l’humilité, la volonté d’apprendre, la patience… et détaille ce qu’elle appelle un « Global Mindset », une sorte d’idéal vers lequel cherchent à converger les entreprises. Une façon aussi de passer de la confrontation à la coopération. L’étape suivante consiste à édicter un certain nombre de process pour formaliser la manière de travailler ensemble, en s’assurant que tous les intéressés ont bien compris la même chose. « C’est très important de pouvoir reformuler ce qui a été convenu dans sa propre langue. Les mots n’ont pas la même signification selon les cultures et le fait que tout le monde parle anglais ne doit pas cacher la disparité entre les niveaux des uns et des autres et le caractère simplificateur du vocabulaire souvent utilisé », mentionne Jacques Pateau. Reste alors à définir des règles pour permettre à chacun de pouvoir s’exprimer librement et pour éviter des frustrations.

Dans ses séminaires intitulés « Bridge », Jacques Pateau rappelle également que les process, aussi nécessaires soient-ils, ne peuvent réellement se déployer que si les individus travaillant ensemble se sont déjà rencontrés. « Toutes les études insistent d’ailleurs sur cette dimension. Car à distance une partie de la communication non verbale échappe à l’autre. Et se connaître est aussi un moyen d’échapper à ce que j’appelle l’“évitement convivial”, qui fait que l’on ne reste qu’à la surface avec le risque de générer des incompréhensions », insiste-t-il. Pour renforcer cette connivence, un de ses clients est allé jusqu’à organiser des cafés virtuels, tous les quinze jours, avec la visioconférence téléphonique. Ce rituel était l’occasion de se raconter, de diffuser des photos… Et en définitive d’accroître la confiance entre des individus différents, tendus vers les mêmes objectifs.

Axa : des formations à géométrie variable

Chez Axa, apprendre à travailler dans des équipes multiculturelles n’est plus un horizon vers lequel doivent tendre les salariés, mais bel et bien une réalité… « Globalement, 30 % à 40 % des collaborateurs présents au siège mondial, à Paris, viennent d’un autre pays. Dans notre comité de direction, 47 % des membres ne sont pas français et ce pourcentage atteint 58 % si on prend en compte le “top 50” des managers et des dirigeants », indique Karima Silvent, DRH groupe de l’assureur. Fruit d’une volonté politique forte, cette course en avant a conduit l’entreprise à structurer une stratégie de formation selon le profil des personnes intéressées. « Chaque année, nous formons en moyenne 200 salariés, qui vont être expatriés pour une période importante, au management interculturel en fonction de leur pays d’accueil, explique-t-elle. Comprendre la culture d’un pays est en effet un élément important pour pouvoir s’intégrer. » Ces séminaires insistent notamment sur trois dimensions : le rapport au temps, les habitudes de communication et le style de coopération.

Cet apprentissage prend des aspects autres pour les salariés appelés à travailler ensemble à distance. C’est notamment le cas pour les équipes internationales réparties dans tous les pays mais coordonnées par un directeur situé au siège ou dans un autre pays. Le maître-mot est la connaissance, non pas de la culture de l’autre, mais de l’autre en tant que personne. « C’est un moyen de favoriser une fluidité des informations et des échanges », explique ainsi la DRH. C’est pourquoi, sans parler de formations proprement dites, plusieurs rencontres physiques sont prévues plusieurs fois dans l’année afin de permettre aux participants de développer des contacts informels en parlant d’autre chose que du travail. Cette proximité va ensuite aider chacun, une fois de retour dans son pays, à rester en contact avec ses collègues. Les équipes en contact avec des collègues étrangers sur leur lieu de travail expérimentent quant à elles une troisième variante : « L’apprentissage par le “faire” », à travers l’écoute et les échanges.

(1) « Le management interculturel. Comprendre la diversité culturelle pour mieux manager les équipes », Virginia Drummond (éditions Gereso).

Auteur

  • Laurence Estival