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Saïd Hammouche combat les discriminations à l’embauche

Décodages | Inclusion | publié le : 01.02.2020 | Lys Zohin

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Saïd Hammouche combat les discriminations à l’embauche

Crédit photo Lys Zohin

Fondateur et dirigeant du groupe Mozaïk RH, qui comprend notamment un cabinet de recrutement spécialisé et une plateforme de mise en relation entre entreprises et jeunes diplômés issus de quartiers dits « sensibles », Saïd Hammouche parie sur la volonté – et la patience – pour faire changer les mentalités. Son but ? En finir avec la discrimination à l’emploi et le déterminisme social.

Saïd Hammouche sourit lorsqu’on lui rappelle certaines phrases élogieuses, glanées dans la presse, le décrivant comme « un athlète de l’antidiscrimination ». « Je ne projette pas cela volontairement, mais c’est vrai que c’est le sport (il est ceinture noire de judo, deuxième dan, NDLR) qui m’a enseigné une hygiène de vie, la gestion des émotions, le courage et une certaine sagesse. De même, le judo apprend le respect, l’empathie, l’interaction avec les autres. » Autant de valeurs qui, clairement, se sont épanouies chez Saïd Hammouche, 48 ans. Le terrain était fertile. « Chaque individu est précieux. J’ai toujours eu le désir de mieux connaître les autres, dit-il en guise d’explication. Et ce n’est pas par hasard si je suis dans la transmission. » Avec de jeunes diplômés des zones difficiles et des entreprises en quête de talents et de créativité.

En favorisant l’embauche des premiers, Mozaïk RH, le cabinet de recrutement qu’il a créé fin 2007, vise à tordre le cou du déterminisme social qui mine encore la société française. L’idée d’un tel projet a pris forme progressivement, après des soirées passées à discuter avec des amis issus du même milieu que lui – son père est un des nombreux ouvriers marocains installés en France, à Bondy (Seine-Saint-Denis) – et diplômés, comme lui, de l’enseignement supérieur : Saïd Hammouche a un DESS en gestion des entreprises. Tous ont connu les mêmes difficultés que lui parmi les étudiants provenant de sphères plus aisées. « Dans ce genre de situation, il est facile de se dire que l’on n’est pas fait pour cela. » Une fois toutes les étapes passées et les études bouclées avec réussite, il reste à trouver un emploi à la mesure des compétences acquises. Et c’est là que le bât blesse. Alors que le diplôme est censé protéger contre le chômage, l’écart entre les habitants de ce qu’on appelait auparavant les zones urbaines sensibles (ZUS) et les autres reste très significatif, selon les données 2013 – dernières en date – de l’Observatoire des inégalités : 11,3 % des habitants de ces quartiers ayant un diplôme supérieur au baccalauréat sont au chômage, alors que le taux est de 5,4 % pour les populations de même niveau universitaire résidant ailleurs. Et les choses ne se sont pas améliorées. Le rapport 2016 de l’Observatoire national de la politique de la ville montre que le taux de chômage des diplômés de niveau bac + 2 et plus issus des quartiers en difficulté est quasiment trois fois supérieur à la moyenne nationale. « Un diplômé bac + 5 de plus de 30 ans a 22 % de chances de moins d’occuper un emploi de cadre lorsqu’il est issu des quartiers prioritaires », note encore l’étude.

Il suffit d’un patronyme, d’une adresse, d’un établissement scolaire fréquenté pour qu’un CV soit écarté. Et les biais sont encore trop souvent à l’œuvre chez les DRH. Résultat, les diplômés des banlieues doivent consentir davantage d’efforts et attendre plus longtemps pour trouver un emploi ou accepter un poste ne correspondant pas à leurs capacités. « La discrimination à l’embauche est en moyenne de l’ordre de 40 % », estime Saïd Hammouche.

Révolution tranquille.

Pour lui, pas question d’en rester là. Mais pas question non plus de faire la révolution. C’est étape par étape que Saïd Hammouche entend changer les mentalités. Comme il l’a fait tout au long de son parcours. « Si je m’étais dit dès le collège que j’aurais un jour un bac + 5, je n’aurais pas réussi », avoue-t-il. D’ailleurs, il n’aime pas parler d’ambition. Ce qu’il veut, c’est avant tout lutter contre l’autocensure, qui pousse encore trop de jeunes des quartiers ou des zones rurales à viser l’horizon au lieu de penser aux étoiles. Il s’est toujours fixé des objectifs atteignables. Des qualités peaufinées là aussi au cours de sa pratique sportive. Sans oublier l’inné… « Le sport apprend à gérer l’impatience, mais aussi à ne pas perdre espoir. Les choses finissent par se faire », assure-t-il. Mais patience ne signifie pas résignation. « Si l’ascenseur social est en panne, alors il faut prendre l’escalier. » Pour le fondateur de Mozaïk RH, venir à bout des discriminations à l’embauche est un objectif atteignable. Il refuse la victimisation, le repli sur soi, la rancœur. Mais se méfie tout autant du « diversity washing », certaines entreprises mélangeant toutes les « diversités » : femmes, personnes handicapées, LGBT+… Et ne se préoccupant guère du milieu social des candidats. Même la Charte de la diversité, lancée en… 2004, et signée par près de 4 000 entreprises, n’a pas réussi à inverser franchement la tendance. « Le verre est à moitié plein », souligne Saïd Hammouche, qui préfère mettre en avant les améliorations : quelle que soit leur origine, le nombre de diplômés augmente, les mentalités évoluent, ne serait-ce qu’en raison de la meilleure orientation du marché de l’emploi et de l’apparition des métiers en tension, et, surtout, une nouvelle génération arrive aux commandes des entreprises, avec une vision plus ouverte et plus « inclusive ».

Les soft skills des banlieues.

Saïd Hammouche aurait pourtant pu rester dans l’Éducation nationale, où il avait fini par entrer après nombre de petits boulots, d’équipier chez Quick à animateur de centres aérés, pour payer ses études. Mais après cinq ans, il a ressenti le besoin « de retrouver la capacité à prendre des initiatives ». D’autant qu’en parallèle de son boulot de responsable marketing et communication dans un Greta (ces structures de l’Éducation nationale qui organisent des formations pour adultes), les discriminations dans l’emploi l’ont toujours tourmenté.

Tout commence par une association, vite professionnalisée pour pouvoir mener de front logique sociale et commerciale et recruter des personnels autres que des bénévoles. Il fallait convaincre d’abord. Et c’est sans doute là le plus grand talent de Saïd Hammouche. Un talent qu’il cultive en écoutant d’abord, en parlant – peu – ensuite. Le modèle fonctionne, au point d’être démultiplié. Ainsi, Mozaïk RH s’est implanté en régions, avec quatre antennes (Hauts-de-France, Occitanie, Rhône-Alpes, Pays de la Loire). Le groupe Adecco s’est d’ailleurs vivement intéressé à ses outils.

Aujourd’hui, Saïd Hammouche se décrit comme un entrepreneur social. Son entreprise emploie 45 collaborateurs et affiche un chiffre d’affaires en croissance de 30 % par an depuis sa création. À ce jour, elle a réussi à placer plus de 7 000 candidats à l’embauche dans quelque 450 entreprises, dont de nombreux grands groupes comme Total, Iliad, Accenture, L’Oréal, JP Morgan… « Ce qui nous distingue, c’est que nous partons des besoins des entreprises en offrant des candidatures de qualité », poursuit le recruteur. Elles recherchent la perle rare ? Elles souhaitent des collaborateurs engagés ? Créatifs ? Mozaïk RH a ce qu’il faut. Son dirigeant est en effet persuadé que vivre dans des quartiers défavorisés apporte des savoir-faire particuliers – les soft skills – précieux pour une organisation. Les difficultés rencontrées par les jeunes pour tenter de s’en sortir les ont forcément endurcis. Elles leur ont appris la résilience. Autant d’atouts pour réussir dans la vie professionnelle et dans des entreprises confrontées à la concurrence, à la nécessité de se réinventer en permanence, contraintes d’affronter des crises, d’opérer des transitions, numérique et écologique…

Une plateforme de « matching ».

Mozaïk RH ne fait pas que repérer les talents pour les proposer aux entreprises. Le cabinet les prépare, si nécessaire, à travers un programme de coaching et de mentorat, afin qu’ils aient confiance en eux, surtout après des mois de galère à la recherche d’un poste. Objectif : qu’ils se sentent légitimes pour les fonctions qu’ils briguent et qu’ils connaissent les codes, se construisent un réseau. Pour faciliter le rapprochement entre les entreprises en quête de nouveaux talents et les diplômés issus des milieux moins privilégiés, Mozaïk RH a lancé DiversifiezVosTalents.com, en 2018, à travers la Fondation Mozaïk, rattachée à la société. Une plateforme 100 % gratuite pour les recruteurs qui offre, grâce à un algorithme spécialement conçu, un « matching » automatisé entre des candidats sondés, au-delà du CV, sur leurs soft skills, et les offres d’emploi. « L’accès à l’information est le levier principal pour oxygéner l’écosystème, relève Saïd Hammouche. N’importe quelle entreprise peut publier une offre d’emploi et avoir accès à la CVthèque alimentée par des personnes dont les compétences ont été évaluées par nos soins. » La base de données alimentée par Mozaïk RH contient 20 000 noms et compte bien atteindre les 100 000 candidats dans les prochains mois. En un an, plus de 3 000 mises en relation ont été effectuées.

Système de quotas pour les apprentis.

Après avoir œuvré pour les quartiers défavorisés des grandes métropoles, Saïd Hammouche veut maintenant s’attaquer aux zones rurales, qui comptent elles aussi beaucoup de jeunes victimes d’exclusion économique et qui se sont rappelés au souvenir de l’État ces derniers temps. « On ne peut pas compter sur les pouvoirs publics pour tout faire », estime le dirigeant de Mozaïk RH. Mais les lignes bougent. Ainsi, Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, a annoncé la création d’une interface entre le site Place de l’emploi public et DiversifiezVosTalents.com. Faut-il un système de quotas pour les diplômés issus de milieux défavorisés, au même titre qu’il en existe un pour les femmes dans les conseils d’administration et bientôt dans les comités exécutifs ? Saïd Hammouche est partagé. Le croisement des données serait compliqué et « le changement ne se décrète pas », avance-t-il. Mais il a quand même quelques idées sur ces questions. À commencer par obliger les entreprises à recruter en apprentissage 10 % d’étudiants boursiers, essentiellement des jeunes des banlieues et des zones rurales, sur des postes de bac + 3 à bac + 5, ingénieurs ou spécialistes du marketing, par exemple. Une solution qu’il veut coconstruire avec le Gouvernement d’Édouard Philippe. Pour mettre en lumière les entreprises qui œuvrent à l’inclusion économique, Mozaïk RH a également lancé un Top 10 des recruteurs de la diversité, qui se tient chaque année depuis 2016 à Bercy. Car les rôles modèles ne peuvent pas être seulement individuels. En dépit de toutes ces initiatives, de cette débauche d’énergie, le combat contre les discriminations à l’embauche est encore loin d’être gagné. Saïd Hammouche comprend, du coup, la colère de certains. Et il se fait fort de construire aussi des passerelles vers ces jeunes-là. La cohésion sociale en dépend.

Auteur

  • Lys Zohin