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Mais où sont donc passés les commerciaux ?

Décodages | Recrutement | publié le : 01.02.2020 | Judith Chétrit

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Mais où sont donc passés les commerciaux ?

Crédit photo Judith Chétrit

Victime de son image, la fonction de commercial, malgré ses transformations, peine à recruter. Les entreprises s’organisent en conséquence. Le secteur de la formation également.

Ancien expatrié et directeur associé d’une société qui organise des Salons de vins européens en Asie et dans les pays méditerranéens, Olivier Darras a peiné, à son retour il y a deux ans, à recruter des profils « 100 % commerciaux » en CDI et en contrat d’apprentissage. « Et encore, on est dans un secteur attractif : l’événementiel à l’étranger autour des spiritueux. Je recevais beaucoup de candidatures orientées marketing et communication. Oui, il faut que l’événement soit bien positionné, mais j’ai surtout besoin de le remplir en exposants avec des maisons viticoles de renom, des négociants, des syndicats d’appellation et des comités interprofessionnels », détaille-t-il.

Son étonnement ne surprendra guère les professionnels du commerce. À chaque enquête de Pôle emploi ces dernières années, les mêmes fonctions et métiers concentrent les plus importantes difficultés d’embauche. La fonction commerciale, représentant environ 700 000 salariés en France, en fait partie : plus de la moitié des entreprises affirment avoir du mal à trouver des candidats compétents, ce qui met parfois en péril leur développement. Car, derrière les créations de postes qui intègrent les évolutions liées au numérique, la fonction commerciale souffre d’un déficit d’image et recouvre une vaste palette de situations de travail entre l’aspect nomade, sédentaire, l’avant-vente ou bien la vente dite « complexe », où plusieurs décisionnaires font partie du processus d’achat. Une réalité à laquelle font face la quinzaine de recrutés à l’année d’ADP en France, l’un des spécialistes mondiaux des logiciels RH, qui compte une équipe d’une centaine de personnes. « On recherche des candidats capables d’animer un territoire avec un portefeuille moyen de 350 à 400 entreprises et d’accompagner l’ensemble du cycle de vente en relation avec les différents interlocuteurs dans les entreprises. Que cela soit des DG, des DAF ou des DRH, qui n’ont pas toujours le même vocabulaire et les mêmes attentes », indique Marie Bonhomme, sales regional manager dans le grand Est, qui va de l’Alsace à la Corse. Dans son périmètre géographique, à l’image d’autres postes, elle juge les recrutements plus compliqués en régions qu’en Île-de-France. Cela lui a pris en moyenne quatre mois pour les dernières embauches. Sans avoir ajouté de prérequis de diplôme à ses offres d’emploi, l’entreprise se dit ouverte aux « profils atypiques », plutôt anglophones, qui ont surtout envie d’être coachés et formés, sans avoir un CV truffé d’expériences.

Image brouillée.

Cette ouverture d’esprit et cette attention particulière portée aux compétences relationnelles sont certes loin d’être nouvelles, mais elles peuvent intriguer lorsque les attentes des clients, possiblement mieux informés grâce aux nouvelles technologies, ont changé le paradigme de la vente. Ce n’est pas cette manager issue d’un environnement concurrentiel redoutable qu’est le logiciel qui dira le contraire : « Le client n’entre pas dans une démarche commerciale tant qu’il n’a pas identifié les prestataires qu’il va consulter. Les entreprises ont déjà repéré les solutions qu’elles attendent », développe-t-elle. En effet, des logiciels de gestion clients permettent d’optimiser la prospection, des tablettes s’ajoutent à la panoplie d’outils pour connaître l’état des stocks et l’ensemble des caractéristiques des produits. Autant de dispositifs qui se présentent également comme une manière d’accroître l’autonomie des forces commerciales et de faciliter leur quotidien.

Pourtant, l’image du commercial peine à se transformer aussi vite : « On reste sur celle d’une personne qui prospecte par téléphone ou qui passe son temps sur les routes, relève Jacques Froissant, fondateur d’Altaïde, une société de conseil en recrutement dans le secteur du numérique. Il faudrait plutôt le présenter comme un métier de procédures qui demande de se tenir à un avancement rigoureux pour aboutir à l’acquisition de compétences similaires à celles d’un chef de projet. Dans une entreprise numérique, quand une chaîne commerciale est bien organisée, il n’y a un contact direct avec certains clients que lorsqu’ils représentent une taille conséquente. De plus, une bonne partie des rendez-vous sont déjà générés par les personnes du marketing chargées de la génération de prospects. »

Cooptation et prime à la clé.

Dans cet environnement à la fois pénurique et segmenté, d’autres solutions sont ainsi mobilisées, comme le recours à la mobilité interne ou l’externalisation d’une partie des forces commerciales. Le leader du secteur, CPM France, compte Microsoft, Samsung et L’Oréal parmi ses clients. Avec un millier de recrutements annuels, dont 70 % en CDI, l’entreprise assure une grande partie d’animations commerciales en grande distribution, « pour accompagner la visibilité et les ventes d’une marque », grâce à des séminaires de formation sur l’offre et la posture commerciale, explique Sabrina Lee, directrice du recrutement d’Omniservices, dont CPM est une filiale. Parmi les recrutés, il y a une grande proportion d’étudiants, ce qui explique en partie un turn-over annuel de 25 %. Cette recruteuse est confrontée aux mêmes difficultés dans les zones blanches et dans les grandes agglomérations caractérisées par une plus grande volatilité, d’où ses discussions en cours avec Pôle emploi et avec les missions locales pour mieux cibler les profils. « Avant, nous n’avions pas de démarche particulière à avoir pour améliorer l’attractivité de nos postes. Aujourd’hui, avec le développement de la concurrence des banques en ligne, nous nous sommes davantage positionnés sur des métiers à forte vocation commerciale », confirme Morgane Jain, responsable de la recherche de talents et de la transformation du recrutement du groupe Arkéa où quelque 550 commerciaux sont recrutés chaque année pour le réseau bancaire en Bretagne et dans le Sud-Ouest. « Les personnes qui viennent à nous sont le plus souvent en première partie de carrière, visant des postes de conseillers et de chargés de clientèle pour les particuliers. Pour les publics professionnels, qui nécessitent une connaissance du monde agricole et viticole, c’est plus difficile. On recrute à bac + 2 minimum et avec des compétences commerciales avérées, mais pas nécessairement dans le milieu bancaire. » Après les job-boards, les conférences d’anciens dans les écoles et les forums pour l’emploi, la dernière carte jouée pour recevoir une centaine de candidatures supplémentaires ? La cooptation avec une prime de 1 000 euros à la clé si la personne est titularisée.

Alors que plusieurs DRH confirment que la confrontation directe avec le client peut désormais effrayer une partie des postulants, certains employeurs veulent minimiser les risques de désillusions des nouveaux arrivés et… leur départ brutal, en pleine période d’essai. Élargir le vivier des prospects passe ainsi par la création de partenariats avec des organismes de formation continue et la création plus fréquente d’écoles de vente. C’est pourquoi Autodistribution accueille depuis 2016 une promotion annuelle d’une douzaine de personnes pour les initier à la vente de pièces détachées automobile. À la clé, un bachelor de l’école de commerce Idrac Business School pour ces bac + 2 à l’origine et un poste de vendeur itinérant avec un portefeuille d’une centaine de clients. « Lorsqu’ils intègrent la promotion, ils connaissent le poste à pourvoir et l’enseigne dans laquelle ils débuteront, à condition d’avoir une bonne appréciation professionnelle et une validation théorique. En moyenne, une moitié reste et l’autre arrête ou décide de poursuivre des études », détaille Murielle André, DRH du groupe PHE, dont fait partie Autodistribution. Dans cette entreprise de 6 000 salariés où un quart des recrutements s’effectue dans les postes de vente, les recrues démarrent avec un salaire brut moyen de 2 000 euros et un variable pouvant atteindre 30 %.

L’enjeu de la formation initiale.

Souvent pointée du doigt pour ne pas avoir suffisamment adapté ses cours à l’évolution du secteur, la formation initiale tente aujourd’hui de changer la donne. Depuis 2018, deux des formations les plus recherchées sur le marché de l’emploi ont changé leur intitulé. Les étudiants sont désormais diplômés d’un BTS négociation et digitalisation de la relation client ou bien d’un BTS management commercial opérationnel, pour bien inclure la dimension terrain au lieu de l’ancien « management des unités commerciales ». Dans les IUT ou dans les écoles post-bac, les équipes enseignantes ajustent leurs programmes, insistent davantage sur le e-marketing et multiplient des études de cas pour observer les stratégies en ligne d’enseignes. En revanche, ce n’est guère dans les rangs des écoles de commerce que les entreprises comptent trouver une partie des 150 000 postes de commerciaux laissés vacants chaque année. Dans ces établissements qui, pour certains, se sont renommés en écoles de management, les représentations associées à ces métiers peinent à susciter des vocations. Elles ne font pas le poids face au conseil, à la banque et à l’assurance. Selon la dernière enquête d’insertion de la Conférence des grandes écoles, seulement un diplômé 2018 sur dix a commencé sa carrière dans le commerce. « Il faut donner envie et faire connaître différemment les fonctions commerciales comme l’international ou le business development dans les start-up », avance Marc Pérennès, directeur employabilité à l’EM Lyon.

Cette école s’est ainsi associée à la fédération des Dirigeants commerciaux de France (DCF) pour créer une chaire sur « la transformation de la fonction commerciale à l’ère numérique ». Le but : mieux saisir en quoi les transformations des interactions entre les commerciaux et les clients amènent à un changement de pratiques professionnelles. « En règle générale, l’entreprise ne sait pas évaluer la compétence commerciale. Cela revient le plus souvent à chercher des clones qui font le même métier dans le même secteur d’activité alors que ce n’est pas un gage de performance », souligne Blandine Guegan, secrétaire adjointe en charge des études du réseau. Pour cette directrice du développement commercial du cabinet de recrutement CCLD, « il y a encore un amalgame entre le référentiel de compétences à identifier et la fiche mission du poste, sans aider les candidats à comprendre comment peut se dérouler ce transfert de compétences ». L’intervention qui l’irrite le plus en entretien ? « Candidat, vendez-moi ce stylo. »

Auteur

  • Judith Chétrit