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La difficile survie des syndicats « maison »

Décodages | Dialogue social | publié le : 01.02.2020 | Benjamin d’Alguerre

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La difficile survie des syndicats « maison »

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Hier, ils étaient « les jaunes », « les briseurs de grève » ou dits « du patron ». Les syndicats « libres », « indépendants » ou « maison » ont beau s’être détachés – pour certains – de ce qui les reliait aux employeurs, ils restent discrets dans le panorama social. Tour d’horizon.

« Quand on perd sa représentativité, on le vit très mal ! ». En évoquant les mauvais scores du Syndicat indépendant de l’automobile (SIA) aux dernières élections professionnelles chez PSA, Michel Delignat, son secrétaire général, se renfrogne. « À une époque, chez Peugeot-Citroën, il y avait nous, la CGT… et pas grand-chose d’autre à côté », soupire-t-il. Depuis, le SIA vit ce qui s’apparente à une mort lente. L’organisation syndicale historique au sein du groupe automobile recueillait encore 18 % des suffrages des salariés en 2008, juste avant la réforme de la représentativité. Aujourd’hui, elle doit se contenter d’un 9,86 % qui, en dehors de quelques sites où elle conserve une présence, la prive de la table des négociations. Difficile à vivre quand on a régné des décennies sur la vie sociale de l’un des plus grands fleurons industriels français. D’une main de fer, parfois. Car si le SIA a adopté ce sigle en 2000, c’est aussi pour faire oublier presque un demi-siècle peu glorieux où, en tant que section CFT (Confédération française du Travail) puis CSL (Confédération des syndicats libres), il était le syndicat « maison » de Citroën et luttait pied à pied – y compris physiquement – contre le développement de la CGT au sein du groupe avec le soutien actif de la direction. Un passé que le SIA, déjà affaibli par la défection d’une partie de ses militants au profit de FO au tournant du xxie siècle, déplore désormais, mais assume. « Des années 1960 aux années 1980, aux yeux de la CGT, on était les jaunes, le syndicat du patron. Mais aujourd’hui, on arrive à trouver des points d’entente avec les autres organisations syndicales lorsqu’il s’agit de défendre l’intérêt des salariés sans pour autant vouloir nuire à la bonne santé économique de l’entreprise », assure Michel Delignat. Néanmoins, une page s’est définitivement tournée dans le syndicalisme automobile. Le SIA se donne jusqu’aux prochaines élections professionnelles, en 2024, pour savoir s’il est possible de redresser la barre, si le moment du dépôt de bilan est arrivé ou si une nouvelle vie est possible… mais peut-être, cette fois, sous les couleurs de l’Unsa.

Une centaine d’organisations actives.

Si le SIA est le dernier représentant emblématique de ces structures « libres », « indépendantes » ou « maison » qui ont marqué l’histoire, il est loin d’être le seul dans sa catégorie, même si le syndicalisme libre a aujourd’hui du plomb dans l’aile. Les résultats d’audience des élections professionnelles 2017 montrent qu’une centaine d’organisations syndicales libres de toute attache fédérale ou confédérale ont présenté des candidats et obtenu des suffrages dans autant d’entreprises. Les élections des CSE qui se sont déroulées en 2018 et en 2019 ont également permis à ces organisations autonomes de peser dans le dialogue social d’entreprise. Chez Ingram Micro (grossiste informatique), la liste « Droit de penser, Devoir d’agir » a recueilli 69,4 % des voix et neuf élus au comité économique et social. Chez Altran, Amplitude a séduit 16 % des votants. Chez Chabé Limousines (location de véhicules), le syndicat Mercure a obtenu 20,9 %. Traid’Union, un nouveau venu chez Sopra Steria, a presque réussi le grand chelem du premier coup avec 50 %, talonné par la CFDT et… par deux autres syndicats maison, Avenir et S3I ! Chez Sealynx International, la CDTM confirme sa première place avec 68,9 % des voix. Ailleurs, Chauvin-Roux (équipement électrique portable), Dassault Système, Darty, Editis, EuroDisney, Euromaster, les supermarchés Match, PMG Textiles, Lily France, Orange, Orangina, Pernod-Ricard, Parisot, Le Printemps, Serge Ferrari (textiles), la Sémitag (transports de l’agglomération grenobloise) ou les Mutuelles Santiane accueillent également en leur sein des organisations syndicales à vocation purement interne.

Le secteur public n’est pas en reste. Pôle emploi, les Musées nationaux, La Poste et surtout la RATP disposent aussi de syndicats autonomes. Cette dernière constitue même un cas d’école puisque pas moins de trois organisations indépendantes ont surgi dans le jeu social ces dernières années : le Syndicat autonome tout RATP (relié au mouvement des syndicats antiprécarité), La Base et le Rassemblement syndical (RS-RATP). Combien d’organisations de ce type existent dans le paysage exactement ? « Difficile à dire, elles font partie de ces 4 % que la DGT recense dans la catégorie “Autres” dans ses relevés d’audience syndicale. Mais établir une cartographie complète est particulièrement complexe, car elles apparaissent et disparaissent, rejoignent ou quittent une confédération, voire connaissent des scissions qui peuvent à leur tour donner naissance à d’autres structures syndicales », confie un cadre de la CFDT. Mal de crâne garanti pour celui qui tenterait d’établir un listing exhaustif.

Les « jaunes » passés de mode.

Il est tout aussi malaisé d’établir un portrait-robot de ces organisations. « Certaines restent des émanations des directions. D’autres sont nées de dissidences de syndicats installés ou sont des survivances d’anciennes organisations disparues ou en sommeil comme la CSL ou l’UFT. Il existe aussi des syndicats plus opportunistes créés autour d’une personnalité charismatique, d’un métier ou d’une revendication spécifique. D’autres masquent des structures communautaristes ou marquées à l’extrême droite. Enfin, restent toutes celles qui répondent à un besoin d’expression directe des salariés, négligé par les syndicats traditionnels », détaille Guy Groux, politologue et directeur de recherche honoraire au Cevipof. Une seule certitude : la part de ces structures directement à la main des directions d’entreprises se réduit nettement. « Le dirigeant qui créée ce type de syndicat pour espérer peser sur le dialogue social dans son entreprise se trompe d’époque, assène Frédéric Guzy, directeur général du réseau Entreprise &Personnel. Aujourd’hui, les entreprises qui veulent contourner les organisations syndicales privilégient le dialogue direct avec les salariés par le biais d’un management à l’écoute ou de la mise en place de temps d’échanges sur le lieu de travail. » Cela ne veut pas dire que le patronat a forcément renoncé à avoir ses « jaunes », mais cette pratique apparaît aujourd’hui aussi désuète que difficile à cacher aux yeux des autres syndicats, des salariés ou de l’Inspection du travail. Chez Fedex-TNT, les soupçons portés sur le SNSG, accusé d’être dans la main d’une direction des ressources humaines fonctionnant « à l’américaine », a provoqué une érosion de son score, passé de 30 à 11 % entre 2009 et 2019. Chez Sopra-Steria, l’ascension (trop ?) rapide de Traid’Union incite ses concurrents d’Avenir à s’interroger sur un éventuel coup de pouce venu d’en haut. D’autant que la même organisation s’était déjà vue retirer sa représentativité par le tribunal de Versailles en 2008… « Ils savent qu’à l’instant même où ils signeront un accord trop défavorable aux salariés, nous contesterons leur légitimité devant la justice. Cela devrait les inciter à réellement prendre en compte les revendications du personnel », s’amuse Joseph Raad, délégué syndical central Avenir.

Dialogue direct.

Exceptions mises à part, le besoin pour le patronat d’entretenir des syndicats créés ex nihilo s’est amenuisé dès les années 1970. Trop visible. « En dehors de la métallurgie et de l’automobile restées longtemps attachées à “leurs” syndicats maison, les employeurs ont rapidement compris que le rôle de “jaunes” pouvait parfaitement être occupé par des organisations traditionnelles ravies d’entretenir une relation de proximité avec certains grands groupes. Chez Bouygues, le “syndicat du patron” s’est longtemps appelé FO ! », rappelle un observateur du monde social. Ailleurs, les DRH ont parfois su jouer la carte des sections syndicales fantômes porteuses du sigle d’une centrale représentative pour le seul bénéfice de disposer de délégués syndicaux complaisants lors de la signature des accords… et ce, parfois, avec la complicité de confédérations pas toujours regardantes sur les pratiques de leurs représentants. Des pratiques balayées par la réforme de la représentativité de 2008 et surtout par les ordonnances Macron de 2017, qui autorisent les employeurs à consulter directement les salariés par référendum.

Autre conséquence des ordonnances : la fusion des IRP entraîne une diminution du nombre de mandats disponibles. Une épine dans le pied des petites structures parfois représentées dans un unique CE ou CHSCT. « La réforme des IRP nous a coûté quelques mandats », reconnaît Marc Diologeant, délégué syndical central Grand Ouest du Syndicat libre Darty, un reliquat de la CSL qui pèse près de 10 % sur le périmètre total du groupe. De l’aveu du dirigeant de cette petite organisation qui fonctionne avec peu, et dont les élus s’autoforment au droit syndical « sur Internet » faute de moyens, la substitution des délégués du personnel par des représentants de proximité est l’élément qui a le plus taillé dans les effectifs de ses représentants. Entraînant le risque d’une déconnexion croissante entre élus et salariés. Dangereux, car ce contact avec le terrain constitue souvent la plus-value que ces organisations mettent en avant pour se faire entendre de ceux qu’elles aspirent à représenter. La consultation régulière des adhérents – voire des autres salariés – demeure en effet une pratique bien répandue chez les syndicats indépendants. « Lorsque nous sommes amenés à prendre une décision entraînant des conséquences pour le personnel, nous le consultons systématiquement. Ce fut le cas, il y a deux ans, concernant la question des nouvelles classifications. 88 % des répondants les approuvaient et nous avons signé en ce sens », explique Laurent Mérique, secrétaire général du Syndicat national autonome de Pôle emploi (SNAP), qui a recueilli 10,3 % des voix aux dernières élections professionnelles. Même son de cloche du côté d’Avenir, du Syndicat libre Darty ou de la SIA, où l’on privilégie le dialogue direct avec la base et la remontée des revendications de terrain.

La carte de la proximité.

Cette stratégie de la proximité peut-elle payer face à un dialogue social parfois perçu comme un « entre-soi » réservé aux DRH et aux seuls syndicats représentatifs ? « Il peut exister une défiance des salariés vis-à-vis des syndicats installés, considérés comme politisés ou trop liés à leurs instances nationales lorsqu’ils ne sont pas assez proches du terrain. Si c’est le cas, les indépendants peuvent en profiter pour jouer la carte de la proximité, de la neutralité, et constituer les porte-parole de leurs préoccupations quotidiennes », souligne Pierre Ferracci, dirigeant du Groupe Alpha. De fait, les baromètres de la confiance politique réalisés par le Cevipof révèlent un rejet structurel des organisations syndicales par les Français, qui ne sont plus que 27 % à leur accorder du crédit. Dans ces conditions, un syndicalisme indépendant qui se donne avant tout pour mission de relayer les préoccupations de la base aux niveaux supérieurs et d’y apporter des réponses pourrait trouver des oreilles attentives. Surtout s’il est porté par des élus apparaissant comme dévoués, dénués d’arrière-pensées et mouillant le maillot pour les collègues. Le tout avec de très petits moyens et de la débrouille. « On fonctionne comme Médecins du monde ou Les Restos du cœur. Notre budget étant inférieur à 25 000 euros par an, nous sommes obligés de limiter nos dépenses. Nos élus et représentants qui accompagnent un salarié dans une procédure le font sur leurs propres deniers. Et vous savez quoi ? Ils le font quand même ! » lance Joseph Raad. « Il y a parfois de l’abnégation à pratiquer le syndicalisme indépendant », reconnaît-on, un brin admiratif, à la CTDT. Mais pour quels résultats ? Le syndicalisme « libre », même affranchi de ses oripeaux jaunes, a-t-il un avenir ? « Honnêtement ? Je n’en sais rien », répond Michel Delignat, du SIA.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre