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Des entreprises de plus en plus solidaires

Décodages | RSE | publié le : 01.02.2020 | Lucie Tanneau

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Des entreprises de plus en plus solidaires

Crédit photo Lucie Tanneau

Épargne, missions auprès d’associations, dons, mécénat… De plus en plus d’entreprises s’impliquent dans des projets dits « solidaires ». Elles rejoignent ainsi les aspirations citoyennes de leurs salariés : participer au changement des mentalités, sinon de la société entière. Les idées se multiplient. Les montants alloués progressent. Une nouvelle réponse à la quête de sens, et un plus pour l’image de l’entreprise en interne.

Huit milliards d’euros. C’est le montant épargné par les salariés français sur des fonds solidaires en 2018. Huit fois plus qu’en 2010. « Cette croissance est impressionnante car elle correspond à une tendance de fond et à un contexte : les citoyennes et les citoyens prennent conscience des enjeux sociaux, ils ont envie de s’engager. Et ils mettent la pression sur leurs employeurs afin qu’eux aussi s’engagent », analyse Patrick Sapy, directeur de l’association Finansol, qui promeut la solidarité dans l’épargne et dans la finance. Depuis le 1er janvier 2010, en application de la loi de modernisation de l’économie, toute entreprise disposant d’un dispositif d’épargne salariale doit proposer un fonds commun de placement d’entreprise solidaire (FCPES) à ses collaborateurs. Les FCPES donnent la possibilité d’investir dans la création d’emplois, dans la construction de logements sociaux ou dans la protection de l’environnement, tout en offrant une certaine rentabilité. Les entreprises se saisissent de ces opportunités car elles savent que leurs personnels y sont sensibles. « Par rapport à dix ou vingt ans en arrière, on constate une vraie envie de s’engager pour montrer que les organisations sont conscientes des enjeux sociétaux », note Patrick Sapy.

Un euro sur dix est aujourd’hui placé sur un fonds solidaire d’épargne salariale (FSES), mais le montant global de l’épargne solidaire (13 milliards d’euros, dont 8 pour l’épargne salariale solidaire) est loin d’être structurel. Une goutte d’eau ? Non, le début d’une rivière, selon le directeur de Finansol. L’explosion du nombre de projets dans l’économie sociale et solidaire (ESS), dans les entreprises solidaires d’utilité sociale (ESUS), dans le social business ou dans l’entreprise solidaire (ES) est un signe. D’utilité sociale ou non, avec une finalité commerciale ou non, toutes ces structures ont besoin d’accéder à du financement pour se développer. Particuliers, entreprises ou investisseurs institutionnels. « L’épargne des Français atteint plus de 5 000 milliards d’euros, l’épargne solidaire ne représente que 0,25 %, mais l’objectif est d’atteindre rapidement les 1 %. Le potentiel est énorme », encourage-t-il. Trois fonds multi-entreprises atteignent déjà les 600 millions d’euros d’encours.

« Les moyens d’être solidaire en entreprise sont nombreux, mais l’épargne est celui qui a le plus d’effet de levier et son impact est mesurable, ce que demandent les salariés, encourage encore Patrick Sapy. En matière d’emplois (48 000 créés ou consolidés selon le dernier baromètre Finansol/“La Croix” de juin 2019), les entreprises font de moins en moins de saupoudrage, elles préfèrent financer des actions liées au développement durable en lien avec leur stratégie. ». Parmi les 102 fonds solidaires d’épargne salariale, 52 sont d’ailleurs des fonds internes (et 50 des fonds multi-entreprises proposés par des gestionnaires) : une preuve de l’engouement des organisations sur ce terrain.

Les salariés veulent des entreprises engagées.

Confirmation du côté de Thalès. Catherine Baudasssé, directrice du financement, en charge de l’épargne salariale et des microdons, a mobilisé les partenaires sociaux et les ressources humaines sur le nouveau fonds d’épargne solidaire, créé en 2006. « Les salariés sont demandeurs et l’impact est beaucoup plus important que ce que peut faire une fondation », note-t-elle. Un deuxième fonds solidaire a même vu le jour. À eux deux, Amundi et Humanis représentent 30 % de l’épargne salariale, soit environ 250 millions d’euros. Entre 5 et 10 % de ces fonds sont directement investis dans des projets de l’ESS, soit 20 millions d’euros pour des associations ou pour des ONG ayant besoin de capitaux propres. « Contrairement aux dons, on est actionnaires de ces entreprises ou on leur octroie des prêts, donc on peut choisir les projets soutenus, ce qui plaît aux salariés », apprécie Catherine Baudassé. Plus de 20 000 d’entre eux investissent dans ces fonds. « C’est très supérieur à beaucoup de grands groupes, note la directrice du financement. Nous ne communiquons pas beaucoup, mais les partenaires sociaux le font et les salariés tiennent à ces projets : l’histoire derrière les fonds solidaires donne du sens à leur épargne. » On y revient. La notion de sens, très recherchée par les salariés d’aujourd’hui, les incite à cette solidarité.

Le modèle des sociétés coopératives et participatives (SCOP) et des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC), en développement ces dernières années et qui bénéficie de ces financements, atteint aujourd’hui le nombre de 3 500 unités et montre aussi l’envie des actifs de participer à une activité économique moins capitaliste, et peut-être plus sociale. 60 000 personnes travaillent dans ces sociétés pour un chiffre d’affaires de 5,5 milliards d’euros. Des formations ouvrent même leurs portes afin d’encourager et d’accompagner les investisseurs dans cette voie.

« Auparavant, la solidarité était plus une proximité culturelle, on accueillait des parents chez soi. Cela ne se fait plus. Maintenant, on passe par des associations ou par du financement. C’est peut-être moins direct, mais cela permet de savoir comment aider. Les entreprises participent à cela. Au lieu de donner un euro à un SDF, l’engagement se fait sur du long terme, avec une organisation cadrée, complète Pia Ceccaldi, la directrice engagement sociétal de Thalès, en charge des programmes de la fondation. On me dit souvent que les fondations existent pour l’image. Je crois, au contraire, qu’elles sont vraiment une manière de contribuer à changer la société. » Car si l’épargne solidaire est un moyen efficace, les entreprises multiplient les idées et les propositions pour permettre à leurs salariés d’être solidaires. « Les problématiques sociétales et sociales sont telles que le gouvernement ne peut agir seul. D’autres doivent s’impliquer. Il y a les ONG, mais aussi le financement et l’engagement de plus de gens, et notamment des sociétés. On passe beaucoup de temps en entreprise et je pense que nous avons un rôle pour sensibiliser les salariés », ajoute Pia Ceccaldi.

Thalès, comme la plupart des grands groupes, propose donc un panel d’actions à ses collaborateurs. Depuis 2015, le groupe pratique notamment l’arrondi sur salaire. Une pratique, comme on le voit de plus en plus aux caisses des magasins, qui consiste à offrir à des associations choisies des centimes pour aller jusqu’à l’euro supérieur. « Nos salariés peuvent arrondir jusqu’à 10 euros. Nous avons récolté 287 000 euros en 2018 (dont 180 000 d’abondement par le groupe) grâce aux 4 086 donateurs », indique Thalès, qui se fixe un objectif de 5 300 donateurs pour une somme de 370 000 euros cette année. Sept associations ont été retenues pour recevoir cet argent. 500 nouveaux donateurs se sont manifestés après l’incendie de Notre-Dame de Paris en avril 2019, au profit de la Fondation du patrimoine. « Chaque salarié décide pour quels projets il est solidaire : il flèche les dons parmi les projets sélectionnés par vote », détaille la responsable du programme. Plus de 400 entreprises se sont engagées avec « la start-up sociale » L’Arrondi. Soit 350 000 salariés qui confient quelques euros chaque mois. Une manne financière qui s’ajoute au mécénat d’entreprise, lui aussi en progression puisque les entreprises concernées sont toujours plus nombreuses – de 6 500 en 2005 à 68 930 en 2017, selon un rapport de la Cour des comptes.

Missions et volontariat en vogue.

Certaines vont plus loin en proposant un engagement physique. Le mécénat de compétences, le don de jours de solidarité pour des associations voire le départ pour des missions d’une semaine, de quinze jours ou davantage, ont la cote. Si le congé de solidarité international, un « congé sabbatique humanitaire » de six mois maximum, permis par la loi de 1996, reste méconnu, le congé solidaire, les congés de solidarité, le volontariat humanitaire de solidarité internationale et autres missions d’entraide se multiplient. L’association Planète Urgence, créée en 2000 et intégrée au groupe SOS, propose notamment aux collaborateurs d’entreprises des séjours de deux semaines en association partout dans le monde. 326 salariés issus de 80 structures se sont engagés en 2018. Le voyage s’effectue sur le temps des congés, mais les frais (transport, séjour, inscription) sont à la charge de l’employeur. Natixis, le Crédit Mutuel Arkéa, General Electric ou EDF ont déjà adhéré. Aucun bilan chiffré de ces engagements n’existe. Mais selon le magazine « Challenges », France Volontaires affiche également « 74 missions de congés de solidarité réalisées par 68 volontaires dans quinze pays depuis 2006 ».

La solidarité n’est pas l’apanage des grands groupes. De nombreuses PME s’illustrent également. Certains professionnels du bâtiment donnent du temps ou des compétences pour réparer la chaudière ou pour prêter leur véhicule professionnel à des associations voisines. D’autres invitent dans leur restaurant pour un repas de Noël. Des coiffeuses offrent des coupes gratuites. Des boulangeries, du pain. Le dispositif de la baguette suspendue (une baguette achetée laissée à disposition d’une personne dans le besoin) ou du café suspendu avait fait parler de lui et mobilisé nombre de petits commerçants. Pour les salariés de ces petites entreprises, si les dispositifs proposés sont différents de ceux mis en place dans des organisations d’envergure, l’intention est importante.

Loin du « socialwashing » (une initiative bonne pour l’image mais contre-productive si elle ne se révèle pas suivie d’effets), les entreprises semblent aujourd’hui s’impliquer par conviction ou par intérêt dans davantage de solidarité, financière, de proximité ou à travers des missions ponctuelles. Une orientation de plus en plus demandée par les salariés, et utile pour les attirer. Argument non négligeable en période de forte tension sur le marché de l’emploi.

Auteur

  • Lucie Tanneau