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Quel avenir pour l’Europe sociale ?

Idées | Débat | publié le : 01.01.2020 |

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Quel avenir pour l’Europe sociale ?

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Salaire minimum européen, amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes, voire régime européen d’assurance-chômage… Alors que la nouvelle Commission européenne a pris ses quartiers, les chantiers, sur le social, ne manquent pas pour le commissaire Nicolas Schmit. Avec une question essentielle…

Marcel Grignard : Président de Confrontations Europe.

Objectif extrêmement ambitieux et vital, le green deal, fil conducteur de l’action européenne proposé par la nouvelle commission, nous met sur la trajectoire de la neutralité carbone d’ici 2050. Mais le green deal est inatteignable s’il ne fait pas corps avec une composante sociale d’une exigence équivalente.

Le propos d’Ursula von der Leyen aborde le sujet incontournable des investissements ; y manque à ce stade un chapitre consacré à l’investissement humain indispensable pour répondre aux besoins en compétences et en accompagnement des transitions vers les nouveaux métiers. C’est un enjeu de compétitivité et un moyen de donner des perspectives à l’ensemble des travailleurs – en particulier à ceux des territoires les plus impactés par la transition énergétique.

À tous les niveaux, concilier enjeux économiques, environnementaux, sociaux… impose une construction des compromis abordant ensemble ces enjeux et cherchant à faire des citoyens – des travailleurs – des acteurs impliqués, coauteurs et acteurs de ces mutations. L’entreprise est un acteur majeur de ces transformations et partout progresse le débat sur le rôle de l’entreprise (sa raison d’être, sa mission), la place de ses parties constituantes (dont les salariés) et prenantes. Voilà de quoi réinterroger ce qu’est le dialogue social dans l’Union – de l’entreprise au dialogue sectoriel. Il conviendra de l’aborder en partant d’une approche partagée de ce qu’est une entreprise en Europe. Le socle des droits sociaux est à mettre à l’actif de la Commission Juncker. Pour l’essentiel, ce progrès ne se met en œuvre que par la volonté des États, ils continueront à travers le Conseil et dans le débat avec la Commission à défendre leurs intérêts.

Andreas Bodemer : Secrétaire politique au sein du bureau de liaison auprès de l’UE du syndicat allemand de la métallurgie IG Metall.

Ursula von der Leyen démarre son travail avec des objectifs ambitieux, qui s’appliquent aussi à la politique sociale. Elle a ainsi confié une série de missions au nouveau commissaire à l’Emploi et aux Droits sociaux. Parmi elles figurent la mise en œuvre de la directive sur l’équilibre vie professionnelle et vie privée, la mise en place durable et le renforcement de la garantie pour la jeunesse, une nouvelle stratégie européenne sur l’égalité axée sur le principe fondateur « À travail égal, salaire égal », des propositions en vue d’instaurer des mesures contraignantes en matière de transparence des rémunérations et la levée du blocage de la directive sur la présence des femmes dans les conseils d’administration. Toutes ces mesures doivent faire partie d’un plan d’action pour la mise en œuvre intégrale du socle européen des droits sociaux. Elles devront être examinées d’un œil critique. La création d’un instrument juridique destiné à mettre en place un salaire minimum équitable devra respecter les positions des partenaires sociaux européens. En outre, il faudra attacher une importance particulière à la manière dont la gouvernance économique sera structurée à l’avenir. Laissera-t-elle aux États membres une marge de manœuvre suffisante pour concevoir des systèmes de Sécurité sociale permettant une sécurité des revenus ? Et quel sera l’avenir du pacte de stabilité et de croissance ? La réussite du programme de la nouvelle présidente de la Commission exigera de nombreuses compétences politiques. La situation au Parlement européen est plus confuse qu’au cours de la dernière législature. Par ailleurs, Ursula von der Leyen doit aussi sa nomination à des Gouvernements qui ne sont pas connus pour leurs programmes ambitieux en matière de politique sociale. Quoi qu’il en soit, la balle est dans le camp de la Commission. La présidente a suscité de grandes attentes.

Propos recueillis par Marion Léo, à Berlin

Tuur Elzinga : Vice-président du FNV (Confédération syndicale des Pays-Bas).

Si nous voulons conserver une Europe avec des bases solides face à l’euroscepticisme, aux partis nationalistes et populistes, nous devons œuvrer pour une Europe plus sociale. L’un des dossiers importants auquel la Commission doit s’atteler concerne les salaires qui sont à la traîne dans toute l’Europe. La répartition des richesses patine. C’est pourquoi le FNV lutte pour que la convergence sociale fasse partie intégrante de la politique et de l’Union européenne et qu’elle soit un critère pris en considération en amont de toute législation. L’Union doit démontrer que son modèle économique n’est pas fondé sur des coûts et des prix les plus bas, mais tout mettre en œuvre pour accroître la prospérité dans toute l’Europe. Sur la question de l’écart des salaires entre les hommes et les femmes, la Commission von der Leyen va dans la bonne direction en ayant mis ce dossier en haut de l’agenda. Aux Pays-Bas, cet écart est de 15 % et diminue très lentement. Le Gouvernement néerlandais n’a rien fait dans le cadre de la recommandation européenne prônant une meilleure transparence des rémunérations. Sur ce point, la Commission européenne devrait s’inspirer du modèle islandais où il appartient aux entreprises de démontrer que leurs rémunérations respectent l’égalité salariale entre femmes et hommes. La charge de la preuve pèse alors sur l’employeur et non sur des salariés individuels. La Commission doit aussi travailler sur le thème des emplois décents, c’est-à-dire des postes avec des perspectives. Nous attendons de l’Europe qu’elle prenne des mesures contre ces entreprises qui exploitent leur personnel parce que leur modèle économique repose sur des salaires bas et de mauvaises conditions de travail. Mais aussi contre celles qui échappent au paiement des cotisations sociales grâce à des constructions juridiques à caractère international. Ces pratiques frauduleuses doivent être combattues, que ce soit aux Pays-Bas, en Allemagne, en France, en Pologne ou en République tchèque. Enfin, en ce qui concerne le malaise social, la Commission peut jouer un rôle sur le terrain du marché interne. Dans ce cadre, des mesures pour protéger les travailleurs et lutter contre la concurrence déloyale entre États membres peuvent être prises. La Commission doit se saisir de ce dossier pour répondre aux préoccupations d’un grand nombre d’Européens.

Propos recueillis par Didier Burg, à Amsterdam

Ce qu’il faut retenir

// Une feuille de route, mais… Dans une lettre de mission, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a demandé à Nicolas Schmit, ancien ministre luxembourgeois du Travail et nouveau commissaire européen à l’Emploi et aux Droits sociaux, d’œuvrer en faveur d’un salaire minimum équitable et de meilleures conditions de travail sur les plateformes. Issu du groupe politique socialiste, Nicolas Schmit a effectivement annoncé son intention de travailler à encadrer la gig economy, mais il semble plus réservé sur les modalités d’une mise en application d’un salaire minimum à l’échelle européenne.

// De grands principes, mais… Depuis 2017, le socle européen des droits sociaux reconnaît la nécessité de rééquilibrer les considérations économiques et budgétaires avec les enjeux sociaux et réaffirme que « tous les Européens doivent bénéficier d’un accès égal au marché du travail, avoir droit à des conditions de travail équitables et jouir d’une protection sociale adéquate ». Depuis cette date, d’autres avancées ont eu lieu. Ainsi, en 2018, la révision de la directive sur les travailleurs détachés a finalement abouti, consacrant le principe « à travail égal, rémunération égale sur un même lieu de travail ». Enfin, en 2019, l’Autorité européenne du travail (AET), dont l’objectif est d’encadrer la mobilité des travailleurs, a vu le jour. Mais si la révision de la directive sur les travailleurs détachés et la création de l’AET s’inscrivent dans la lutte contre le dumping social, l’écart de développement entre États membres reste important et la mesure permettant que les cotisations sociales du travailleur détaché demeurent celles du pays d’origine n’a pas été remise en cause. Enfin, le transport routier est exclu du champ d’application de cette directive.

En chiffres

2,3

En millions, le nombre de travailleurs détachés dans l’Union européenne en 2016. Entre 2010 et 2016, ces effectifs ont augmenté de 69 %. Cependant, la part de travailleurs détachés reste faible, elle ne représente que 0,4 % du nombre total d’emplois dans l’Union.

Source : www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20171012STO85930/travailleurs-detaches-les-chiffres-et-la-reforme-infographie

22

Sur 28, le nombre d’États membres disposant d’un salaire minimum. L’Autriche, Chypre, le Danemark, la Finlande, l’Italie et la Suède n’en ont pas. Son montant varie de plus de 2 000 euros brut, au Luxembourg, à environ 280 euros en Bulgarie. Même avec un coût de la vie moindre, le pouvoir d’achat en Bulgarie est nettement plus bas qu’au Luxembourg…

Source : www.touteleurope.eu/actualite/l-europe-sociale-3-minutes-pour-comprendre-l-europe-n23.html