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Idées

Numérique : le mirage du capitalisme spéculatif

Idées | Livres | publié le : 01.01.2020 | Lydie Colders

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Numérique : le mirage du capitalisme spéculatif

Crédit photo Lydie Colders

Les promesses du big data seraient-elles vaines ? Dans son essai, Pierre-Yves Gomez décrypte comment les marchés et les politiques ont promu la spéculation « du grand avenir » du digital, vide de sens.

Dans son nouvel essai, Pierre-Yves Gomez, enseignant en stratégie et en gouvernance d’entreprise à l’EM Lyon, s’en prend au capitalisme spéculatif de la révolution numérique. Par spéculation, l’auteur vise non pas des investisseurs prenant des risques mais promouvant une croyance aveugle « dans le grand avenir » économique du digital. Après la crise de 2008, le capitalisme spéculatif a eu besoin d’un « relais de croyance pour inaugurer une nouvelle flambée d’optimisme et rendre à l’élite tout son prestige. C’est le rôle que va jouer la digitalisation dans les années 2010 », soutient-il. Auscultant ces mécanismes financiers, le livre propose une critique implacable de cette doxa de l’innovation défendue par les investisseurs, par les consultants et par les politiques : « Au lieu que le digital soit au service de projets économiques, il a été présenté comme un projet économique en tant que tel. » D’où le modèle glorifié des « licornes », financées par des fonds de capital-risque. S’il n’est pas le premier à dénoncer ce problème, Pierre-Yves Gomez pousse la réflexion plus loin, montrant comment cet état d’esprit s’est diffusé dans l’entreprise ou chez les salariés. Du côté des grands groupes, l’auteur passe en revue les transformations du travail face au Graal du big data : fluidité des échanges entre salariés et clients (l’entreprise se « transforme en plateforme »), brouillage des frontières du travail ou accélération de l’obsolescence des compétences… Pour l’enseignant, si les entreprises investissent et ont embauché des experts du big data, ces derniers ne feraient qu’incarner cette « puissance spéculative », constituée d’élites, de paramétreurs et de bureaucrates du chiffre : « Le rôle des experts reste flou, leurs objectifs mal saisis et leur pouvoir d’action sur des incantations à la nécessité de se digitaliser », ce qui élude la question « embarrassante » de l’intérêt ou de l’utilité de le faire, fustige-t-il.

Tous microcapitalistes ?

Cette mentalité insidieuse du capitalisme de plateforme, Pierre-Yves Gomez l’étend à d’autres registres, comme le travail fourni par les clients avec leurs données. Mais il s’inquiète surtout de cette spéculation qui gagnerait jusqu’à la vie privée. Location en ligne « de la chambre d’ami », sites payants de partage de voiture (exit, l’auto-stoppeur)… Ces activités « sont implicitement contractualisées et ont été gagnées par la sphère marchande ». Le propos interpelle. Il convainc moins lorsqu’il file la métaphore à propos des salariés qui auraient de plus en plus tendance à se comporter « comme des travailleurs-consommateurs », plus individualistes et « narcissiques » selon leur niveau hiérarchique. De ce vaste essai souvent intéressant, on retiendra que l’auteur prédit la fin prochaine de la digitalisation en entreprise, « qui ne produira pas autant de richesses qu’elle en a consommé ». Et prophétise « une crise financière majeure » du numérique et des troubles sociaux. Une vision sombre…

L’esprit malin du capitalisme.

Pierre-Yves Gomez, Ed. Desclée de Brouwer, 300 pages, 17,90 euros.

Auteur

  • Lydie Colders