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Malaise dans les fonctions publiques

Dossier | publié le : 01.01.2020 | Catherine Abou El Khaïr

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Malaise dans les fonctions publiques

Crédit photo Catherine Abou El Khaïr

En proie à de nombreuses transformations, l’État, les collectivités territoriales et les établissements hospitaliers sont confrontés à la souffrance de leurs agents, révélant les défaillances de la fonction publique en matière de prévention.

Grèves massives aux urgences, manifestations des policiers des pompiers, émoi du corps enseignant suite au suicide d’une directrice de maternelle à Pantin… Pendant l’année 2019, les tensions connues par les agents des fonctions publiques se sont exprimées dans la rue. Tous ont dénoncé des conditions de travail dégradées, une faible reconnaissance salariale ou encore un manque de moyens pour bien remplir leurs missions. Une vague de mécontentement qui a déferlé alors que les enjeux de santé au travail dans la fonction publique faisaient l’objet du deuxième rapport de la députée LREM Charlotte Lecocq. Sitôt remis début novembre, un plan santé au travail spécifique a été annoncé pour fin mars par le secrétaire d’État Olivier Dussopt. Et pour cause, la fonction publique n’affiche pas de « vraie stratégie » en la matière, selon Charlotte Lecocq. « Aujourd’hui, elle traite des conditions de travail quand elle a le temps. Et les agents ne sont plus écoutés depuis trop longtemps », résume Pascale Coton, coauteure du rapport et vice-présidente de la CFTC. Entre les 5,52 millions d’agents en poste en 2017 dans la territoriale, dans l’hospitalière et dans la fonction publique d’État, les enjeux sont pourtant nombreux.

L’État, mauvais manager

En 2017, 2,45 millions d’agents travaillaient dans la fonction publique de l’État. Parmi eux, 1,14 million étaient des personnels de l’Éducation nationale. Or, cette profession est la plus démunie en matière de médecine du travail, selon le rapport Lecocq, avec seulement 98 ETP. Soit un médecin pour… 11 000 agents. « Il en faudrait au moins 400 », selon Annick Fayard, secrétaire nationale Unsa fonction publique. Un déficit qui classe les enseignants en tête du top 20 des métiers où la prévention des risques est la plus « déficiente », selon une étude de la Dares de juin 2019. « Faute de suivi par la médecine du travail, certains risques ou pénibilités spécifiques au métier d’enseignant ne sont pas pris en compte », poursuit la syndicaliste. Une lacune visible chez les enseignantes. « Par manque d’adaptation des postes, on assiste à des arrêts de travail prématurés lors des grossesses », relève-t-elle. Les expositions aux risques psychosociaux existent aussi, en particulier dans le premier degré. Ces enseignants « ressentent davantage l’intensité et la pression qui sont liées à leur travail, pour peu de relationnel avec leur hiérarchie ou avec leurs collègues », soulignait, en 2016, une étude du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Autre caractéristique de la fonction publique d’État : des réorganisations qui s’enchaînent. « À chaque changement de Gouvernement, il y a un nouveau cap et la question des conditions de travail n’est pas abordée. Cela produit des ruptures dans les conditions de travail en raison de l’évolution des missions et des restructurations de services », poursuit Annick Fayard. Dernier point noir : une culture managériale à l’ancienne, conditionnée par la logique de concours, qui freine les chefs dans la remise en question de leurs compétences. « On reste extrêmement descendants, les managers ne sont pas formés. Dans les écoles, on implante des modules de GRH, d’animation d’équipe, mais démographiquement tous les managers en fonction ne sont pas issus de ces promotions-là », relève la syndicaliste.

De l’usure dans la « territoriale »

Parmi les 1,9 million d’agents travaillant dans la fonction publique territoriale, 76 % sont des agents de catégorie C. À ce titre, ils sont en charge de fonctions d’exécution, sur des métiers fortement exposés aux troubles musculo-squelettiques (TMS) : jardiniers, Atsem, services à la personne, restauration collective, bibliothèques… « Quand vous avez dans une équipe un, deux ou trois agents en arrêt, la charge de travail se reporte sur les collègues restants et on assiste alors à des épidémies de TMS. Des services sont dévastés », relève Philippe Mollière, responsable prévention et action sociale à la Mutuelle nationale territoriale. Il y a une dizaine d’années, les centres de gestion s’étaient mobilisés sur la prévention des TMS, à travers des formations sur les gestes et sur les postures ainsi que des aménagements des postes de travail. Malgré tout, selon lui, le phénomène va s’aggraver, en raison notamment du vieillissement de la population.

D’où la nécessité de revenir à la source. « Les problèmes qui se posent dans la fonction publique territoriale sont avant tout de l’ordre de l’usure, précise Emmanuel Abord de Chatillon, professeur associé à l’IAE de Grenoble. À âge égal, les anciens vont moins bien que les nouveaux. Ce ne sont donc pas des problèmes d’âge, mais d’ancienneté. » Toute la question est donc de gérer l’évolution professionnelle de ces personnels dans le temps. Pas simple, tant ces derniers sont parfois peu considérés sous l’angle de leurs compétences… Par ailleurs, « il n’est pas facile pour ces agents d’évoluer alors qu’ils choisissent souvent leur métier par vocation », observe Philippe Mollière.

Hôpitaux sous haute pression

Les 1,17 million d’agents de la fonction publique hospitalière sont, de leur côté, les plus exposés aux risques professionnels, en particulier psychosociaux. Intensité du travail, exigences émotionnelles, manque d’autonomie, rapports sociaux, conflits de valeurs, insécurité de la situation du travail : « L’hôpital est soumis aux six dimensions des risques psychosociaux, insiste Isabelle Crouzet-Godard, de la CGT, qui siège au conseil supérieur de la fonction publique hospitalière. Avec le vieillissement de la population et la chronicité des maladies, les gens arrivent rarement avec une petite fracture du bras. Mais on ne nous donne pas les moyens de les accueillir. L’une des revendications importantes est de pouvoir faire correctement son travail. C’est psychologiquement très violent de faire des études et de ne pas être en capacité de mettre en œuvre ce que l’on a appris. On n’a pas les moyens, ne serait-ce que matériels : dans certains services, on demande aux familles d’apporter des couvertures. »

Les causes de ce mal-être sont connues : diète budgétaire, réorganisation des services… Autant de transformations « unanimement jugées comme ayant des répercussions majeures sur le travail des agents, indépendamment de toutes les actions conduites en parallèle pour améliorer les situations de travail », constate l’Agence nationale d’amélioration des conditions de travail, dans un rapport de juin 2018 consacré au sujet des risques psychosociaux. Ainsi, des budgets dédiés à la prévention des risques psychosociaux sont mis à disposition des hôpitaux. Mais ils semblent vite épuisés au vu des besoins, ou inutiles, faute de pouvoir les demander, selon Isabelle Crouzet-Godard, car « les hôpitaux qui savent monter ces dossiers se sont jetés sur ces appels à projets pour pouvoir se payer des remplacements ».

Des ordonnances sur la santé des agents

Promulguée le 6 août 2019, la loi de transformation de la fonction publique prévoit des ordonnances dans le champ de la protection de la santé et de la sécurité des agents. Avec deux chantiers de taille. Le premier touche à « la participation des employeurs au financement de la protection sociale complémentaire » et aux « conditions d’adhésion ou de souscription des agents », aujourd’hui facultatives. Ainsi, « moins d’un agent territorial sur deux bénéficie d’une couverture en prévoyance, s’exposant au risque de ne plus percevoir que 50 % de son traitement après trois mois d’arrêt maladie », a souligné le sénateur socialiste de la Loire, Jean-Claude Tissot. Le deuxième, qui doit répondre aux pénuries constatées, concerne la « prise en charge des personnels par les instances médicales et de la médecine agréée ainsi que par les services de médecine de prévention et de santé au travail ». Au menu, également : « Les prérogatives et obligations professionnelles des agents compétents pour les dossiers d’accidents du travail ou de maladies professionnelles » ainsi que l’ouverture du temps partiel pour raison thérapeutique afin de « favoriser le maintien ou le retour à l’emploi » des agents publics dont l’état de santé s’est altéré. Enfin, un décret en Conseil d’État prévu au premier semestre 2020 va instaurer un « entretien de carrière » pour les agents présentant des risques « d’usure professionnelle ».

Auteur

  • Catherine Abou El Khaïr