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Le terrain de jeu des complémentaires santé

Dossier | publié le : 01.01.2020 | Catherine Abou El Khaïr

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Le terrain de jeu des complémentaires santé

Crédit photo Catherine Abou El Khaïr

Les organismes complémentaires se positionnent de plus en plus comme acteurs de conseil sur les questions de santé au travail. Un champ qui ne relève pas de leur cœur de métier mais dans lequel elles se lancent afin de se démarquer auprès des entreprises.

Un « nouveau contributeur » de la prévention des risques professionnels et de la promotion de la santé. C’est ainsi que les organismes complémentaires ont été qualifiés, dans le rapport sur la santé au travail remis l’an dernier au Gouvernement. « Il n’y en a pas un qui ne nous a pas contactés. Ils sont très mobilisés sur le sujet », souligne la députée LREM Charlotte Lecocq. Dans son rapport, elle constate ainsi que les complémentaires de santé cherchent aussi à agir sur les facteurs professionnels, entrant ainsi dans « un nouveau champ ».

Cette évolution dans le monde de l’assurance est aussi visible à travers la multiplication, ces dernières années, de partenariats entre l’Agence nationale d’amélioration des conditions de travail (Anact) et différents organismes complémentaires : Klésia, Chorum, MGEN, Harmonie Mutuelle ou encore Malakoff Méderic… L’Anact a ainsi pu appuyer ou former leurs équipes, voire assurer à leur compte des missions de prévention. « Pour les mutuelles, la santé au travail est un moyen de se démarquer de la concurrence. C’est un champ sur lequel elles veulent développer leurs compétences car elles constatent, dans leurs diagnostics, les problèmes d’absentéisme et d’inaptitude des employeurs », observe Charles Parmentier, chargé de mission à l’élaboration des solutions de transfert à l’Anact.

Accompagnement sur mesure

C’est le cas, par exemple, de la Mutuelle nationale territoriale, qui assure des collectivités territoriales. « On ne peut pas augmenter les cotisations des adhérents, donc on essaie d’optimiser nos modes d’intervention. On va vers plus d’accompagnements structurés qui vont avoir une réelle efficacité », confirme Philippe Mollière, responsable prévention et action sociale de la mutuelle (groupe Vyv). Une stratégie qui conduit la mutuelle à renforcer ses équipes sur cette thématique et à faire du sur-mesure, comme avec l’agglomération d’Agen. « On fait de la conduite de projet », résume Elisabeth Bousquet, référente prévention Sud-Ouest à la MNT. Elle a accompagné la collectivité, qui se voyait appliquer des majorations de cotisations sur ses garanties de maintien de salaire. Un programme en direction des Atsem – très touchées par l’absentéisme – a été élaboré. Celles-ci ont bénéficié de formations sur leurs gestes et sur leurs postures en situation de travail réalisées par des kinésithérapeutes et ont pu s’initier à des activités physiques pour améliorer leur santé. Pour la mutuelle, l’investissement a été conséquent, en temps comme en niveau de prise en charge, puisqu’elle a tout financé. « On ne se lance pas à l’aveugle et on choisit des collectivités engagées, qui ont de vrais besoins. Pour limiter les frais, on se focalise aussi sur de petits groupes d’agents », détaille la référente. Elle garde aussi à l’esprit que de telles actions peuvent permettre de gagner des parts de marché, dans un contexte de forte concurrence entre mutuelles auprès de la fonction publique.

Plusieurs mastodontes du secteur affichent aujourd’hui leurs ambitions en santé au travail. L’accord national interprofessionnel de 2013, qui généralise la complémentaire santé dans le secteur privé et qui a invalidé les clauses de désignation des organismes de protection sociale, force en effet les assureurs à se démarquer. « La santé individuelle a pendant très longtemps été notre premier axe d’action. Notre enjeu, aujourd’hui, est de promouvoir et de mettre en œuvre des démarches santé et qualité de vie au travail. Nous cherchons à agir sur le travail pour favoriser le développement conjoint des personnes et des organisations. L’idée est de montrer aux employeurs que ne pas agir sur la performance économique et sociale est coûteux », explique Nicole Chaussin, responsable à la direction santé et prévention du groupe VYV. Pour tester cette hypothèse, l’union mutualiste peut accorder des avantages commerciaux sur ses contrats en cas d’engagement des employeurs, par exemple, sur leur document unique d’évaluation des risques professionnels ou sur la réalisation d’un diagnostic d’absentéisme.

Même démarche chez Malakoff Médéric Humanis. « Nos critères sont de plus en plus qualitatifs », souligne Anne-Sophie Godon, directrice de l’innovation du groupe de protection sociale. À l’avenir, celui-ci compte s’appuyer sur son indice de capital humain en entreprise, composé de 40 indicateurs renvoyant à la politique RH de l’entreprise (politique managériale, formation, gestion des compétences…) dont l’impact sur le risque prévoyance serait démontré. L’ambition est, en fonction du résultat de l’indice, de déterminer les actions de prévention à privilégier afin que les employeurs puissent anticiper leurs tarifs d’assurance.

Une offre minoritaire

Pour les organismes complémentaires, la démarche nécessite donc de monter en expertise en santé au travail, un domaine qui n’est pas leur cœur de métier. « Les sollicitations sur ces questions se développent », explique Catherine d’Aléo, directrice du développement d’Apicil. Pour les satisfaire, le groupe lyonnais de protection sociale compte, dans son réseau, des consultants RH qui ont développé un savoir-faire en matière de prévention. « La moitié de notre activité vient de nos partenariats avec les mutuelles », confirme Victor Waknine, fondateur de Mozart Consulting, un cabinet expert associé au cabinet de conseil WillBe Group et artisan d’un système de mesure de bien-être au travail (IBET) qui sert à orienter les entreprises dans leurs actions dédiées. Avec l’Anact, le groupe VYV a constitué un réseau d’une douzaine de consultants sur les risques psychosociaux. De son côté, Malakoff Médéric Humanis a référencé, avec l’INRS, une cinquantaine d’intervenants sur les risques routiers, psychosociaux, et sur les TMS.

Cette offre demeure cependant minoritaire, signe que certaines entreprises restent encore frileuses. « On pensait que cela allait intéresser nos petits clients, mais le développement est plus lent qu’espéré », souligne Anne-Sophie Godon. « Les employeurs demandent encore à être convaincus sur la prévention d’un point de vue organisationnel », tempère Nicole Chaussin. Pourtant, au sein du groupe spécialisé dans le conseil et le courtage Siaci Saint Honoré, on estime que le créneau du consulting est porteur. « Les DRH se tournent vers nous lorsque leurs comptes sont au rouge, quand ils ont des difficultés à couvrir des risques de prévoyance ou qu’ils voient que leur absentéisme est trop important », affirme Myriam El Khomri, désormais directrice du conseil chez S2H Consulting, qui étoffe ses équipes sur le sujet. « Au-delà de services ponctuels en matière de santé individuelle et de santé au travail, nous portons une vision plus globale, une approche systémique. L’objectif est de piloter l’ensemble des périmètres qui vont des risques psychosociaux aux enjeux de compétences, de rémunération, sans oublier l’organisation qui est centrale dans la qualité de vie au travail », explique l’ex-ministre. De quoi encore accroître l’offre traditionnelle en conseil RH.

Une offre privée en expansion

En novembre 2019, on recensait 119 cabinets d’expertise ex-CHSCT agréés par la direction générale du Travail (DGT), contre 75 en 2013. La croissance de l’offre d’expertise sur la santé au travail se poursuit donc, même si elle a été plus modérée entre 2015 et 2019. Quant aux intervenants en prévention des risques professionnels « externes », enregistrés auprès des Direccte, ils étaient plus de 3 500 en novembre 2019, s’ajoutant à des effectifs « internes » des services de santé au travail eux aussi en hausse. En matière de formation en santé au travail, près de 3 000 organismes de formation ont été habilités par l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), note le rapport Lecocq.

Devant cette offre privée « de plus en plus importante », est toutefois attendue une remise en ordre. Concernant les IPRP, « il n’est pas possible de dresser une vision d’ensemble de la contribution de ces derniers au sein du système de prévention, ce qui est regrettable », soulignent les auteures du rapport. En matière de risques psychosociaux aussi, elles regrettent l’absence d’une liste de prestataires habilités, même si nombre de spécialistes des RPS sont, de fait, agréés par la DGT en tant qu’intervenants auprès des élus du personnel. « Le tout a concouru à brouiller encore plus les pistes, tant à l’égard de consultants ignorant sur quels critères ils figuraient ou non sur une liste que d’entreprises ne sachant plus à quel saint se vouer en l’absence de réponse homogène. »

Auteur

  • Catherine Abou El Khaïr