logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

En prison, des entreprises coachent des détenus

Décodages | Réinsertion | publié le : 01.01.2020 | Lucie Tanneau

Image

En prison, des entreprises coachent des détenus

Crédit photo Lucie Tanneau

Pour la plupart des entreprises, il s’agissait une première entrée en prison. Bénévoles au sein du dispositif « 100 chances 100 emplois », elles ont été invitées par les missions locales de la Vienne à accompagner des jeunes détenus en fin de peine à Vivonne. Entre expérience RH et engagement citoyen.

« Madame, je dois le dire en entretien d’embauche que je sors de prison ou pas ? » Évidemment, le trou sur le CV est visible. Mais les chefs d’entreprise ne sont pas là pour juger, simplement pour donner un avis personnel. Lancé en 2005, le dispositif national « 100 chances 100 emplois » met en relation des jeunes éloignés du marché du travail avec des entreprises, grâce à l’intermédiaire des acteurs de l’emploi, les missions locales le plus souvent. Pour la première fois, en octobre dernier, l’opération avait lieu en milieu fermé, au centre pénitentiaire de Vivonne, dans la Vienne, qui héberge 650 personnes écrouées (400 dans la maison d’arrêt et 250 en centre de détention, dont 30 femmes). Onze détenus de moins de 30 ans, dont la peine arrive à son terme ou est aménageable dans l’année, ont bénéficié de dix jours d’accompagnement intensif. Trois jours avec le formateur-coach Michel Bouly d’abord, puis une journée de job dating avec onze entreprises du département, volontaires et déjà engagées dans le dispositif en milieu ouvert. Enfin, les détenus ont bénéficié de conseils pour la suite et ils ont passé un « grand oral » devant l’ensemble des entreprises.

« Les missions locales interviennent déjà en prison pour du conseil individuel aux détenus, souligne Magali Gilardot, directrice du service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) de Vivonne, qui organise la venue des entreprises et qui oriente les détenus relevant de ses compétences. Quand elles nous ont proposé le dispositif, nous y avons vu plusieurs intérêts. D’abord, on apprécie de développer des actions collectives et il s’agit d’une première sur la thématique de l’emploi. C’est intéressant pour la dynamique de groupe et pour favoriser les compétences comportementales, dans la mesure où l’incarcération peut avoir un effet désocialisant. L’autre avantage est la venue des employeurs. Souvent, on voit les partenaires institutionnels, qui ont l’habitude des publics fragiles. Là, ce sont des personnes étrangères à ce milieu. Cela peut faire tomber des préjugés sur le public que l’on héberge, mais aussi les idées reçues des jeunes sur les entreprises. »

« Ce public-là a aussi besoin de travailler. »

Souvent, les détenus pensent qu’aucun employeur ne voudra d’eux. Personne à Vivonne ne dira le contraire. Mais les chefs d’entreprise qui ont montré patte blanche (et leur carte d’identité à l’entrée), laissé leur portable dans les voitures et franchi les – nombreux – contrôles de sécurité pour entrer au sein du centre pénitentiaire sont aussi là pour prouver le contraire.

Il y a là des sociétés de tailles et de secteurs très différents. Des entreprises d’insertion, d’intérim, de sécurité, un magasin d’ameublement… « Le dispositif n’a pas d’objectif de recrutement direct, l’important n’est pas d’avoir les entreprises qui correspondent au projet professionnel des jeunes », précise Ophélie Couret, la chargée de communication des trois missions locales de la Vienne, à l’origine de l’opération.

Pour Mourad Belaïd, gérant de la société Iris Sécurité, qui emploie 50 personnes à Châtellerault, « il est plus aisé de travailler sur la réinsertion plutôt que de construire des prisons. Le milieu carcéral fait partie de la société, et ce public-là a aussi besoin de travailler. Notre rôle en tant que chefs d’entreprise est de faire tourner nos structures, bien sûr, mais aussi, d’agir sur nos territoires ».

Élevé « à l’école de la République », il souhaite avant tout transmettre « des valeurs » aux jeunes détenus rencontrés à Vivonne. « Une sortie, cela se prépare, et si on ne vient pas vers eux, cela augmente les chances de récidive », note-t-il. Pendant les quatre faux entretiens d’embauche qu’il anime avec Charles Garcia, de l’Association francophone pour le développement de l’éducation thérapeutique, Mourad Belaïd est bienveillant, mais pas dupe. « Un jour, ils vont sortir et mieux vaut les préparer. » Si le dirigeant ne peut pas les recruter directement, puisqu’il travaille dans un secteur réglementé, il assure qu’il peut a minima transmettre des CV dans son réseau. « Cela demande des explications sur le dispositif, des attentions peut-être particulières, mais je crois que, dehors, il y a des gens qui auraient leur place ici et que tout le monde a le droit à l’oubli : ils ont été jugés, ils purgent leur peine, on n’est pas là pour les rejuger. » Quant à savoir s’il faut dire ou ne pas dire, lui conseille d’être honnête. « Il y a un contrat entre l’employeur et le salarié qui est basé sur la confiance et si ce dernier commence par un premier gros mensonge, ce sont de mauvaises bases. » Huit détenus, dont une femme (trois ayant abandonné le premier jour, ce qui arrive également en milieu ordinaire), sont présents lors du job dating organisé dans le gymnase du centre pénitentiaire, inauguré en 2009. « Voir des patrons en milieu carcéral, c’est la première fois et c’est valorisant, explique Bruno1, un détenu. C’est positif, ça me prépare à m’entretenir avec un employeur. J’ai un bon langage mais pour d’autres, ça peut-être plus problématique. » Bruno envisage un poste dans l’horticulture. « Vous savez qu’il faut travailler dehors, par tous les temps ? » lui demande Dany Forget, de l’entreprise d’insertion Cap Vert, lors de l’entretien. « Cela ne me dérange pas, j’ai une passion pour ce métier. » En revanche, le jeune s’inquiète de ne pas avoir le permis de conduire. « Ce n’est pas rédhibitoire, le rassure Mathieu Brunet, le directeur du magasin But de Châtellerault. Il faudra y penser mais les entreprises peuvent vous y aider. Renseignez-vous sur les sociétés existantes. » Une remarque utile mais difficilement applicable en prison. « J’attends [des chefs d’entreprise] qu’ils me donnent des retours, qu’ils me corrigent sur ma posture, même si je sais que j’ai une bonne attitude. On fait tous des erreurs dans la vie et il faut savoir se relever. Je pense que certaines entreprises sont prêtes à entendre ça, espère Bruno, qui est reconnaissant aux services pénitentiaires chargés de la réinsertion et aux missions locales d’avoir monté ce dispositif. Pour moi, les risques de récidive diminuent. C’est positif, ça peut nous aider. »

« On ne leur vend pas du rêve. »

« Les jeunes étaient stressés à l’idée de ces entrevues, reconnaît Michel Bouly, qui les a coachés depuis le début de semaine. Mais au fil des entretiens, je vois qu’ils se détendent et ils reviennent en me disant : “J’ai rencontré quelqu’un qui m’a écouté et qui croit en mon projet.” Cela n’a pas été souvent le cas dans leur vie. » Les chefs d’entreprise remarquent d’ailleurs que la plupart des projets qui leur sont présentés sont « bien ficelés », « souvent mieux préparés que ceux des jeunes que l’on rencontre dehors ». Les jeunes détenus cherchent des formations ou des emplois dans la restauration, la mécanique, l’électricité, l’horticulture ou la logistique, en fonction de leur situation avant l’incarcération. Aucune des sociétés présentes ne leur promet un contrat de travail, mais toutes les encouragent autant que possible.

« J’ai participé à “100 chances 100 emplois” en milieu ouvert et j’ai pris beaucoup de plaisir en tant que marraine à transmettre des trucs, des astuces, des conseils à un jeune, à aider au mieux même si cela n’a pas été au bout. Quand on m’a proposé de venir en prison, j’ai dit oui. C’est une aventure humaine, estime Stéphanie Lavaud, conseillère en formation continue (côté entreprises et GPEC) au Greta Poitou-Charentes. On sait que cela ne va pas être facile pour tous, on ne leur vend pas du rêve. Ils paient leur peine et s’ils sont entrés dans le dispositif, c’est qu’ils ont réfléchi. Je n’ai pas d’intérêt personnel à les aider et je ne le fais pas pour me donner bonne conscience, simplement parce qu’on me l’a demandé. Si ces jeunes veulent rencontrer des entreprises, pourquoi ne pas leur donner cette chance ? » À Jérôme, qui désire être serveur en restaurant gastronomique, elle recommande cependant, avec le sourire, de prendre garde à sa trop grande assurance, qui peut dérouter un employeur. Stéphanie Lavaud va aussi conseiller aux missions locales de se rapprocher du lycée professionnel Kyoto, de Poitiers, afin d’orienter le jeune homme vers des formations qualifiantes dans le domaine dès sa sortie. « Ici, ce n’est pas la réalité. Dehors, un employeur vous demandera pourquoi il y a un manque sur le CV », rétorque Isabelle Rabussier, de la mission locale Nord Vienne, à Bruno. « Je pense que vous êtes capable de vous y préparer. Prenez votre temps et rapprochez-vous de Pôle emploi pour trouver les bonnes offres », préconise-t-elle, avant de demander au détenu ses qualités et ses défauts, question piège par excellence en entretien d’embauche.

Le but des entreprises n’est pourtant pas de mettre en difficulté, mais de préparer, d’aider à anticiper, de redonner confiance. En début d’après-midi, les jeunes avaient donné leur prénom à voix basse lors du tour de table de présentation, intimidés par ce cercle d’invités au centre du gymnase. Après les entretiens, ils s’expriment plus fort et viennent serrer la main de tous les participants avant de rejoindre leur cellule. La mission est loin d’être gagnée et le bilan sera difficile à faire puisque le temps de la prison n’est pas le même qu’à l’extérieur. Mais ces dix jours de coaching auront peut-être donné à ces huit détenus un nouveau but pour préparer leur sortie. « Demain, ces jeunes seront dans la société et auprès des missions locales, mais les employeurs les rencontrent déjà, au quotidien, sans même le savoir », rappelle Magali Gilardot du Spip. Chaue trimestre, plus de 20 000 détenus sont concernés par une levée d’écrou dans l’Hexagone. Sans accompagnement, près des deux tiers (63 %) récidivent dans les cinq ans, selon les chiffres de la Fondation de France.

Schneider Electric à l’origine du dispositif

Le dispositif « 100 chances 100 emplois » a germé dans l’esprit de l’ancien président de Schneider Electric, Henri Lachmann, effaré de constater le taux d’activité des jeunes du quartier prioritaire (ZUS à l’époque) à côté d’une usine du groupe, à Chalon-sur-Saône. En 2004, les jeunes adultes y résidant subissaient un taux de chômage deux fois supérieur à la moyenne nationale. Il a donc demandé à son directeur d’usine de trouver une idée pour remplir un rôle d’acteur économique et citoyen et pour mieux ancrer l’entreprise dans son territoire. « 100 chances 100 emplois » a été expérimenté en 2005. Déployé dans 37 villes, il fédère plus de mille entreprises et les acteurs de l’emploi (missions locales ou Pôle emploi) afin d’accompagner et de conseiller de jeunes adultes (18-30 ans) dans leur insertion professionnelle. « Ces jeunes ont perdu confiance. Nous les aidons à consolider leur projet professionnel et à créer un réseau dont ils manquent, grâce à des conseils et à des simulations de recrutement. Personne ne doit sortir du dispositif sans avoir des pistes », détaille Didier Coulomb, en charge de la politique d’inclusion de Schneider Electric et délégué général de « 100 chances 100 emplois ». Les entreprises vont tenter d’adapter le dispositif au milieu carcéral pour ne pas risquer de donner de faux espoirs à ces jeunes.

www.100chances-100emplois.org

Frédéric Garcia Conseiller en insertion professionnelle à la mission locale de Châtellerault, porteur du projet « 100 chances 100 emplois » au sein de la prison de Vivonne
« Faire en sorte que les projets soient aussi solides que possible »

Pourquoi avoir choisi de transposer « 100 chances 100 emplois » en prison ?

Frédéric Garcia : Le dispositif fonctionne très bien à l’extérieur, avec des taux de réussite de plus de 70 % pour le retour à l’emploi de plus de six mois ou en formation. Depuis 18 ans que nous intervenons en prison, nous faisons le constat qu’il est très compliqué de travailler sur les questions d’emploi ici car le temps est vraiment différent. Par exemple, en raison des autorisations, de l’organisation des choses, il se passe un mois avant qu’un jeune rencontre un employeur… Souvent, il faut attendre la fin de peine. Mais sortir sans réseau et avec l’image de détenu n’est pas simple. L’idée était aussi de casser, auprès des entreprises, cette image de personne en difficulté et difficile à insérer.

A-t-il été difficile de convaincre les entreprises ?

F. G. : Honnêtement non, parce que nous les connaissons. Pour l’essentiel d’entre elles, on travaillait déjà ensemble, elles sont intégrées au dispositif. Certaines ont refusé par manque de disponibilité ou pour ne pas s’associer au milieu carcéral, mais pour la plupart, cela a été facile. On a organisé une formation de sensibilisation avec l’administration pénitentiaire ainsi qu’une visite de la prison en expliquant les attentes, les contraintes, cet univers et ses codes spécifiques.

Comment vont se passer les prochains mois pour les jeunes détenus ? Ne risquent-ils pas de se faire une fausse idée de ce qui les attend à la sortie ?

F. G. : Après les dix jours intensifs au sein de la prison, les jeunes ont passé un « grand oral » devant le groupe de chefs d’entreprise. Ensemble, nous allons désormais étudier ce que ces derniers peuvent proposer pour les aider. Cela peut être un contact dans leur réseau, un conseil de formation, une visite d’entreprise, un parrainage… Cela nécessite de l’organisation car, ici, les jeunes n’ont ni mail ni téléphone. Mais les chefs d’entreprise peuvent nous accompagner pour les rencontrer. C’est important que les choses ne s’arrêtent pas là. De notre côté, nous continuons le suivi pour les papiers et pour le logement, ces éléments dont les entreprises ne s’occupent pas mais qui sont nécessaires pour retrouver un emploi. Et ce, afin de faire en sorte que les projets soient aussi solides que possible. Les entreprises nous donnent des billes, des idées de formation, elles nous apportent d’autres opportunités. Il y a l’apport du regard de l’employeur et c’est complémentaire.

(1) Le sexe et le prénom des détenus interrogés ont été modifiés.

Auteur

  • Lucie Tanneau