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Changer de métier, c’est tendance

Décodages | Carrières | publié le : 01.01.2020 | Sophie Massieu

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Changer de métier, c’est tendance

Crédit photo Sophie Massieu

Les salariés sont de plus en plus nombreux à rêver de reconversion. En regard, les offres d’accompagnement se multiplient et se diversifient. Mais ce marché a-t-il de beaux jours devant lui ou ne répond-il qu’à une attente conjoncturelle ? Les motivations des candidats ont toutes les chances de perdurer mais les passages à l’acte pourraient être davantage sujets aux fluctuations…

Chef de projet, responsable clientèle, puis directrice clientèle. Ses études dans une école de commerce parisienne terminées, Agnès Kazitani, 31 ans, voit sa carrière se dérouler au mieux, et notamment dans un secteur qui l’intéresse, celui de l’agroalimentaire, dans plusieurs agences de communication successives. Mais un jour, elle se fatigue du métier de directrice clientèle. « Les tâches m’apparaissaient trop morcelées, le travail effectué en silo, et la pression des clients me pesait. » La voilà qui saute le pas et qui envisage une reconversion. Pour définir son projet, elle suit le parcours d’accompagnement d’une start-up spécialisée : somanyWays. « J’y ai reçu les clés pour trouver une photographie de moi dans cinq ou dix ans, et cela m’a permis de faire mon choix. » Direction les bureaux de tendance, dans le secteur de la mode. Après avoir suivi une double formation à Londres et à Paris, elle commence à postuler en cette fin d’année.

Exceptionnelle, la reconversion d’Agnès ? Pas vraiment, à en croire les études et les sondages qui se multiplient. À l’image de l’enquête publiée en septembre dernier par le cabinet ADP. Basée sur l’interview de 10 500 salariés européens, dont 1 410 Français, elle révèle que presque la moitié d’entre eux (46 %) voudrait quitter son entreprise dans les cinq ans, et que plus d’un sur cinq (22 %) pense le faire dans les deux ans. Tous les secteurs d’activité ne sont pas touchés de la même façon. Les médias et le marketing, par exemple, donnent à plus d’un tiers (36 %) des personnes interrogées l’envie de prendre la poudre d’escampette, tandis que les transports plafonnent à 16 % et l’industrie à 19 %. Certes, la volonté affichée de quitter son entreprise ne signifie pas automatiquement une reconversion professionnelle, mais elle y conduit de plus en plus souvent. Les changements de carrière voulus ou rendus nécessaires par la disparition de métiers deviennent donc un marché que se disputent cabinets RH, coachs et start-up… D’autant que, selon une autre étude, menée auprès de 2000 personnes sur le portail nouvelleviepro.fr, entre 2017 (date de la première enquête) et 2019, le taux de reconversion aurait augmenté de 10 points parmi les salariés, passant de 28 à 38 %. L’enquête observe que les jeunes générations sont les plus enclines à la reconversion : les deux tiers des moins de 30 ans affirment la souhaiter, mais, plus surprenant, 45 % des quinquas en rêvent aussi. Les personnes les plus diplômées sont celles qui se lancent le plus souvent (52 % chez les bac + 6 contre 26 % pour les titulaires du bac). Seuls 2 % de ceux qui se sont jetés à l’eau indiquent avoir échoué. Tandis que ceux qui n’osent invoquent, comme points de blocage, le fait de ne pas savoir par où commencer (39 %) ou le manque d’informations et d’accompagnement (33 %).

Mieux se connaître.

Pourtant, les solutions d’accompagnement sont nombreuses, et variées. Il existe d’abord des parcours collectifs. Comme celui de somanyWays, suivi par Agnès. Lancée il y a quatre ans par une trentenaire, Anaïs Georgelin, elle-même en quête de sens au travail après des expériences au sein de grandes entreprises. Elle a mis au point un ensemble de six ateliers, de quatre heures, répartis sur dix semaines, à destination de groupes d’une dizaine de personnes. Le but : permettre au candidat à la reconversion de mieux se connaître, le faire au travers de ce qui lui plaît ou de ce qui lui déplaît dans son actuel travail (taille de l’entreprise, missions…), mais aussi de ses activités et de ses engagements extraprofessionnels.

Coach et créatrice de son cabinet, Access Réussites, en 2007, Catherine Nivard réalise des accompagnements individuels, notamment de personnes handicapées. Et, selon elle, les trois mots-clés d’une reconversion sont l’acceptation (de qui l’on est), l’autonomie (ce que l’on est capable de faire) et l’adaptation (le déclic qui déclenchera le possible acte de reconversion). Mais elle prévient : « L’audace ne consiste pas toujours à changer de carrière, mais à la transformer. » Autre approche, celle des coachs qui travaillent sur le mental. Telle Carine Celnik, fondatrice de TestUnMétier en 2016, qui s’est elle-même reconvertie à l’accompagnement au milieu des années 2000. « Je voulais permettre aux candidats à la reconversion d’expérimenter émotionnellement et dans leur corps une profession nouvelle, afin qu’ils vérifient qu’elle leur convient. Cela ouvre des portes mais cela en ferme aussi parfois, puisque cela permet de passer du rêve à la réalité. » TestUnMétier propose donc des stages de cinq à douze jours, en immersion dans des entreprises, petites ou grandes. Celles-ci, notamment dans le cadre de plans sociaux, font appel à Carine Celnik pour réaliser, dit-elle, un « off-boarding intelligent » de leurs salariés.

L’accompagnement entre pairs peut aussi être sollicité, en particulier en cas de création d’entreprise. Un parrainage en somme, proposé notamment par le réseau Entreprendre. Samy Camarzana suit actuellement deux jeunes entrepreneurs : « Nous apportons surtout beaucoup d’écoute, et aussi un partage d’expérience sur des sujets bien précis. Une façon de les aider à prendre de la hauteur, bien plus qu’un apport de conseils techniques, d’autant qu’on ne connaît pas nécessairement leur métier. » Une aide à l’envol, donc, d’autant plus utile lorsque l’entrepreneur se lance après une reconversion, sans bien connaître encore son secteur d’activité.

Reconversions et possibilités d’être accompagné ou tutoré foisonnent. Mais n’est-ce qu’un effet de mode ou un phénomène durable ? « La multiplication des changements de carrière est un phénomène assez nouveau, il date des cinq dernières années, décrypte Maurice Thévenet, professeur à l’Essec et délégué de la Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises (Fnege). De grandes évolutions sociologiques se cachent peut-être derrière cela mais il y a aussi une large explication conjoncturelle, qui tient à l’état du marché du travail, qui s’améliore : si on a le sentiment que l’on peut retrouver un emploi, on se lance plus facilement. » Pour le chercheur, les années à venir trancheront donc la question de savoir si la multiplication des reconversions est une lame de fond durable : « Cela dépendra de la résistance, ou non, de cette tendance à un retournement du marché de l’emploi. »

Quête de sens.

Peut-être, en cas de détérioration, les reconversions seront-elles en effet moins nombreuses. Mais les motivations d’une réorientation professionnelle, elles, pourraient s’avérer durables. Anaïs Georgelin comme Samy Camarzana identifient en premier lieu la quête de sens. La volonté de quitter l’univers des grands groupes occupe aussi une place prépondérante. Après des études commerciales, Alice Madec, 26 ans passe près de cinq ans au sein de la fondation d’une grande entreprise. « Cela m’a semblé manquer d’agilité. Je trouvais que tout était très lent. Et j’ai cherché quelque chose qui soit plus opérationnel. » Après avoir été accompagnée par somanyWays, la voici cheffe de projet mobilisation citoyenne pour une plateforme qui vise à développer le bénévolat de tous.

Emmanuelle Magnan, cofondatrice il y a trois ans de Pampa, une entreprise de livraison de fleurs à domicile, a franchi le pas, et laissé derrière elle le digital et l’événementiel d’une agence de communication pour céder, à 27 ans, à sa « fibre entrepreneuriale ». Avec succès, son entreprise compte aujourd’hui 20 salariés et elle s’illumine à évoquer la joie d’avoir basculé vers un métier manuel et créatif. « Plus que le niveau de qualification, le statut de cadre, de non-cadre, ou le niveau dans l’entreprise, ce qui traduit une motivation à changer de carrière en acte tient à l’audace et à la confiance en soi », commente Catherine Nivard.

Ceux qui l’ont vécu ne disent pas le contraire. Et pointent d’autres impératifs. D’abord celui de prendre le temps de bien définir son projet, sans céder à l’angoisse du vide ou du chômage. Surtout celui d’en parler autour de soi, ce qui favorise les rencontres et aide à préciser les envies. Tous conseillent aussi aux candidats à la reconversion de ne pas attendre d’être « au bout du rouleau », selon l’expression d’Agnès Kazitani. Et si se reconnaître le droit à l’erreur comptait, aussi, parmi les précautions à prendre ?

En tout cas, observe Maurice Thévenet, « un nouveau phénomène apparaît, de façon presque banale : les salariés quittent leur entreprise et… y reviennent ! Il y a quelques années encore, cela était inenvisageable. Auparavant, un départ était vécu comme un divorce… » Alors, phénomène passager ou révolution culturelle ?

Mobiliwork, un outil de reconversion interne

Se reconvertir ne passe pas nécessairement par la rupture du lien du contrat de travail. C’est ce qu’a voulu démontrer Jérôme Gonon, fondateur d’une start-up baptisée Mobiliwork. Cette entreprise propose à ses sociétés clientes – de grands groupes – d’immerger leurs collaborateurs dans des start-up afin de développer leurs compétences. « Tous ces interlocuteurs sont confrontés à un enjeu de transformation, qui n’est pas que digitale, remarque Jérôme Gonon. Il leur faut donc transformer leurs équipes. » Selon lui, les quatre compétences nécessaires à une bonne intégration du collaborateur dans un processus de transformation de son entreprise sont l’agilité, la capacité à apprendre, l’audace et le leadership. Autant de savoir-être qu’il lui semble possible d’acquérir au cours d’un stage de plusieurs semaines au cœur d’une start-up : un « apprentissage par l’expérimentation ». Mobiliwork s’appuie d’ailleurs sur le dispositif de l’Afest (Action de formation en situation de travail). « C’est pour moi une solution gagnant-gagnant pour le grand groupe, pour l’entreprise comme pour le collaborateur. Ce dernier acquiert de nouvelles compétences et peut donner une nouvelle ampleur à sa carrière. J’ai l’exemple de cette femme, dotée d’une plus grande confiance en elle, qui est partie, pour son entreprise, dans un bureau à l’étranger… »

Auteur

  • Sophie Massieu