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“Avec le nouveau CPF, la France est regardée avec un grand intérêt”

Actu | Entretien | publié le : 01.01.2020 | Laurence Estival

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“Avec le nouveau CPF, la France est regardée avec un grand intérêt”

Crédit photo Laurence Estival

Pour le cofondateur et CEO d’OpenClassrooms, la pépite spécialisée dans la formation en ligne sur des métiers en tension, la réforme permet à la France de mieux se préparer aux mutations du secteur de l’emploi et de l’éducation.

Créé ex nihilo il y a six ans, OpenClassrooms revendique 3 millions de personnes formées par mois… À quoi attribuez-vous ce succès fulgurant ?

Pierre Dubuc : Notre force, c’est notre modèle pédagogique. Nous avons fait le choix de former des individus sur des métiers en tension recherchés par des entreprises qui nous expriment leurs besoins. Et pour répondre à ces demandes, le choix de formations en ligne s’est imposé. Nous n’avons pas recruté des enseignants pour délivrer des cours, nous les avons créés nous-mêmes, car notre objectif était de tester de nouvelles méthodes axées sur des enseignements plus opérationnels. Nos formations sont découpées en compétences demandant aux apprenants, pour être validées, de travailler à partir d’une étude de cas. Ayant fait, par ailleurs, le constat de l’échec des formations uniquement en ligne, nous avons souhaité que les apprenants soient accompagnés par des mentors. Aujourd’hui, 1 000 mentors, tous des professionnels, suivent entre quatre et cinq apprenants tout au long de leur formation. Des rendez-vous d’une heure hebdomadaire sont programmés pour faire le point et pour parler des difficultés.

Vous vous engagez à rembourser ceux qui, à l’issue de leur formation, n’auraient pas trouvé de job. Un pari audacieux ?

P. B. : Travaillant sur des métiers en tension, nous ne prenons pas beaucoup de risques… Si nous vérifions parfois que les candidats ont les prérequis – c’est surtout le cas pour des formations coconstruites ou proposées avec des partenaires –, nous vérifions surtout leur motivation. Le mentor a ensuite un rôle important pour leur éviter de décrocher. Un peu avant la fin de leur parcours, nous leur proposons d’être suivis par un coach qui va les accompagner dans la recherche d’un emploi : rédaction de CV, entraînement aux entretiens de recrutement… Nous avons également un partenariat avec Pôle Emploi, qui nous envoie des demandeurs d’emploi.

Ce mouvement s’est-il accentué avec la réforme de l’apprentissage ? Plus globalement, pensez-vous que la loi de 2018 est de nature à permettre le décollage de la formation continue auprès du plus grand nombre ?

P. B. : Concernant l’apprentissage, la loi a ouvert les portes et les entreprises ont répondu à l’appel. Avant même la réforme, nous avions créé le premier CFA en ligne, aujourd’hui en fort développement… La souplesse de notre modèle s’y prête. Généralement, les apprentis sont présents quatre jours en entreprise et une journée en formation. Le jour dédié à la formation peut changer chaque semaine, en fonction de l’emploi du temps, ce qui est un plus pour les employeurs. Le lancement de l’appli du Compte personnel de formation (CPF) est lui aussi un accélérateur. Les premiers jours, nous avons reçu des demandes de personnes qui avaient acheté une de nos formations. Je ne pense pas qu’elles nous ont trouvés grâce à l’appli… Elles ont sans doute attendu son lancement pour bénéficier du dispositif, plus simple que le précédent ! Mais la réforme va bien au-delà : les entreprises sont fortement incitées à s’intéresser à l’évolution professionnelle de leurs salariés. Certains vont voir leur emploi disparaître, d’autres auront à actualiser leurs compétences. Tous vont devoir se préparer pour, demain, exercer de nouveaux métiers. Nous sommes sollicités pour réfléchir à ces mutations. Nous travaillons par exemple avec AXA sur l’accompagnement de ses actuaires vers des postes de datas scientists ou avec PwC sur des compétences d’analyse des données. Nous allons en outre recruter et former la nouvelle génération d’ingénieurs en intelligence artificielle, en Europe, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Prochainement, nous allons aussi lancer une offre correspondant à des blocs de compétences pour répondre à des besoins de mise à jour ou à des logiques de coconstruction autour de l’abondement du CPF du salarié par les employeurs.

Ce découpage en blocs de compétences, encouragé par la réforme, constitue-t-il pour vous un tournant, l’offre de formations débouchant sur un diplôme reconnu faisant partie de votre marque de fabrique ?

P. B. : Les deux ne sont pas incompatibles, les diplômes devant à terme être découpés sous forme de blocs de compétences. Mais il ne faut pas sous-estimer ce que représente l’obtention d’un diplôme reconnu pour des personnes qui n’en ont pas ! Vous seriez étonnée de voir l’attachement aux diplômes dans de nombreux pays, y compris aux États-Unis. Mais pour tous les employeurs, quel que soit le pays, ce qui est primordial, c’est la souplesse. Et nous y répondons. C’est pourquoi nous travaillons directement avec des entreprises américaines, et notamment avec Facebook et Amazon. Elles sont intéressées par notre modèle pédagogique et nous bénéficions de notre image d’entreprise à mission.

C’est un plus dans la compétition internationale ?

P. B. : L’entreprise à mission est proche du statut de public benefit corporation, bien connu aux États-Unis. Bien avant la loi Pacte, nous étions, dès notre création, une entreprise à mission et notre raison d’être – rendre l’éducation accessible partout et pour tout le monde – fait partie de notre ADN. Nous avons mis en place un comité d’impact composé de représentants des différentes parties prenantes qui devrait rendre son premier rapport en mars prochain.

Vous êtes bien implantés en France et présents à l’international. Quels sont pour vous les prochains challenges ?

P. B. : Nous travaillons de plus en plus avec des partenaires académiques, à l’image de CentraleSupélec. Nous souhaitons aussi étendre cette démarche à des partenaires internationaux. Nous avons un gros projet avec une grande université américaine ; ensemble, nous pourrions développer un programme pour les top managers…

Ces derniers sont-ils prêts à suivre des programmes en ligne avec un mentor pour les accompagner ?

P. B. : Il y a encore des réticences mais les mentalités évoluent. Et quand les entreprises se positionnent comme des entreprises apprenantes, il faut que les membres du comité de direction montrent l’exemple !

Cette généralisation de l’éducation en ligne est-elle une menace pour les universités ?

P. B. : Je ne crois pas que les universités vont disparaître. Et encore moins les plus prestigieuses, celles axées sur la recherche. Il y aura toujours des jeunes de 18 ans qui passeront quelques années de leur vie sur un campus. Cette expérience est importante. Mais il y a aussi d’autres personnes recherchant des programmes à visée professionnelle, ou qui ont envie de progresser dans leur carrière, sans avoir forcément la possibilité de s’arrêter pour aller à l’université. Il y a aussi ceux en quête d’un autre modèle pédagogique. Il ne faut pas opposer les modèles mais comprendre que plusieurs approches vont cohabiter. Nous regardons également ce qui se passe du côté de l’intelligence artificielle. Mais, pour le moment, nous n’avons pas encore suffisamment de recul pour nous prononcer sur le machine learning, et encore moins sur l’analyse prédictive qui permettrait, en amont, de repérer les étudiants dont le profil correspond à ceux qui ont le mieux réussi. Pour arriver à des résultats exploitables, il faudrait une quantité considérable de données que nous n’avons pas encore.

La France, avec la réforme de la formation, fait-elle partie des pays qui ont bien anticipé l’avenir ?

P. B. : Avec le nouveau CPF, la France est regardée partout dans le monde avec un grand intérêt. Nous sommes le seul pays, avec Singapour, à avoir donné aux actifs des crédits pour se former en ne demandant aucune autorisation. Cette initiative intéresse l’Union européenne. Et pourquoi pas, demain, créer un CPF européen ? Ce serait un grand pas en avant pour notre continent…

Pierre Dubuc

Ingénieur de formation, Pierre Dubuc, 31 ans, est le cofondateur et président d’OpenClassrooms, la plateforme d’éducation en ligne leader en Europe. Avec Mathieu Nebra, il a créé le « précurseur » d’OpenClassrooms en 1999, à l’âge de 11 ans. En 2016, il figurait parmi le classement « 30 under 30 » de Forbes.

Auteur

  • Laurence Estival