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Un déficit bien français

À la une | publié le : 01.01.2020 | Lys Zohin

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Un déficit bien français

Crédit photo Lys Zohin

S’ils ne font pas preuve d’un optimisme à toute épreuve dans la vie courante, les Français se montrent plus confiants sur leur lieu de travail. Encore que…

Que ce soit en eux ou envers les autres, les Français sont réputés ne pas avoir confiance. Les études le prouvent. Selon un sondage BVA-« La Tribune », l’été dernier, ils sont 84 % à être inquiets pour l’avenir de la planète, 74 % pour celui de leurs enfants et 72 % pour celui du pays… En cela, ces résultats confirment ceux de l’étude de l’université de Cambridge, au Royaume-Uni, publiée en mai dernier. Selon le YouGov-Cambridge Globalism Project, les Français sont parmi ceux qui ont le moins confiance : 27 % d’entre eux, seulement, expriment de l’optimisme sur leur propre futur et 8 % sont confiants dans l’avenir du monde. De même, à peine 7 % des adultes français pensent que leurs enfants auront de meilleures conditions de vie qu’eux et 74 % estiment même qu’ils auront davantage de difficultés. Un bilan qui contraste avec la confiance chevillée au corps des Chinois : 81 % d’entre eux se disent optimistes, de même que 73 % des Indiens. Certes, les Français ont la réputation d’être « mauvais coucheurs », jamais contents malgré les avantages dont ils bénéficient dans l’Hexagone, toujours rétifs face à l’autorité, au fisc, aux contraintes administratives. On triche sur ses revenus et on traverse en dehors des clous…

Stabilité

Mais il y a une lueur d’espoir, en particulier dans l’entreprise ! Selon l’édition 2019 de l’Observatoire du management Kantar-Oasys Mobilisation, 64 % des collaborateurs font confiance à leur manager direct, et 89 % des managers à leur équipe. « Une situation, notamment dans les grandes entreprises, qui est stable depuis 2007 », précise Éric Chauvet, de Kantar. Toutefois, une ambivalence se fait jour dans le baromètre Climat social et qualité de vie au travail, publié par Cegos à la fin 2018. Quelque 72 % des salariés ont confiance en leur manager – un chiffre en hausse de 8 points depuis 2015 – et 84 % d’entre eux estiment en parallèle que leur manager leur fait confiance, tandis que 85 % des managers estiment que leurs subordonnés pensent la même chose d’eux. Pourtant, 34 % des salariés ne se sentent ni écoutés ni compris par leur responsable… Toujours aux prises avec la contradiction, les Français sont, selon un sondage d’OpinionWay pour les Éditions Tissot publié en juin 2019, pas moins de 67 % à déclarer avoir besoin et rechercher un « vrai chef ». « Un avis partagé par tous, sans différence d’âge, d’emploi ou de sexe », précise l’enquête. Toutefois, « si les collaborateurs sont en quête d’un managérial fort, il ne s’agit nullement d’une recherche d’autoritarisme, bien au contraire. Le bon comportement serait celui d’un chef qui accompagne, qui aide et qui soutient pour 56 % des personnes interrogées. Pour 24 %, le responsable doit aussi être fin psychologue et savoir convaincre ». Et s’ils sont également réputés pour ne pas avoir une grande confiance en eux, les Français sont, en tant que salariés en tout cas, un sur deux à considérer qu’ils pourraient être chefs à la place de leur chef !

Aux origines de la confiance

Du latin « cum » et « fidere » (autrement dit, « avec » et « se fier à »), la confiance implique de remettre à autrui un bien précieux, en se fiant à lui. Même si le risque d’être trompé demeure… L’humain est-il de nature confiante ? La majorité des scientifiques estime que la confiance est effectivement un ingrédient nécessaire pour les interactions humaines, qu’il s’agisse de l’émergence d’une société organisée, d’échanges commerciaux ou même d’amour. D’aucuns font cependant remarquer que l’inné serait plutôt à la méfiance et au doute… À l’âge des cavernes, mieux valait se méfier des dangers qui rodaient si l’on voulait survivre. C’est la fameuse théorie du F3 – pour « Fight » (combattre), « Flight » (s’enfuir) et « Freeze » (faire le mort) – développée par le psychologue américain Walter Bradford Cannon, en 1929. Reste qu’un bébé s’attache naturellement à la personne qui prend soin de lui. Il fait donc confiance. Cette prédisposition peut cependant être contrariée, en cas, précisément, d’abus de confiance, que ce soit dans l’enfance ou à l’âge adulte. On pense à ceux qui ont confié leurs économies à Bernard Madoff, qui ont pris des médicaments ayant des effets secondaires catastrophiques, qui s’en sont remis à des industriels pour produire des aliments sains ou pour assurer leur sécurité en avion. Sans oublier les Gouvernements, censés protéger les citoyens qui leur en donnent la responsabilité en élisant leurs représentants, et qui n’ont pas su éviter les crises économiques, le chômage, le déclassement social, la relégation territoriale…

L’abécédaire de la confiance

Authenticité

« Le besoin de confiance que l’on note chez les citoyens prend la forme, parfois, d’un retour à l’ancien, déclare le sociologue Ronan Chastellier. Cela va des recettes de grand-mère au médecin de campagne. Dans l’entreprise, cela se vérifie aussi. Il faut donc y être “authentique”. » Autrement dit, parler vrai.

Confiance en soi

Pas étonnant que « La confiance en soi, une philosophie » (Allary Éditions, 2018), l’ouvrage du philosophe Charles Pépin, soit un best-seller. Les Français sont réputés pour ne pas avoir une grande confiance en eux. Question d’histoires : ceux qui avaient confiance en l’avenir et en eux sont partis tenter l’aventure au Canada ou ailleurs. Avec parfois un effet de balancier pour compenser. Alors on fanfaronne et on se croit les meilleurs, les plus forts… « Reste que pour avoir confiance en les autres, il faut déjà avoir confiance en soi », précise Charles Pépin. Mais comment faire lorsque, à l’école et la maison, on n’a reçu que des « peut mieux faire » ? « Il faut cultiver les bons liens, écrit-il. La confiance en soi vient d’abord des autres. » Sans oublier de se faire confiance. En étant compétent, bien sûr. Mais ce n’est pas tout. « Se faire confiance, c’est se savoir capable d’accueillir l’aléa », poursuit-il. Et pour cela, rien de tel que d’écouter son intuition.

Connaissance mutuelle

« La confiance repose sur la connaissance mutuelle, or plus les entreprises sont grandes, moins on se connaît », remarque Bertrand Déroulède, formateur chez Cegos. Cette distance peut également s’instaurer en fonction de l’éloignement technologique, géographique, culturel ou linguistique. « Je donne donc des conseils tout simples, comme, si c’est possible, d’aller voir un collègue plutôt que de lui envoyer un mail », dit-il. Déjeuners, échanges informels : tout est bon pour booster le relationnel au travail. « L’organisation doit aider, en instaurant des rituels. Mais attention : pas sous forme de réunions qui ne servent à rien ! »

Égalité

« Elle implique que chacun, quel que soit son niveau, a une capacité de réflexion et de suggestion », précise Éric Camel, PDG du cabinet de conseil Angie. Là encore, les « sachants », théoriciens en tout genre, notamment dans les entreprises, s’opposent encore trop souvent aux professionnels de terrain et à l’expertise d’usage. Ainsi, les premiers tentent par exemple d’imposer, dans la vie quotidienne au travail, un nouvel outil informatique, au mépris de l’expérience des seconds. « Si les collaborateurs ont un sentiment de manque d’égalité, ils n’ont pas envie de coopérer, conclut Éric Camel. Or, les organisations les plus performantes sont celles qui articulent les trois éléments fondamentaux que sont la sincérité, la stabilité et l’égalité. »

Engagement

« Dans les entreprises où j’interviens, en général ce n’est pas la notion de confiance qui sous-tend la demande. Celle-ci porte sur d’autres thèmes, dont l’engagement des collaborateurs », précise Francis Boyer, spécialiste d’innovation managériale. Quels que soient les sujets qui préoccupent les structures, la confiance n’est jamais loin. Reste que l’on ne parle pas beaucoup « d’engagements de la part de la direction dans la vie au travail, mais plutôt d’objectifs, en particulier pour les collaborateurs », poursuit-il. Mais compte tenu de l’évolution à l’œuvre dans les organisations, « on passe maintenant du concept de “faire ensemble” à celui d’“être ensemble”, ce qui ne peut plus se gérer selon des règles, mais selon des valeurs », ajoute-t-il. Autrement dit : alors qu’une règle se décrète, la confiance, qui alimente l’« être ensemble », ne se décrète pas.

Feed-back

Si les feed-back constructifs font partie de la confiance, encore faut-il savoir les donner – et les recevoir ! « La confiance peut être mise à l’épreuve dans des situations critiques », pointe ainsi Bertrand Déroulède, formateur chez Cegos. Et ce, d’autant plus que les Français ont tendance à confondre l’être et le faire, et qu’ils s’engagent souvent dans un « Tu es nul », plutôt que dans un « Ton travail a été mal fait »… Pire, encore : le non-dit, de nature à saper la confiance en laissant la porte ouverte à tous les fantasmes. Enfin, pour accueillir un feed-back, encore faut-il avoir confiance en soi…

Performance contre excellence relationnelle

Trop souvent encore, dans les organisations, la notion de performance – et avec elle la « note » de fin d’année pour les collaborateurs – est à l’honneur, au détriment d’un autre critère, celui de l’excellence relationnelle. « Or, on peut avoir la première sans la deuxième », indique Bertrand Déroulède, de Cegos, qui préconise donc aux RH d’adopter également ce critère. « Le chemin est souvent plus important que le résultat », résume-t-il.

Sincérité

Pour Éric Camel, PDG d’Angie, la stratégie pour restaurer ou pour instaurer la confiance se résume en trois points : la sincérité, la stabilité et l’égalité. Plus concrètement, concernant la sincérité, « il faut dire d’où l’on parle et ne pas chercher à induire en erreur. Or, du big data, nous sommes parfois passés au “bug” data. Autrement dit, on manipule les données pour leur faire dire ce que l’on veut, alors qu’il s’agit d’être exact et sincère ».

Stabilité

« Elle concerne la continuité du discours », définit Éric Camel, d’Angie. Comment faire confiance à un candidat politique qui fait campagne sur un thème et qui finit par faire l’inverse une fois élu ? De même que l’information financière des entreprises doit être fiable pour bénéficier de la confiance des marchés, l’information et le discours vis-à-vis des collaborateurs doivent être dignes de confiance. Ce qui n’exclut pas, lorsque les circonstances l’exigent, d’avoir à adapter le discours – mais en faisant preuve de pédagogie.

Transparence

« Je donne des formations sur la manière de répondre à des questions sans langue de bois », indique Bertrand Déroulède, formateur chez Cegos. Si le concept de transparence paraît évident pour générer la confiance, apparemment il ne va pas de soi pour certains dirigeants ou managers… « Mais ensuite, certains sont tellement convaincus qu’ils vont même jusqu’à préconiser à la ligne hiérarchique de faire cascader l’information », dit-il.

Auteur

  • Lys Zohin