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La confiance, un bien précieux

À la une | publié le : 01.01.2020 | Lys Zohin

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La confiance, un bien précieux

Crédit photo Lys Zohin

Si les organisations tendent à être de moins en moins verticales, les habitudes ont la vie dure. Sans parler du droit du travail, qui inclut le lien de subordination comme élément central. Pourtant, selon les experts, la confiance doit être le fondement d’un nouveau contrat collaboratif en entreprise. Reste à l’instaurer ou à la renforcer…

La confiance serait-elle devenue la vertu cardinale dans le monde du travail ? Qu’elles soient sociologiques ou économiques, les différentes théories la convoquent en permanence : la vie est faite d’interactions, et pour interagir, il faut un minimum de confiance. C’est vrai pour les relations familiales, amicales, amoureuses, professionnelles, commerciales, financières, diplomatiques… « L’histoire va dans le sens d’une plus grande responsabilisation des individus », souligne le sociologue Ronan Chastellier. Le temps de l’infantilisation, où le sujet ou le vassal obéissait à son maître ou à son roi, est révolu. La démocratie est censée faire des citoyens des adultes. Et, selon lui, « c’est également le cas avec les nouvelles formes d’organisation du travail ». C’en est fini de l’entreprise verticale, bureaucratique, et des modèles définis par Weber ou Taylor et mis en pratique dans les usines de Détroit et d’ailleurs, où l’on disait aux salariés ce qu’ils devaient faire, parce que, justement, on ne leur faisait pas confiance… Fini aussi, au moins dans les nouvelles théories organisationnelles, la subordination des collaborateurs. « La logique qui prend forme actuellement est celle d’entrepreneuriat dans le salariat », explique Ronan Chastellier. Sans parler des livreurs et autres forçats des plateformes, qui sont, justement, considérés comme des entrepreneurs plutôt que comme des salariés, le collaborateur, quand il n’est pas incité à lancer sa propre start-up au sein même de l’entreprise qui l’emploie, est appelé, au moins dans le vocabulaire RH, à être « acteur de sa formation, de son développement, de sa carrière ». Autant dire qu’avec ce nouvel état d’esprit, la confiance, réciproque, est une nécessité. « Au lieu d’une approche de type parent à enfant, le lien tend désormais à se faire d’adulte à adulte », complète Francis Boyer, consultant et coach en innovation managériale, dans le cabinet du même nom, Innovation Managériale. « Nous entrons dans une ère de la relation partenariale, précise de son côté Ronan Chastellier. En conséquence, on a envie d’avoir confiance. » D’autant plus que si l’on doute de tout, et notamment de l’avenir, de la pérennité de son emploi, des chances de ses enfants d’avoir une vie meilleure, de la possibilité de conjurer le réchauffement climatique ou de la mondialisation, pour ne citer que quelques angoisses contemporaines, « la vie est vite désespérante », avance le sociologue. La confiance dont on a tant envie porte donc en elle un aspect « sentimental », dit-il. « Nous sommes dans une zone psychologique, officieuse et privée. Ce n’est pas la zone officielle, organique et technique, confirme pour sa part Francis Boyer. Et si environ 10 % des salariés sont cyniques et réfractaires à toute idée de confiance dans l’entreprise, le reste des collaborateurs va là où se situe son intérêt, et il est dans la confiance. »

Une envie avant tout

Envie d’avoir confiance, certes, mais comment cette aspiration se traduit-elle dans la réalité ? Selon l’édition 2019 de l’Observatoire des salariés, publié par Kantar en avril dernier, « contrairement à ce que l’on remarque dans la société française en général, la confiance à l’égard des “élites” progresse dans les entreprises ». Le manager direct, déjà historiquement à un niveau plutôt élevé, voit sa cote de confiance continuer de croître (66 %, + 4 points par rapport à 2014). La DRH progresse davantage encore (+ 6 points, à 51 % de confiance), ainsi que les représentants du personnel et les syndicats (+ 4 points, à 47 %). La direction de l’entreprise est aussi sur une tendance positive, quoique plus modérée (+ 2 points, 56 %). « Si l’on se fonde sur le discours ambiant – qui est plutôt à la méfiance, notamment envers les élus et le Gouvernement –, ces chiffres sont bons, déclare Éric Chauvet, directeur conseil chez Kantar. Cela dit, si l’on fait une moyenne, cela ne représente qu’un peu plus d’une personne sur deux ayant confiance… »

En outre, à la question de savoir les sentiments des salariés à l’égard de leur employeur, les réponses, si elles dessinent un paysage plus apaisé que lors de la précédente étude il y a cinq ans, révèlent une distanciation. Certes, les sondés expriment moins de méfiance (23 %, – 4 points par rapport à 2014) et moins de déception (26 %, – 3 points), mais ils font également preuve de moins d’attachement (33 %, – 6 points) et de plus d’indifférence (20 %, + 4 points). « J’interprète cela comme une baisse tendancielle de l’affectif à l’égard de l’entreprise », poursuit Éric Chauvet. Et les torts sont partagés ! De fait, s’il existe nombre de petites entreprises dans lesquelles le lien reste fort, dans les grandes organisations, « l’impact psychologique sur les collaborateurs d’une OPA, d’un plan social ou du débarquement d’un collaborateur ou d’un manager est significatif », ajoute-t-il. « La vie dans l’entreprise se transforme souvent en un théâtre des illusions », note de son côté Ronan Chastellier. Stratégie peu claire, approximations sur l’état des comptes, engagements flous sur la pérennité de l’emploi… l’entreprise peut être tout sauf une structure fiable, et tout sauf une structure stable. « Or, l’humain est en quête d’infaillibilité », relève le sociologue. Doit-on alors parler de confiance conditionnelle ou « de confiance faible », selon la théorie qu’il développe ? D’autant que cette confiance d’expectative – « On fait confiance, mais avec quelle contrepartie attendue ? Et jusqu’où fait-on confiance ? », se demande-t-il – trouve rapidement ses limites « lorsqu’il faut resserrer les boulons dans une entreprise ». La seule façon de réactiver la confiance, dans ce cas, est, « encore et toujours, de considérer les salariés comme des adultes », martèle-t-il.

Les soft skills à la rescousse

Mais est-ce toujours le cas ? « Si, au sein de la société civile, les siècles de subordination sont passés, dans l’entreprise, le Code du travail enchâsse cette notion, répond Francis Boyer. Et nombre d’organisations sont encore très statiques – et très hiérarchiques. » « Sans oublier que même avec le télétravail, censé être basé sur la confiance, l’employeur peut, avec les moyens numériques, vérifier qui fait quoi et quand… », ajoute Ronan Chastellier. Dans ces conditions, « comment redonner du pouvoir aux collaborateurs à travers la confiance placée en eux ? Et comment le faire sans altérer les fondamentaux des relations contractuelles ? » interroge Francis Boyer. Il y a bien sûr des méthodes pour cultiver celle-ci (lire page 23)… Selon lui, « elle doit être le fondement d’un nouveau contrat collaboratif ». Mais attention, « la confiance ne peut pas être une règle. Elle repose sur une croyance : est-ce que je crois ou non au fait qu’en face, la direction, par exemple, parle vrai et tiendra ses engagements ? »

Paradoxalement, robotisation et intelligence artificielle pourraient venir au secours de la confiance. Certes, ces nouvelles technologies sont de nature à détruire des emplois, ou, tout du moins, à les transférer d’une catégorie à une autre, les ouvriers étant « dépossédés » au profit des ingénieurs, des développeurs et autres data scientists. En revanche, « en libérant les collaborateurs et les managers des tâches les plus répétitives et ingrates, la technologie met indirectement en lumière les soft skills, à savoir l’intelligence émotionnelle, relationnelle et situationnelle », explique Francis Boyer. Or, pour mener à bien les missions – management et gestion humaine, en particulier –, la confiance, encore elle, est clé. Reste donc à l’installer, à la cultiver, à l’entretenir au quotidien.

Des rituels pour instaurer la confiance

Lorsqu’il est appelé au chevet d’une organisation et que, consciemment ou non, le projet – et la nécessité – d’instaurer cette notion fait rapidement son apparition, Francis Boyer note d’abord que l’envie de travailler en confiance est toujours présente, à une écrasante majorité. « Mais le pourcentage baisse à 30 ou 40 % lorsqu’il s’agit de dire s’il est facile de l’instaurer », pointe-t-il. Pas question d’en rester là. Le coach commence par proposer des rituels. Comme celui de demander aux participants d’explorer des pistes pour établir ou pour restaurer la confiance. Viennent généralement en premier le concept d’engagement, puis, logiquement, celui de tenue des engagements. « Nous nous revoyons trois mois plus tard pour faire un point d’étape et pour vérifier que les engagements ont été respectés. » Mais ce n’est pas tout. « J’invite les participants à se projeter sur les six mois suivants et à envisager un échec du dispositif », poursuit Francis Boyer. Pourquoi ? « Parce que, contrairement à la pensée positive anglo-saxonne, l’esprit français est un esprit critique », répond-il. Il s’agit donc de le libérer lors des discussions. « Vider son sac permet de purger la méfiance. Et à chaque fois que la critique est là, je demande de nouveau des propositions. » Un plan B, en quelque sorte, qui permet à cette critique d’être constructive. Et bien sûr, le coach demande l’approbation de tous sur les nouvelles pratiques, afin d’ancrer l’adhésion. Combien de temps prend l’instauration de la confiance ? « De six mois à un an pour enclencher et ancrer le processus, répond Francis Boyer, puis, de 18 à 36 mois pour refondre entièrement la culture de l’entreprise. Les résultats significatifs se font jour au bout de trois ans. » Un travail de longue haleine, en somme, qui requiert une discipline de tous les instants…

Mieux travailler ensemble

« Je n’ai pas de demande directe sur la confiance, remarque pour sa part Bertrand Déroulède, consultant pour l’organisme de formation professionnelle Cegos. En général, la demande est de “mieux travailler ensemble”. » Lorsqu’il intervient en entreprise, il laisse d’abord les équipes coconstruire le concept qui leur conviendra en matière de relations efficaces. Puis viennent des exercices portant sur la construction et sur la traduction de la confiance au quotidien. « Je dis souvent que la confiance est comme une chaudière », s’amuse-t-il. Il faut la réguler, avec, comme pour le coach Francis Boyer, des rituels, des rencontres, des moments informels. Sans oublier l’intention, qu’il souhaite voir cultivée par les participants, en particulier dans le langage. Un parler vrai et bienveillant. Et c’est, selon lui, le chemin qui importe. Avec, peut-être, au bout, la confiance…

Pas de confiance dans les syndicats…

Selon le dernier baromètre annuel réalisé par Opinionway pour le laboratoire de Sciences Po, en décembre 2018, les députés n’inspirent confiance qu’à 31 % des Français (– 4 points par rapport à la précédente enquête). De tous les représentants politiques, seuls les maires tirent véritablement leur épingle du jeu (58 %, + 3 points), ce qui traduit une demande de proximité des électeurs. La confiance dans les syndicats (27 %), dans les médias (23 %) ou dans les partis politiques (9 %) stagne également à des niveaux très bas, alors que les hôpitaux (78 %), les PME (78 %), l’armée (74 %), la police (74 %) ou l’école (69 %) restent très appréciés.

… les DRH s’en sortent un peu mieux

Selon les données de Kantar, les DRH des entreprises de 500 salariés et plus voient la confiance qu’ils inspirent aux collaborateurs passer de 45 % en 2007 à 51 % en 2019. Les salariés font confiance à la direction de l’entreprise dans 53 % des cas en 2019 (contre 52 % en 2007) et aux syndicats à 49 % (contre 50 % en 2007). En outre, selon l’édition 2019 de l’Observatoire du management Kantar-Oasys Mobilisation, 89 % des managers déclarent faire confiance à leur équipe. En revanche, seulement 64 % des collaborateurs disent faire confiance à leur manager…

Auteur

  • Lys Zohin