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Idées

Une nouvelle brèche dans le barème des indemnités pour licenciement injustifié

Idées | Juridique | publié le : 01.12.2019 | Jean-Emmanuel Ray

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Une nouvelle brèche dans le barème des indemnités pour licenciement injustifié

Crédit photo Jean-Emmanuel Ray

On pouvait s’attendre à ce que, suite à l’avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019 qui tranche sans ambiguïté dans le sens de la conventionnalité du barème, le débat soit clos ! Le très remarqué arrêt de la Cour d’appel de Reims du 25 septembre 2019 a cependant ouvert une nouvelle brèche qu’il convient ici d’expliciter tant elle fait actuellement débat dans les cercles de droit du travail. Elle consiste à mettre en œuvre un contrôle concret de conventionnalité. De quoi s’agit-il ?

I – Du contrôle abstrait…

Le contrôle de conventionnalité qui a conduit la Cour de cassation à valider le barème des indemnités de licenciement est ce qu’il est convenu de nommer un contrôle abstrait, en ce qu’il n’implique pas une appréciation des faits de l’espèce. C’est d’ailleurs précisément parce qu’elle pouvait se dispenser d’un tel examen que la Cour de cassation a fini par admettre, contrairement à ce qui était jusqu’à présent sa position, qu’une demande d’avis peut porter sur une question de conventionnalité : « La compatibilité d’une disposition de droit interne avec les dispositions de normes européennes et internationales peut faire l’objet d’une demande d’avis, dès lors que son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l’analyse d’éléments de fait relevant de l’office du juge du fond. » Il y a ici l’un des apports de l’avis de juillet 2019 puisque nombreux étaient ceux qui pensaient que la Cour de cassation refuserait de se prononcer sur la conventionnalité du barème sur la base d’un avis !

C’est surtout le contenu de son avis qui interpelle. « Circulez il n’y a rien à voir », est-on tenté de se dire à la lecture dudit avis qui tranche sans aucune réserve dans le sens de la conventionnalité du barème au regard du principe de réparation adéquate. Si l’on fait le bilan, à ce jour, les principales juridictions françaises (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de cassation) ont donc conclu, sur des fondements certes différents, à la conventionnalité. Quid de la résistance des juges du fond qui s’était manifestée de manière forte jusqu’à juillet 2019 ? Pour l’heure, l’ensemble des juridictions d’appel qui se sont prononcées après cette date (Cour d’appel de Paris à deux reprises et Cour d’appel de Reims) ont conclu à la conventionnalité du barème. La Cour d’appel de Paris, dans son très attendu arrêt du 30 octobre 2019, est allée le plus loin puisqu’elle conclut à la conformité du dispositif à toutes les normes européennes et internationales auxquelles il peut être potentiellement confronté : Convention nº 158 de l’OIT, Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CDFUE). La Charte sociale européenne est, quant à elle, purement et simplement écartée car dépourvue d’effet direct.

Si l’on postule qu’il est conventionnel, le débat tourne désormais autour des exceptions au barème, au nombre de deux. D’abord, l’invocation d’une cause de nullité du licenciement. Sont concernés la violation d’une liberté fondamentale, le harcèlement moral ou sexuel, le licenciement discriminatoire, le licenciement consécutif à une action en justice, en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou en cas de dénonciation de crimes et délits, le licenciement consécutif à l’exercice d’un mandat par un salarié protégé ainsi qu’aux protections dont bénéficient la femme enceinte, le salarié en congé de maternité et paternité et le salarié victime d’un accident de travail. Seconde exception, l’invocation d’un préjudice distinct de celui réparé par l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Est ici notamment visé le licenciement vexatoire à raison des circonstances de la rupture (l’employeur jette les affaires de sa salariée par la fenêtre, porte atteinte à son honneur en ébruitant au maximum la faute commise) ou la faute de l’employeur à l’origine du motif de la rupture, par exemple dans l’hypothèse où la détérioration de l’état de santé du salarié était imputable au comportement fautif de l’employeur qui a manqué à son obligation de sécurité.

Une nouvelle brèche, d’une tout autre ampleur car elle touche au cœur même du barème, est cependant apparue depuis l’arrêt de la Cour d’appel de Reims : le contrôle concret de conventionnalité.

II – … au contrôle concret

Pourquoi un contrôle abstrait de conventionnalité ne suffit-il pas ? Parce que ce type de contrôle saisit le barème dans sa globalité, empêchant de prendre en compte des situations particulièrement inéquitables, qui concernent pour l’essentiel les petites anciennetés. Un barème qui prévoit, à 2 ans d’ancienneté, une fourchette d’indemnisation entre 3 et 3,5 mois de salaire et à 3 ans d’ancienneté entre 3 et 4 mois, permet-il au juge de réparer de manière adéquate le préjudice du salarié injustement licencié ? À cette ancienneté, les fourchettes sont d’autant plus réduites que le législateur a prévu des cumuls plafonnés : l’indemnisation pour non-respect des procédures de consultation des représentants du personnel ou d’information de l’autorité administrative en cas de licenciement collectif, celle pour non-respect de la priorité de réembauchage et celle consécutive à l’absence illicite d’institutions représentatives du personnel ne peuvent se cumuler que dans la limite du plafond ! Il faut comprendre que ces préjudices ne seront pas indemnisés si le juge estime que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être au plafond, ce que la Cour d’appel de Reims a du reste relevé.

D’où l’idée d’écarter le plafond lorsqu’il produit des effets particulièrement inéquitables, sur la base d’un contrôle dit concret (A. Lyon-Caen, Conventionnalité, RDT 2019, p. 293). Un contrôle inconnu du droit social mais que tant le Conseil d’État que la Cour de cassation ont eu à connaître, de façon certes exceptionnelle, dans d’autres champs du droit. Prenons deux exemples très instructifs pour comprendre comment peut être envisagé ce contrôle concret dans le contexte du licenciement.

Côté Conseil d’État, il a été jugé depuis une affaire Gonzalez Gomez (31 mai 2016) qu’une interdiction peut être levée lorsqu’elle produit des effets particulièrement excessifs au regard des droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Il convient d’en rappeler les faits pour bien comprendre dans quel contexte un contrôle concret peut être mis en œuvre. L’affaire concernait la demande d’une femme espagnole, qui souhaitait que les gamètes de son mari défunt, conservés dans un hôpital parisien, soient transférés en Espagne pour lui permettre d’y recevoir une insémination post-mortem. L’Agence de la biomédecine s’était opposée à cette demande qui se heurtait aux dispositions du Code de la santé publique qui interdisent expressément l’insémination post-mortem (article L. 2141-2 [1]) et l’exportation de gamètes en vue d’une insémination post-mortem (article L. 2141-11-1). C’est sur la base d’éléments concrets que le Conseil d’État va passer outre l’illicité de la démarche de Mme Gonzalez Gomez. Le juge relève que la volonté des époux de recourir à ce procédé médical, y compris post-mortem, est avérée ; qu’il n’a pas été possible d’y procéder intégralement sur le territoire espagnol à raison de l’état de santé du mari et qu’en conséquence seul un prélèvement physiquement entreposé en France était propre à permettre sa réalisation et, qu’enfin, un tel transfert aurait été possible au regard du droit interne si les deux conjoints étaient vivants. La Cour de cassation a fait de même s’agissant de l’interdiction du mariage entre alliés comme l’a illustré un arrêt de la Cour de cassation, dans le cas d’une union entre un beau-père et sa bru célébrée sans opposition et ayant duré plus de 20 ans (Cass. civ. 1, 4 décembre 2013, n° 12-26066, Bull. I n° 234). Si l’on fait un parallèle avec le barème des indemnités de licenciement, il devrait être possible, au vu des circonstances très particulières de l’espèce (âge, charges de famille, difficultés particulières pour retrouver un emploi, etc.), de passer outre la conventionnalité du barème.

C’est précisément ce qu’a admis la Cour d’appel de Reims le 25 septembre 2019 en jugeant que « le contrôle de conventionnalité ne dispense pas, en présence d’un dispositif jugé conventionnel, d’apprécier s’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné c’est-à-dire en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché ». On était typiquement dans une situation susceptible de générer une forte iniquité : salariée avec une ancienneté entre 1 et 2 ans et âgée de 59 ans ! Sans surprise, la perspective d’un tel contrôle fait débat : ses détracteurs y voient l’introduction en droit français de l’équité (contrairement à la common law, le droit civil ne comprend pas de système d’équité), une source d’insécurité juridique et une atteinte aux prérogatives du législateur (le contrôle concret serait contra legem) (sur ces critiques, O. Dutheillet de Lamothe, L. Paoli, « Contrôle de conventionnalité in concreto du barème : la boîte de Pandore est-elle ouverte ? », actuel RH, 3 oct. 2019). Il y a pourtant là le seul moyen d’éviter que le juge ne soit empêché de réparer intégralement, à tout le moins adéquatement, le préjudice subi par le salarié, lorsque, par exemple, celui-ci, âgé, avec d’importantes charges familiales, a aussi été débauché d’une autre entreprise à laquelle il était lié depuis 20 ans, pour accepter un contrat que son nouvel employeur rompt au bout de deux ou trois ans ! Il n’y a rien de choquant à considérer que, dans ce type de situations, l’application du barème peut être écartée afin de ne pas porter une atteinte excessive aux droits des salariés licenciés !

Reste à savoir si, lorsque lui sera soumis, non pas une demande abstraite d’avis, mais un pourvoi en cassation, la chambre sociale de la Cour de cassation admettra l’existence d’un contrôle concret ! Affaire à suivre…

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray