logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Après les CHSCT, une transition à la carte

Dossier | publié le : 01.12.2019 | Judith Chétrit

Image

Après les CHSCT, une transition à la carte

Crédit photo Judith Chétrit

Est-ce que les questions anciennement gérées par les CHSCT vont passer sous le tapis déjà bien rempli du CSE ? Des élus et des entreprises ont cherché à optimiser les conditions d’exercice des nouvelles commissions afin de conserver une expertise et une influence sur l’accidentologie et sur l’organisation du travail.

À peine les ordonnances ont-elles été promulguées qu’un sujet a rapidement accaparé l’attention et les prises de parole des organisations syndicales : la disparition du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et celle de ses réunions mensuelles, rendues quasi automatiquement synonymes d’une perte d’écho et de technicité, côtés élus, pour les sujets concernés. Il faut dire qu’avec la montée des risques psychosociaux en entreprise, l’instance avait acquis encore plus d’autonomie et d’importance grâce à ses expertises et à ses possibilités d’ester en justice. Dans les organisations de plus de 300 salariés (contre 50 pour les anciens CHSCT), elle est néanmoins obligatoirement remplacée par une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) dans laquelle pourront siéger des titulaires et des suppléants du CSE sans avoir une personnalité morale distincte. Un plancher qui a pu interpeller sur le terrain : « Certaines entreprises de moins de 300 salariés souhaitant maintenir une commission spécifique m’ont demandé si ce nombre de 300 était indicatif ou réglementaire, de peur de se retrouver en dehors de la loi », souligne Marion Gilles, chargée de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact).

« Un CHSCT bis »

Pour le médecin du travail Jean-Louis Zylberberg, « c’est un CHSCT bis avec moins d’heures de délégation ». « Il y avait déjà des modes de fonctionnement très hétérogènes. Certaines directions pragmatiques y voyaient une manière d’être en amont d’éventuels conflits sociaux, d’autres les trouvaient casse-tête car leurs avis étaient ciselés à la virgule près afin que les CE puissent en faire le relais », poursuit celui qui travaille pour un service francilien interentreprises regroupant essentiellement des entités de moins de 50 salariés, à l’exception de quelques filiales de grands groupes. Avec les CSSCT, Jean-Louis Zylberberg craint que l’instance ne soit plus « un tremplin pour montrer une approche collective des effets du travail sur la santé », avec des réunions moins fréquentes et un ordre du jour dédié aux situations individuelles. Coordinateur CFTC chez Hewlett-Packard, où sa filiale est désormais dotée d’un CSE unique et de deux CSSCT qui se réunissent chaque trimestre avec neuf élus, Jean-Paul Vouiller redoute que cette nouvelle organisation conduise à « une augmentation de la souffrance des salariés et à une moindre prise en charge des problèmes ». Il s’alarme particulièrement de l’arrêt du financement intégral par les entreprises des expertises commencées par les CSSCT – le CSE ayant 20 % à sa charge, à l’exception des situations les plus graves. « Cela risque d’engendrer un biais de fonctionnement dans des entreprises où certains seront plus préoccupés par les activités sociales et culturelles. »

Au sein du groupe Seb, on compte aujourd’hui autant de CSSCT qu’il existait de CHSCT, puisque le seuil de 50 salariés a été conservé dans la pratique. « Puisqu’il fonctionnait, nous n’avons pas ressenti le besoin de changer le système de fond en comble, et nous l’avons dit d’entrée de jeu aux partenaires sociaux », raconte Dan Abergel, DRH France. Toutefois, la direction regrette que des membres sans étiquette syndicale, et donc non-élus CSE, ne puissent plus en faire partie. « Leur présence nous permettait d’avoir d’autres personnes avec une expertise et un savoir-faire, comme dans la maintenance », indique-t-il. De tels aménagements ont également été réalisés chez Norauto où, avec un CSE unique réunissant 35 titulaires et 35 suppléants, la CSSCT compte 20 membres, au-delà des trois obligatoires. Chacun dispose de 30 heures de délégation. « Les CHSCT étaient déjà devenus des instances de plus en plus techniques. On ne pouvait pas uniquement se conformer au cadre légal. Ce qui change, surtout, c’est l’impression d’une continuité avec le CSE, au lieu d’avoir des réunions différenciées », estime Johanna Vigier, directrice des affaires sociales. La quarantaine de représentants de proximité, dont certains ne font pas partie du CSE, sera également formée pendant cinq jours sur les sujets de santé, sécurité et conditions de travail.

Vigilance de mise

Chez Renault, il existe aussi une certaine capillarité entre les représentants et commissions de proximité et la CSST, tous devant être titulaires ou suppléants des CSE. En siégeant à la CSSCT, le rapporteur de chaque commission de proximité assure un lien et une expertise avec son terrain sur les enjeux de santé et de sécurité. Au technocentre de Guyancourt qui compte un peu plus de 10 000 salariés, un représentant syndical Sud regrette le déroulé irrégulier des réunions de la CSSCT. « Auparavant, le journal des accidents du travail nous était communiqué à chaque fois. Cela n’est plus le cas. On passait également en revue l’ensemble des actions en cours après les visites de terrain pour savoir ce qui était traité ou non par la direction. Les ordres du jour sont succincts », décrit-il, se plaignant d’un manque de traçabilité des questions et des informations transmises.

Cette même vigilance est de mise pour les élus rencontrés par Lise Mattio, formatrice et coauteure de l’ouvrage « CSE : santé, sécurité et conditions de travail » (Afnor éditions). Elle souligne une attention plus grande portée au respect du Code du travail. « Par exemple lorsque des accidents graves ont pu être évités, c’est une obligation de réunir le CSE », illustre-t-elle. D’autres élus ont mis en place des réunions préparatoires pour les sujets de prévention afin de suivre l’avancée des préconisations transmises à l’employeur ou veillent à rédiger un compte rendu détaillé, qui n’a plus de valeur juridique, afin de l’annexer au procès-verbal du CSE. La formatrice suggère ainsi de placer les interventions extérieures en début de réunion CSE pour prévoir un minimum de visibilité et de participation. Repenser le contenu et l’articulation des réunions CSE et CSSCT est perçu comme un moyen d’éviter de retomber dans le piège des réunions doublons ou d’une commission qui peinerait à prioriser les sujets en préférant attendre l’aval du CSE. C’est pourquoi l’accord Manpower prévoit, par exemple, qu’un compte rendu soit rédigé et adressé aux membres du CSE à l’issue de chaque réunion de commission obligatoire.

Ce décloisonnement reste pourtant salué dans certains cas. Médecin du travail, Soline Bellier suit des salariés de sous-traitants de compagnies aériennes à l’aéroport d’Orly. « Depuis plusieurs années je lutte contre les horaires décalés irréguliers de semaine en semaine, qui sont devenus habituels dans la signature de nouveaux contrats. Or, ces roulements aléatoires ont des conséquences sur la santé et sur la vie personnelle des travailleurs. On m’a toujours répondu que c’était pour des raisons de rentabilité. Dans la mesure où le CSE traitera aussi des enjeux financiers, il y a l’occasion d’avoir une vision d’ensemble et de ne pas être renvoyée, comme avant, vers le comité d’entreprise avec qui je n’échangeais pas », cite-t-elle. « Certains s’en félicitent, ils y voient une possibilité supplémentaire de promouvoir la prévention primaire en rapprochant les enjeux de stratégie et d’organisation avec les conditions de travail », abonde Marion Gilles, de l’Anact. Reste à vérifier comment l’idée se déploiera en pratique. Sans compter que ces nouvelles commissions s’intégreront dans la réorganisation de la santé au travail. Un chantier qui a déjà prouvé sa complexité, en dépit de la pluridisciplinarité affichée dans les équipes depuis de nombreuses années.

Le CSE et le chantier des BDES

Bien qu’obligatoire dans les entreprises d’au moins 50 salariés, la base de données économiques et sociales (BDES) n’est encore pas réellement exploitée, quand elle n’est pas absente ou partiellement actualisée. Pour l’instant, son utilisation s’apparente plutôt à un jeu du chat et de la souris ! Lorsqu’elle a été introduite par la loi Sapin de 2013, elle devait pourtant rassembler « les informations relatives aux grandes orientations économiques et sociales de l’entreprise », afin de venir en appui des instances représentatives du personnel pour les consultations obligatoires du CE. Mais elle souffre de réticences dans le partage des informations, côté employeurs, et d’un désintérêt faute de praticité, côté syndicats. Alors que la mise en place du CSE exige une plus grande polyvalence et une bonne articulation des niveaux d’informations, les élus auraient tout intérêt à se saisir de cet outil, dont l’usage et la formalisation ont pu être discutés au cours des négociations. « On veut enterrer la BDES, très peu utilisée, pour construire une nouvelle base de données qui ne soit pas seulement une mise en conformité », confiait Didier Vésiez, DRH délégué aux relations sociales d’EDF, en juin, juste avant les élections. Ce qui suppose ensuite une formation, la mise à jour et la synthèse de documents bruts par l’employeur, ainsi qu’une facilité d’accès sans devoir recourir à longueur de temps à l’expert-comptable.

Auteur

  • Judith Chétrit