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Décodages

The Camp, un labo 4.0 dédié à l’exploration du futur

Décodages | Technologies | publié le : 01.12.2019 | Laurence Estival

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The Camp, un labo 4.0 dédié à l’exploration du futur

Crédit photo Laurence Estival

Inauguré en septembre 2017, The Camp, campus futuriste situé à Aix-en-Provence, entame sa troisième saison, porté par quelque 30 000 cadres, créateurs d’entreprise, chercheurs, étudiants et lycéens. Chaque année, ils viennent partager des sources d’inspiration et des projets ayant un impact sur la société, mais aussi sur eux-mêmes…

Un ovni en pleine nature, à une dizaine de kilomètres de la gare TGV d’Aix-en-Provence, et au cœur de 17 hectares de pinèdes bientôt atteignables avec la Demoiselle, le projet de navette autonome à énergie propre conçue sur place. Depuis deux ans, c’est là que The Camp accueille les « explorateurs de tous les horizons pour travailler ensemble sur des projets radicaux dans un lieu unique pour créer un futur plus humain et plus durable », comme le mentionne le site Internet. Une phrase intrigante qui incite de plus en plus de curieux à frapper à la porte afin de participer aux multiples activités proposées tout au long de l’année : formations interentreprises, séminaires internes, accélérateurs de start-up, jeunes créatifs en résidence pendant six mois, ou encore lycéens venus s’initier aux technologies innovantes. Ici, tout est fait pour faciliter les rencontres, les échanges à bâtons rompus, voire pour susciter des projets communs si affinités, dans une ambiance décontractée. La plupart des participants sont en immersion totale. Six mois pour la vingtaine de jeunes créatifs recrutés dans le monde entier afin de travailler sur des sujets aux confins du design, des arts graphiques et des technologies ; trois mois pour les start-upers accueillis dans l’accélérateur ; 48 heures pour les simples « Passeurs », les participants inscrits à l’un des modules du Pass, le programme de formation phare de ce lieu atypique. Une façon de découvrir – et de profiter – de cet endroit futuriste, avec ses bâtiments circulaires disséminés autour de la place du village et au-dessous d’une canopée, donnant à l’ensemble des allures de vaisseau spatial. Mais c’est aussi un moyen de prendre du recul sur sa pratique en expérimentant des modèles pédagogiques qui peuvent s’avérer déroutants pour les esprits trop cartésiens.

Une immersion dans un écosystème.

Deux fois par semaine, à 20 heures, les nouvelles promotions de « Passeurs » invités à suivre des programmes centrés sur la créativité, le leadership, l’innovation ou le management à impact sont attendues autour du bar. Au menu : des plats végétariens – ce camp de base pour l’exploration du futur a fait de l’alimentation durable un de ses axes forts – et les premières présentations sous les auspices de Laura, chargée de jouer les entremetteuses. Pour faciliter les contacts, un jeu « brise-glace » a été introduit. Des équipes de quatre composées de personnes qui ne se connaissent pas doivent répondre à un QCM tournant autour de l’histoire du lieu. Au fil des questions, on apprend la date d’ouverture, le nombre de chambres proposées, mais aussi le nombre de visiteurs ayant foulé le sol. L’année dernière, 30 000 visiteurs ont ainsi été accueillis, dont le secrétaire d’État au Numérique de l’époque, Mounir Mahjoubi, et son staff, pour trois jours pleins. Mi-octobre, c’était François Hollande, avec les premiers lauréats du concours dédié aux entrepreneurs sociaux de sa fondation, La France qui s’engage, dont les feuilles présentant leurs projets trônent encore sur les murs.

Une fois dans le bain et avant de rejoindre leur chambre monacale, les Passeurs sont invités à s’inscrire aux multiples activités qui se dérouleront pendant les deux jours, en plus des ateliers. Le matin, aux aurores, les adeptes de footing ou de vélo se retrouvent sur un des deux parcours de 5 kilomètres ou de 10 kilomètres aménagés autour du campus ou, en été, pour plonger dans la piscine alimentée avec de l’eau naturelle filtrée. À l’heure du déjeuner, des visites du campus ou des tournois de pétanque sont organisés. Avant le dîner, direction le potager cultivé selon les principes de la permaculture, afin de mieux comprendre d’où viennent les savoureux légumes posés dans les assiettes. Et avant d’aller se coucher, tapis et bols tibétains attendent les volontaires pour une séance de méditation. Des moments vécus non seulement comme des intermèdes, mais aussi comme des moyens d’ouvrir son esprit et de découvrir de nouvelles idées, de nouveaux business models, des concepts innovants ou tout simplement des méthodes pour prendre soin de soi et savoir profiter de cette parenthèse, loin du bruit de la ville. « Il s’agit de s’immerger complètement dans un écosystème fait d’activités différentes mais dont l’objectif est toujours le même : avoir un impact sur sa tête, sur son cœur ou sur son corps. The Camp travaille autour de ces trois dimensions », insiste Julie Thinès, la directrice des programmes, passée par l’Executive Formation de Sciences-Po.

Du « moi » au « nous ».

Commencé dès l’arrivée des stagiaires, le programme s’accélère le lendemain matin. Un groupe d’une quinzaine de personnes a choisi de suivre la formation dénommée « Tous acteurs de l’entreprise à mission », qui en est à sa première édition. À la barre : Maxime de Beauchesne, consultant RH, cofondateur de Instinkto, un collectif de « facilitateurs humanistes » qui accompagne les entreprises dans leur réflexion sur leur raison d’être. Un sujet dans l’air du temps suite au vote de la loi Pacte. Mais il ne s’agit pas de faire une explication juridique du contenu du texte. Après avoir fermé les yeux, pour mieux se concentrer, assis en tailleur dans l’herbe face à la Sainte-Victoire, chacun doit dire quels sont les motifs de sa présence et le rôle qu’il entend jouer dans la chaîne d’acteurs engagés sur ces questions : témoin, chef d’orchestre, entraîneur… Des aspirations individuelles naissent une ambition commune qui sera le fil conducteur de la session : « Proposer une expérience de deux jours à The Camp à des personnes exploratrices, actives et passeuses, pour leur permettre de prendre du recul sur elles-mêmes, d’explorer et de partager autour de l’entreprise à mission, et pouvoir mettre en mouvement et engager les autres personnes. » « C’est notre mission que nous venons d’écrire, résume le formateur. Pour parler d’entreprise à mission, il est indispensable que les parties prenantes soient d’abord au clair et d’accord sur le sens de ce qu’elles souhaitent faire dans ce collectif éphémère. »

Au cours de cette première journée vont ensuite se succéder travail individuel, jeux de rôle et séances de groupe selon un timing serré. Première étape : chaque participant est invité à définir sa propre raison d’être. Cette introspection surprend un certain nombre de participants. Est-on bien dans les clous ? Ne devions-nous pas parler de l’entreprise ?… Face aux inquiétudes, Maxime de Beauchesne a prévu la réponse : « Pour définir la mission d’une entreprise, il faut que les parties prenantes aient déjà fait le point sur qui elles sont, sur ce qui constitue leur propre raison d’être et leurs valeurs, afin de réfléchir, à partir de ces éléments personnels, à une mission dans laquelle chacun pourra se retrouver », indique cet adepte de la « gestion par consensus ». Deuxième temps : passer de l’exercice sur soi-même et son interaction avec les autres à une réflexion sur ce que doit être une entreprise à mission en prenant en compte les avancées de la loi Pacte, mais aussi en anticipant sur les compléments qui pourraient y être apportés pour sortir de ce cadre réduit. « C’est notamment le cas en matière de gouvernance. Les législateurs ne sont pas allés assez loin. Que risquent les entreprises si elles ne respectent pas dans les faits leur raison d’être telle qu’elles l’ont définie ? » pointe Pierrick, spécialiste des transformations du travail. De quoi susciter de nouveaux débats et enrichir son questionnement personnel.

Une expérience humaine.

La deuxième journée est davantage axée sur l’accompagnement des participants, qui, une fois de retour dans leur entreprise, vont devoir mettre en œuvre les engagements qu’ils ont pris lorsqu’ils se sont interrogés sur leur positionnement, sur l’accompagnement de leurs équipes, ou sur la question de la raison d’être de leur entité ou future entité. Yohann, qui peaufine son projet de création d’entreprise à impact, reconnaît commencer « à y voir plus clair » après ce long cheminement. Isabelle, indépendante membre d’une Scop, repart, quant à elle, avec l’envie de proposer aux membres de cette coopérative de réaffirmer ce qui les unit avant de continuer leur expansion. « C’est intéressant, mais je reste un peu sur ma faim. J’aurais aimé que l’on entre plus vite dans le vif du sujet », regrette Nathalie, cadre dans une entreprise de l’assurance. Elle s’est notamment inscrite à cette formation pour savoir comment engager ses équipes et, au-delà, l’ensemble des salariés, à devenir les relais qui vont traduire concrètement, en interne mais aussi vis-à-vis de l’extérieur, la mission dont l’entreprise s’est dotée. « J’étais sans doute venue avec l’espoir de repartir munie d’une boîte à outils », s’amuse-t-elle, saluant toutefois, comme les autres, l’enrichissement individuel qu’a constitué cette expérience, finalement plus humaine que débouchant sur des solutions clé en main.

Des partenaires prestigieux derrière le projet

Depuis son lancement, The Camp bénéficie du soutien actif d’une trentaine de structures. Parmi elles, de grandes entreprises (Vinci, Sodexo, Accenture, Airbus…) envoient des bataillons de collaborateurs et y organisent des séminaires internes. Ces « grands frères » ont assis la notoriété et la crédibilité du lieu face aux sceptiques quant aux finalités de ce laboratoire 4.0 qui, contrairement aux apparences, n’a rien à voir avec une quelconque vision « new age » ou une structure véhiculant un esprit sectaire. Cet appui a été indispensable pour franchir l’épreuve du feu après le choc représenté, trois mois avant l’ouverture, par la mort de Frédéric Chevalier, l’entrepreneur marseillais, âme du lieu qui avait imaginé The Camp et posé les fondements… Mais ces soutiens de la première heure répondent également présent lorsqu’il s’agit de tester de nouveaux concepts issus des travaux de recherche menés par des « commissaires d’exploration » sur des problématiques tournant autour de la ville et des modes de vie et d’organisation du futur. « Nous venons par exemple de lancer un groupe de réflexion sur le futur du travail, explique Ingrid Kandelman, responsable de ce programme comprenant phase de recherche et mise en mouvement. Pendant six mois, nous allons accompagner une cinquantaine de collaborateurs de la RATP et d’Air France pour réfléchir aux nouveaux modes d’organisation. » Certains partenaires, à l’instar du Crédit Agricole Alpes Provence, sont même prêts à prendre des risques en entrant au capital des start-up accueillies dans l’accélérateur, dont ils supervisent le décollage. « Chaque semestre, dix nouvelles pépites, venant de plus en plus du monde entier, sont placées sous les ailes des spécialistes de la banque qui peuvent prendre jusqu’à 3 % de leur capital grâce à l’achat d’actions à prix préférentiels correspondant à 30 % de leur valeur », détaille Pashû Christensen, en charge du sourcing, venue tout droit de San Francisco pour faire profiter The Camp de son expérience et retrouver, à Aix-en-Provence, l’esprit originel de la Silicon Valley.

Auteur

  • Laurence Estival