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Rendre l’entreprise plus belle pour attirer les candidats

Décodages | Recrutement | publié le : 01.12.2019 | Catherine Abou El Khair

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Rendre l’entreprise plus belle pour attirer les candidats

Crédit photo Catherine Abou El Khair

À l’heure des réseaux sociaux, les entreprises peaufinent des stratégies d’image pour se rendre attractives. Mais dans les secteurs et pour les métiers difficiles, cette démarche ne suffit pas à résorber les pénuries de personnel, souvent liées aux conditions de travail.

Technicien de maintenance dans l’agroalimentaire, un métier qui recrute ! Pour le faire savoir, JPA, l’unité de transformation de porc du groupe Mousquetaires, laisse entrer la caméra de Géry, qui filme l’intérieur de son site basé à Josselin (Morbihan). Une visite diffusée sur… YouTube. Des caisses de viande défilent sur la vidéo, transportées par des machines ou sur des tapis. L’image doit illustrer l’évolution du métier, afin de le rendre attractif auprès des candidats. « Toutes les technologies sont représentées aujourd’hui. On a investi ces dernières années plus de 25 millions d’euros sur le site », détaille ainsi le responsable de la maintenance, casque et charlotte sur la tête.

Comme JPA, de plus en plus d’entreprises se prêtent au jeu du reportage proposé par Géry Bertrande, qui a monté la chaîne YouTube « Je viens bosser chez vous ». Et certaines de ses vidéos buzzent bien : jusqu’à 73 000 vues pour une entreprise qui embauche des conducteurs routiers… « La demande émane de tout type d’entreprises, des TPE jusqu’aux grands groupes », souligne cet ex-journaliste. Fini le discours « Pour vivre heureux, vivons cachés » ! « Les entreprises comprennent qu’elles ont besoin de s’ouvrir pour être attractives », explique Géry Bertrande. Y compris pour promouvoir des postes physiques ou dans des secteurs qui n’attirent pas les foules.

Alors que le chômage baisse, l’attractivité est devenue une priorité. Et aujourd’hui, cela implique de réhabiliter un bon nombre de métiers. « Les métiers manuels, à notre époque, ne sont pas valorisés du tout. Même si certains d’entre eux peuvent revenir à la mode, il s’agit d’une contre-vague. On est dans un univers qui valorise les métiers abstraits, et les professions ont du mal face à cela », souligne Éric Matarasso, consultant indépendant qui conseille des DRH sur leurs stratégies d’attractivité. Et quand ce n’est pas la difficulté du poste qui pose problème, d’autres aspects font fuir : métier en crise, dévalorisé, travail qui manque de sens… Le business de l’entreprise joue aussi un rôle dans l’attractivité auprès du grand public. Mais il est loin de rendre justice à toutes les activités. « La marque employeur est extrêmement liée à la marque produit », rappelle Laurence de Fontenay, directrice générale adjointe chargée des RH chez Randstad.

Guerre de l’image.

Face à ces critiques, certains ont décidé de contre-attaquer. « Il y a un problème de connaissance de notre secteur, qui est pour certains un secteur non modernisé alors qu’il a beaucoup évolué », clame Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa. Le syndicat des Ehpad du secteur privé s’est offert les services de Havas pour diffuser en novembre des spots grand public façon armée de terre. « On a tourné dans des établissements avec de vrais professionnels. Si toutes les campagnes ne sont pas faites avec de vrais employés, sur celle-ci il était impensable de ne pas le faire », insiste Nathalie Pons, de Havas Paris. Une volonté d’« authenticité » aujourd’hui incontournable, qui s’adresse aussi aux salariés de ces établissements. « En augmentant le capital fierté et appartenance des gens qui y travaillent, on améliore la marque employeur du secteur », assure-t-elle. Une nécessité alors que l’« Ehpad bashing », alimenté par des reportages sur la maltraitance dans ces établissements, n’en finit pas de dégrader leur image.

La métallurgie s’est également investie dans une stratégie de changement d’image depuis quelques années. « Suite à la crise de 2008, pendant une dizaine d’années, l’industrie a perdu l’habitude de recruter. Et comme elle n’était pas visible, les Français ont fini par se tourner vers d’autres types d’activité », justifie Hubert Mongon, délégué général de l’UIMM. Après avoir mis l’accent sur l’industrie du futur et la renaissance du secteur après la crise de 2008, l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) prépare une nouvelle campagne qui sera diffusée en radio, au cinéma ainsi que sur les réseaux sociaux. « Six Français sur dix ont compris que l’industrie recrutait et formait grâce à nos deux premières campagnes de 2017 et 2018. Au total, 90 millions de Français ont reçu notre message », se félicite Hubert Mongon. L’organisation patronale passe désormais à la vitesse supérieure. « Nous allons axer notre nouvelle campagne sur les qualités de l’environnement de travail, au sens large, dans l’industriel. » Un angle de valorisation permis par la robotisation. « On pourrait imaginer que certains métiers comme la chaudronnerie ou l’usinage ont du mal à attirer, mais leurs technicités et les évolutions technologiques les rendent passionnants. Beaucoup de jeunes nous le disent ! » assure-t-il.

Discours de vérité.

Conscientes des besoins des nouvelles générations, des entreprises tentent de répondre à leurs attentes. Certaines s’emploient à faire la démonstration de la bonne qualité de leur management. Avec moins de 6 % de chômage à l’échelle de son bassin d’emploi, l’entreprise Conductix, spécialisée dans les enrouleurs motorisés et les machines dédiées à la production de fibre optique, a ainsi retravaillé sa stratégie. Objectif : combler ses besoins en recrutement d’ingénieurs et de techniciens supérieurs, repartant à la hausse avec le retour de la croissance et le papy-boom. Or, l’entreprise est plutôt isolée : Conductix est située dans la petite commune de Belley (8 500 habitants), dans l’Ain, une zone mal desservie par les transports. « Nous nous efforçons de donner une image dynamique de l’entreprise, explique Peggy Deutscht, directrice générale de cette division du groupe Delachaux (1 200 salariés). Les jeunes ne souhaitent plus travailler comme avant, ils veulent des missions claires et s’épanouir. Quand je leur fais faire le tour d’usine, je dis bonjour à tout le monde. Les candidats voient qu’on connaît les familles et la bonne ambiance se ressent. » La démarche, loin de se limiter à de l’affichage, s’est accompagnée d’un lifting en interne : recrutement de jeunes et de femmes sur des postes à responsabilité, management bienveillant, mise en place de systèmes de suggestion, sans oublier… les cours de yoga et la salle de sieste. Contribuant ainsi à un bon bouche-à-oreille, auquel la cheffe d’entreprise est attentive les jours de marché à Belley.

D’autres entreprises ont choisi d’adopter un discours de vérité sur les conditions de travail. C’est le cas de Time, une entreprise de nettoyage industriel basée à La Talaudière (Loire). Pour prévenir les défections parmi ses nouvelles recrues, l’entreprise n’a aucun tabou sur les conditions de travail lors des sessions d’informations organisées régulièrement avec les candidats et qui se tiennent depuis six mois. « Il faut éviter de leur raconter des bêtises. La relation avec le client peut être difficile, on leur en parle et on leur donne des astuces à ce sujet. Mais on leur dit aussi qu’il existe des possibilités d’évolution, on insiste sur l’autonomie, qui est une réalité dans nos métiers, à la différence de l’usine », explique le PDG, Jean-Pierre Minjard. La démarche permet à l’entreprise de mieux tester les motivations des candidats et d’éviter, in fine, les erreurs de casting. « Alors qu’on subissait des ruptures immédiates, on a réussi à diviser leur nombre par cinq », assure-t-il.

En matière de recrutement, échanger de la manière la plus ouverte possible sur le poste à pourvoir est conseillé. « Il faut organiser la rencontre et la discussion avec le candidat autour du travail », conseille Yann-Gaël Fourquier, délégué au pilotage des partenariats et projets réseau de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Une approche trop peu pratiquée. « Les démarches de qualité de vie au travail sont centrées sur les salariés en poste plutôt que sur les candidats », regrette-t-il. Lors du recrutement, la question est souvent contournée. Et pour cause : l’un des travers des entreprises est en effet de se perdre dans la notion d’attractivité, un terme « fourre-tout » qui n’aide pas à y voir clair, insiste Yann-Gaël Fourquier : « Les entreprises y rangent trois choses : le déficit d’image, la capacité à embaucher ainsi que celle à fidéliser. » Trois dimensions différentes inégalement traitées par des entreprises qui, souvent, se concentrent beaucoup trop sur la communication, déplore l’expert.

Rôle du management de proximité.

Or, dans certains secteurs, habiller la mariée est devenu insuffisant. « On était déjà positionné pour lutter contre la méconnaissance des métiers, mais on s’est rendu compte que cela ne suffisait pas. Aujourd’hui, le rapport est inversé : les candidats choisissent leur entreprise et peuvent en changer pour 50 centimes de l’heure ou à cause des horaires. Les boîtes qui font rêver et celles qui font fuir, tout le monde les connaît », constate Cécile Michaux, déléguée générale du pôle d’intelligence logistique du Nord Isère, une association de près de 150 entreprises spécialisées dans la logistique.

Accompagnée par l’Anact, l’association a lancé un questionnaire adressé à des salariés et aux demandeurs d’emploi pour connaître leurs attentes. Résultat ? En plus de la rémunération, les deux autres enjeux RH à travailler selon les candidats sont le besoin de reconnaissance des salariés et le climat dans leur équipe. Un constat qui renvoie à la formation des managers de proximité. « Alors qu’ils sont clés, les chefs d’équipe en logistique sont souvent d’anciens préparateurs de commande non formés, qu’il faudrait accompagner et sensibiliser », explique Cécile Michaux. L’autre volet sur lequel des progrès sont possibles est celui de l’organisation du travail au sens large : traitement des « irritants » dans les processus grâce à une communication plus fluide, mais aussi adaptation des horaires de travail… quand c’est possible. Décaler les horaires, même d’une vingtaine de minutes en début de journée pour s’adapter au passage d’un bus, est un détail qui peut compter.

Urgence dans le grand âge.

Un autre secteur où l’attractivité est un sujet urgent est celui du grand âge. Le ministère des Solidarités et de la Santé projette une croissance globale de 20 % des effectifs d’ici 2030, alors que, dans le même temps, les candidatures dans les écoles d’aides-soignants chutent… Une mission sur l’attractivité des métiers du grand âge a été confiée à l’ex-ministre du Travail Myriam El Khomri, qui a remis un rapport contenant 59 pistes, dont le développement de la formation et l’augmentation des salaires. Pression sur les effectifs, bas salaires, image négative liée au vieillissement… le secteur cumule les critiques. « Dans le médico-social, on est dans le dur. Il s’agit de jouer sur les leviers pour lesquels il reste un peu de marge de manœuvre », explique Yann-Gaël Fourquier, de l’Anact. À la demande de la direction générale de la Cohésion sociale, l’Anact intervient auprès de 300 établissements publics pour mettre en place des démarches de qualité de vie au travail.

Mais à défaut d’avancer assez vite sur ces sujets, la piste de l’amélioration du système de formation est aussi évoquée. « On considère qu’une personne qui veut se projeter dans ce secteur a beaucoup de complications car il n’y a pas assez de niveaux. Passer d’aide-soignante à infirmière, c’est rare », relève Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa. « Il faut reconnaître les capacités des aides-soignants à coordonner, à fédérer, accompagner l’ensemble de leurs pairs. Mais aussi reconnaître la qualification d’aide-soignant coordonnateur », souligne de son côté Johan Girard, délégué national personnes âgées et domicile Croix-Rouge française. Autant de chantiers à entreprendre pour que les petits ruisseaux fassent les grandes rivières…

Auteur

  • Catherine Abou El Khair