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Des autonomes en panne de notoriété

Décodages | Syndicats | publié le : 01.12.2019 | Benjamin d’Alguerre

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Des autonomes en panne de notoriété

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Malgré quelques avancées ou victoires symboliques récentes dans plusieurs entreprises, la Confédération autonome du travail (CAT) reste l’un des parents pauvres des organisations syndicales. Doublée par l’Unsa et Sud, plus visibles, elle ne perce pas dans le paysage autonome, en dépit de son antériorité. Un redressement est-il possible pour cette structure historique mais méconnue ?

Chez Fidal, premier cabinet d’avocats d’affaires français, une page de l’histoire syndicale s’est tournée à l’occasion des élections professionnelles de juin dernier. Alors que les instances représentatives du personnel constituaient de longue date un pré carré de la CFE-CGC, les élus – en conflit avec leur direction nationale – ont choisi d’abandonner l’étiquette de la centrale des cadres pour se présenter au suffrage des 1 900 salariés du groupe sous les auspices de la Confédération autonome du travail (CAT). Pas plus attachés que ça à la couleur syndicale, les votants ont choisi de renouveler leur confiance – à 100 % et dans les quatre collèges – à leurs représentants, malgré leurs nouveaux oripeaux militants.

Six mois plus tôt, en janvier 2019, ce même syndicat a réussi son entrée chez FedEx (où il n’était pas implanté) en récoltant 13,5 % des voix. Et en novembre 2018, c’est à la Maif qu’il a créé la surprise en décrochant la première place aux élections CSE avec 25,14 % des suffrages, devançant la CFDT de trois points. De bons résultats pour cette petite organisation méconnue, qui vivote dans le paysage social sans vraiment réussir à percer depuis sa création en 1953 et qui compte aujourd’hui moins de 10 000 adhérents ? A priori, oui… Mais attention aux chiffres trompeurs. L’examen en détail de la base de données des élections professionnelles 2013-2016 montre qu’en dépit de sa présence dans près de 200 entreprises (Maif, Amazon, Total, Schneider, Darty, Fnac, PMU, LeTrot, Gerflor, Keolis, Servair, Air France, Lidl…), son audience reste confidentuelle. Très exactement, elle touche 150 556 salariés sur les 9 millions des établissements où l’une de ses sections est implantée. Soit moins de 2 % de ces salariés et… moins de 1 % de ceux du secteur privé dans son ensemble ! À quoi s’ajoute une quasi-absence dans la fonction publique, à l’exception de quelques îlots dans la territoriale. « Entre 2013 et 2016, la CAT a présenté 1 195 candidats dans 479 collèges comportant en moyenne 314 inscrits – c’est-à-dire des grands établissements. Elle a recueilli en moyenne 20 % des suffrages exprimés, ce qui lui a permis d’avoir 377 élus. Ce n’est pas négligeable, mais cela représente peu de choses par rapport aux principales confédérations », calcule le politologue Dominique Labbé, enseignant-chercheur spécialiste de la statistique appliquée aux faits sociaux à l’université Alpes-Grenoble.

Ni doctrine ni idéologie.

Pour se faire une place au soleil syndical, la petite CAT doit donc jouer des coudes face aux grandes centrales mieux installées, mieux dotées et disposant de troupes plus conséquentes. Problème : sa structuration ne l’y aide pas. « Malgré son nom, ce n’est pas une confédération au sens où les organisations syndicales l’entendent habituellement, mais plutôt une addition de syndicats indépendants implantés dans les entreprises. L’organisation fonctionne en râteau, avec un exécutif national au pouvoir limité qui ne s’immisce que très peu – voire pas du tout – Dans les affaires des syndicalistes de terrain », explique Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail (IST). De fait, cette non-intervention de l’échelon supérieur dans les problématiques locales reste conforme à la ligne historique du syndicalisme autonome dans laquelle la CAT s’inscrit depuis sa fondation. Née au mitan du xxe siècle, elle était alors le regroupement d’une dizaine de petites organisations syndicales catégorielles (Syndicat autonome traction à la RATP, Fédération autonome des PTT, Syndicat autonome des travailleurs métallurgistes, etc.). Celles-ci avaient claqué la porte de la CGT en 1947 par antistalinisme, sans pour autant rejoindre la nouvelle FO, financée par l’argent de l’AFL-CIO américaine… alors faux nez de la CIA dans le cadre de sa lutte internationale contre les syndicats communistes.

« La CAT ne s’est pas créée autour d’une doctrine idéologique – mis à part l’indépendance syndicale – et n’a jamais revendiqué de ligne directrice. Par pragmatisme, elle a défendu la participation gaullienne dans les années 1960. C’était ce qui lui faisait office de colonne vertébrale en matière de doctrine. À l’époque, ce n’était pas anodin car aux yeux des autres syndicats – et notamment de la CGT –, cela relevait quasiment de la collaboration de classe ! Malheureusement pour elle, la participation s’est démocratisée presque naturellement dans les entreprises sans qu’elle en retire de reconnaissance en matière d’audience », indique le sociologue Ivan Sainsaulieu, auteur d’une thèse sur le syndicalisme autonome. Un pragmatisme et une absence d’idéologie que la CAT revendique toujours. « Nous ne confondons pas syndicalisme et politique, lance Serge Bouakil, 65 ans, président de la confédération depuis 2007, réélu tous les deux ans depuis, par ailleurs délégué syndical central chez Darty. Nous prônons la négociation, et non la révolution. Et nous ne donnons pas de consignes à nos élus sur leur façon de négocier et de signer tel ou tel accord. Nous partons du principe que celui qui négocie l’accord est le mieux placé pour savoir s’il faut le signer en bout de course. » « L’échelon national sert surtout à rappeler nos valeurs à nos adhérents et à leur dispenser des conseils techniques ou juridiques lorsqu’ils en font la demande », abonde Rémi Martinière, le juriste référent de l’organisation. Une position appréciée des élus de terrain : « Je ne veux pas d’un syndicat qui me donne des consignes. Je veux rester maîtresse des négociations que je mène et pouvoir signer ou ne pas signer un accord en fonction des intérêts des salariés de mon entreprise », affirme Christelle Le Breton, déléguée syndicale centrale à la Société d’encouragement du cheval français (LeTrot).

Lassée des oukases confédéraux de la centrale de la rue du Rocher, cette ex-encartée CFE-CGC a fini par virer de bord pour choisir la voie du syndicalisme autonome. Cette revendication d’un exécutif national qui fiche la paix aux syndicats d’entreprise est partagée à la Maif, même si les élus sont ici des « CAT-natifs », jamais passés par d’autres structures. « Certaines organisations syndicales peuvent avoir des positions très dogmatiques en fonction des sujets abordés. Nous, nous négocions avant tout dans l’intérêt des collègues. On profite de la liberté de négociation et de signature que nous laisse le national tout en sollicitant son aide au fil de l’eau lorsque les besoins l’exigent », souligne Adel Rachedi, délégué syndical chez l’assureur niortais. Pragmatisme oblige, les alliances de circonstance avec d’autres organisations syndicales selon les intérêts du moment sont encouragées par la documentation interne de la confédération. Une stratégie tout aussi valable au plan national : la CAT, qui avait défilé contre la réforme des retraites Woerth en 2006, ne s’interdit pas demain de redescendre dans la rue face à Jean-Paul Delevoye, dans le cadre d’une démarche unitaire avec ses homologues des autres centrales.

Mais cette autonomie a un prix : dans le paysage social, la CAT est peu identifiée et son logo représentant un soleil au zénith sur fond vert et bleu reste souvent inconnu des salariés comme des DRH ou des pouvoirs publics. Absente dans les branches et au niveau interprofessionnel, elle ne possède guère de grands bastions pouvant faire office de base arrière, contrairement à l’Unsa avec l’enseignement et la police ou Sud avec le secteur santé-social ou La Poste. « C’est un syndicat du bas de la feuille de paie, un syndicat scrogneugneu, confie une DRH, qui a eu affaire à des élus CAT. Il dispose de peu de militants historiques : un certain nombre sont des transfuges qui n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient dans leurs anciennes organisations, ou pour qui la hiérarchie devenait trop pesante. » Difficile de lui donner tort : chez Total ou chez Fidal, ce sont d’anciennes sections CFE-CGC qui ont changé d’enseigne syndicale. Chez Adrexo – l’un des leaders français de la distribution de prospectus –, les rangs de la CAT ont été renforcés par des dissidents cégétistes refusant de laisser leurs places à des « camarades » imposés par la CGT du livre. Chez Servair, la déléguée syndicale centrale est également une ancienne de la centrale de Montreuil. Serge Bouakil a lui-même fait ses premières armes syndicales à la CFTC quelques décennies plus tôt avant d’en partir, déçu.

Confusions.

« Le problème de la CAT, c’est qu’elle n’a pas de culture propre susceptible d’être diffusée à ses troupes. Sa culture, c’est la négociation d’entreprise, point », assène Bernard Vivier, de l’IST. Une absence qui n’est pas sans conséquences alors que d’autres organisations – Unsa et Sud – sont venues truster le champ du syndicalisme autonome. « Dans son orientation réformiste, l’Unsa n’est pas si éloignée de la CAT, mais elle a pu compter sur une structure militante forte venue de l’Éducation nationale pour se développer. Sud dispose du renfort d’intellectuels qui lui donnent une colonne vertébrale organique. La CAT n’a pas tout cela », constate le sociologue Ivan Sainsaulieu. Les rapports de l’Unsa avec son organisation aînée dans le camp autonome sont d’ailleurs inexistants sur le plan national. Interrogé sur la CAT, Laurent Escure, secrétaire général de l’Union, confesse… n’en avoir jamais entendu parler. Pire : peu connue, la CAT est parfois confondue avec d’anciennes organisations « jaunes », voire d’extrême droite, comme la Confédération française du travail (CFT), responsable en 1977 du meurtre du militant CGT Pierre Maître aux Verreries mécaniques champenoises, à proximité de Reims. La confusion a la vie dure : 42 ans après les faits, la CAT est encore obligée de frapper du poing sur la table et de menacer de procès en diffamation pour faire taire les allégations mensongères.

Reste le nerf de la guerre : faute de participation au paritarisme de gestion, la CAT ne peut guère compter que sur les cotisations de ses adhérents pour fonctionner. Les permanents sont rares, et tous bénévoles. Quant au siège parisien de l’organisation, un modeste local de 60 m2 situé rue Saint-Vincent-de-Paul, à quelques centaines de mètres de la gare du Nord, il est sans commune mesure avec les paquebots des grandes centrales représentatives. « Pour aller aux élections dans les TPE, l’Unsa et Sud avaient 300 000 euros. Nous, 12 000 ! » s’agace Serge Bouakil, avec sa gouaille reconnaissable. Dans les entreprises, les élus se dépatouillent avec les accords IRP afin de financer la formation ou le recours à des cabinets d’experts extérieurs. Pour le reste, c’est le système D qui prime. Tracts diffusés sur Facebook et voyages en seconde classe. « Pour les déplacements des élus, nous avons établi des partenariats avec Ouigo ou EasyJet : aller à la rencontre des salariés est notre principal pôle de dépenses », raconte Steve Curier, secrétaire syndical de la CAT Maif. Tour de vis supplémentaire : la réduction du nombre d’élus – et des subventions afférentes – à l’occasion de la fusion des instances dans le cadre du CSE risque de faire des dégâts dans les finances des sections d’entreprise. Chez tous les syndicats, certes, mais les moins dotés souffriront le plus.

Pour autant, l’organisation autonome n’a-t-elle aucune carte à jouer ? « L’argument de l’apolitisme peut être porteur auprès de salariés dont la préoccupation est de savoir s’ils peuvent compter sur le délégué du coin, au-delà de sa couleur syndicale. Sans compter qu’en période de protestation, comme nous venons de le vivre avec les “gilets jaunes”, le syndicalisme autonome peut incarner le mécontentement contre les organisations installées, comme à Air France lors de l’occupation des pistes en 1993 », estime Ivan Sainsaulieu. Dominique Labbé, lui, se montre davantage dubitatif. « Je ne mésestime pas le travail de ces militants, ni l’intérêt de leur ligne syndicale. Cependant, les données montrent qu’ils n’ont pas atteint un niveau tel qu’ils pourraient apparaître comme une alternative dans le marasme actuel. Bien sûr, leur action mérite d’autant plus d’être connue qu’elle se déploie dans un contexte défavorable marqué par le discrédit qui frappe les grandes centrales. » L’horizon n’est donc pas totalement bouché pour la petite structure autonome, mais accroître son audience ne sera pas une sinécure.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre