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“Trop de personnes travaillent sans en retirer assez de moyens pour vivre”

Actu | Entretien | publié le : 01.12.2019 | Sophie Massieu

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“Trop de personnes travaillent sans en retirer assez de moyens pour vivre”

Crédit photo Sophie Massieu

L’ex-ministre propose une réforme systémique pour renforcer l’attractivité des métiers du grand âge et de l’autonomie. Et promeut une protection sociale augmentée, intégrant la prévention en santé et la qualité de vie au travail.

Pour renforcer l’attractivité des métiers du grand âge et de la dépendance, vous proposez la revalorisation des salaires, la formation, des mesures drastiques d’amélioration de la qualité de vie au travail, et le recours à l’innovation. Quelle est, selon vous, la mesure la plus structurante ?

Myriam El Khomri : Nous sommes devant une réforme systémique. Aucune mesure ne fonctionne sans les autres. Si on améliore la formation sans revaloriser la rémunération ou sans travailler l’indemnisation des temps de trajet, cela ne fonctionnera pas. De même, si les salaires augmentent sans que la qualité de vie au travail ne s’améliore, nous peinerons toujours autant à fidéliser les salariés. L’enjeu de cette réforme globale est de sortir de la taylorisation, avec ses référentiels de temps contraints, comme les 30 minutes prévues pour une toilette et le petit-déjeuner. Il faut concilier la qualité de vie au travail des salariés et la qualité du service rendu aux usagers. Il ne faut plus avoir à choisir entre faire vite et faire bien.

Le souhait, autant que les constats, semble partagé par tous les acteurs, y compris par la ministre des Solidarités et de la Santé. Pour autant, les mesures préconisées ont-elles selon vous une chance d’être mises en œuvre ?

M. E. K. : Je crois à l’engagement sincère d’Agnès Buzyn de faire du projet de loi autonomie un texte de mobilisation de la société. J’ai confiance. Elle a raison, avec Muriel Pénicaud, de vouloir un accord tripartite entre État, Départements et Régions. J’espère qu’ils trouveront un consensus, au cours de cette conférence sociale annoncée par la ministre, et en laquelle je crois. Il faut mettre en place du dialogue social sur ce sujet, notamment autour des questions de gouvernance du secteur. C’est toute la question des branches professionnelles par exemple, sept conventions régissent le secteur…

Vous évoquez la nécessité d’agir dès 2020. Mais tout cela ne va pas se faire en un jour. Que faire en attendant ?

M. E. K. : En effet, 2020 ne doit pas être une année blanche dans la mise en œuvre de ce plan métiers. Après le vote de la future loi autonomie, nous recommandons sa traduction budgétaire à travers un projet de loi rectificatif de financement de la Sécurité sociale. Puis il faudra dégager des ressources pérennes. La transformation de la contribution au remboursement de la dette sociale à compter de 2024-2025 est une des solutions.

En attendant, où trouver l’argent ?

M. E. K. : Ce sont des choix politiques. La branche accidents du travail et maladies professionnelles réalise 3,2 milliards d’euros d’excédents. Qu’elle s’engage à investir 100 millions d’euros sur la prévention semble possible ! Compte tenu de la sinistralité du secteur, il faut taper fort !

Pensez-vous qu’il faille créer une cinquième branche au sein de la Sécurité sociale, autour de la dépendance ?

M. E. K. : L’important est de dégager des ressources pérennes pour le financement de la dépendance. Autour du débat sur les enjeux de tarification, il est clair qu’il faut résoudre la question des inégalités de traitement entre les départements pour les tarifs de prise en charge des personnes en perte d’autonomie, mais aussi les inégalités d’indemnisation des temps de trajet d’un département à un autre pour les professionnels.

Quels doivent être les contours de la protection sociale dans les années à venir ?

M. E. K. : Elle ne doit pas uniquement comprendre la retraite, la santé et la prévoyance. Elle doit aussi intégrer la prévention en santé au travail, la qualité de vie au travail. C’est une protection sociale augmentée, qui inclut l’employabilité, la prévention de l’absentéisme. Les entreprises nous sollicitent d’ailleurs beaucoup sur ces sujets. Les employeurs voient bien qu’il ne s’agit pas uniquement de ne pas avoir d’impact négatif, mais qu’il faut en générer un qui soit positif. D’où les actions en matière de RSE, d’égalité professionnelle, les accords sur les seniors… Elles doivent développer simultanément la performance économique et sociale. Les entreprises qui réussissent sont celles qui investissent dans le champ de la performance sociale, puisque, derrière, se trouve tout l’enjeu de l’engagement des salariés et du sens au travail. Toutes ces dimensions sont importantes dans notre mission de conseil. Et il ne faut pas oublier que la qualité de vie au travail ne se limite pas aux enjeux sociétaux, même si des sujets comme les dispositifs d’aide aux aidants sont de plus en plus sollicités. Avant tout, il faut investir sur les sujets d’organisation du travail et de management.

Les fortes protestations sociales ont montré un grave mécontentement quant au niveau des salaires… Pensez-vous que le Gouvernement ait pris la mesure de l’enjeu ?

M. E. K. : Cet enjeu a été un peu pris en compte dans le cadre du plan pauvreté ou avec l’augmentation de la prime d’activité. Mais pas encore suffisamment, puisque 17,5 % des salariés qui interviennent dans le secteur du grand âge et de l’autonomie vivent sous le seuil de pauvreté ! Il reste encore beaucoup trop de personnes qui travaillent sans en retirer assez de moyens pour vivre.

Que pensez-vous de la réforme de l’assurance-chômage dont les premières mesures sont entrées en application le 1er novembre ?

M. E. K. : L’accord précédent, de 2017, permettait de réaliser des économies sans mettre en difficulté les personnes indemnisées. Cette réforme-là me semble anticipée par rapport à la taxation des CDD courts : il aurait d’abord fallu attendre les effets de cette mesure. Personnellement, en tout cas, cette réforme, je ne l’aurais pas portée.

Vous étiez en revanche en responsabilité lorsque la restructuration des branches, en vue de la réduction drastique de leur nombre, a débuté…

M. E. K. : Je l’assume complètement. Il était important de lancer une dynamique qui puisse permettre de créer des passerelles en matière de compétences pour les salariés. Quand je vois la difficulté à faire agir ensemble les trois Opco et l’Opca du public, que j’ai rencontrée en rédigeant le rapport, je me sens confortée. Le chemin est encore long…

La loi travail que vous avez fait voter avait déclenché de grandes protestations. Aujourd’hui, des réformes sociales, même plus dures (assurance-chômage, retraites…) sont en cours, sans déclencher de rejet aussi violent. Comment l’expliquez-vous ?

M. E. K. : Le contexte était différent. Nous étions en fin de mandat, cette loi arrivait après la déchéance de nationalité… Mais il est certain qu’on voit une forme d’ironie, par exemple lorsque FO, qui avait combattu la loi travail, se montre bien plus conciliante sur les ordonnances Macron…

En concevez-vous de l’amertume ?

M. E. K. : Nullement. Le combat politique ne m’a jamais gênée. Je suis prête à combattre pour des idées. Mais je refuse la violence qui va avec, les menaces de mort, les postures… Voilà pourquoi je ne veux plus faire de politique, sauf, avec un rapport comme celui-là, pour défendre l’intérêt général, sans que cela soit instrumentalisé. On peut porter des convictions ailleurs, en tant que salariée, comme je le suis actuellement. Par exemple l’idée que la négociation collective est, et reste, une voie de progrès.

Mais aujourd’hui, le paritarisme est en souffrance…

M. E. K. : Pour l’assurance-chômage, la lettre de mission était impossible. La négociation était donc mort-née. Lorsque j’étais au Gouvernement, j’ai vu les partenaires sociaux capables de prendre leurs responsabilités à l’occasion de deux accords nationaux : sur la fusion de l’Agirc-Arcco et sur l’assurance-chômage. La négociation interprofessionnelle permet de trouver des voies équilibrées. Lorsqu’un partenaire social ne se rend même pas au rendez-vous, cela ne peut pas fonctionner. De plus, s’il n’y a plus de négociations, leur image – voire leur survie – est en jeu.

Myriam El Khomri

Née au Maroc en 1978, Myriam El Khomri est élue socialiste à la mairie de Paris depuis 2008. Elle a été secrétaire d’État à la politique de la ville d’août 2014 à septembre 2015, avant d’être nommée ministre du travail, un poste qu’elle occupera jusqu’à la fin du quinquennat Hollande en mai 2017. Elle dit avoir décidé de quitter la politique et s’est reconvertie dans le conseil, aujourd’hui chez le courtier en assurance Siaci.

Auteur

  • Sophie Massieu