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Garder une longueur d’avance

À la une | publié le : 01.12.2019 | Laurence Estival

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Garder une longueur d’avance

Crédit photo Laurence Estival

À l’heure où de plus en plus d’employeurs font du bien-être au travail l’alpha et l’oméga de leur attractivité, les entreprises pionnières en la matière puisent dans leur culture et dans leurs valeurs pour continuer à jouer les éclaireuses, loin des solutions clé en main.

Fidèles au poste… Les statues de quatre générations de dirigeants de Schneider sont toujours à leur place au Creusot. Devant l’Hôtel-Dieu, celle d’Henri, fils et successeur du fondateur, illustre plus que les autres les projets de ces anciens capitaines d’industrie. Contemporains du capitalisme naissant, les premiers dirigeants de l’entreprise familiale créée en 1823, devenue rapidement le premier employeur de la ville, ne se sont, en effet, pas limités à proposer du travail aux ouvriers : ils les ont accompagnés, de leur naissance à leurs vieux jours, en créant des écoles, des logements, des églises, et même un hospice pour les personnes âgées, avec l’objectif de s’assurer une main-d’œuvre de qualité tout en contrôlant la population.

Comme dans le cas des Peugeot à Sochaux, des Michelin à Clermont-Ferrand mais aussi des Mulliez, dans le nord de la France, à la tête de la galaxie Auchan (Decathlon, Leroy Merlin…), ces histoires se conjuguent au passé et les responsables actuels de ces multinationales n’ont plus grand-chose à voir avec leurs plus ou moins lointains prédécesseurs. Enterrée avec la fin des Trente glorieuses, cette vision paternaliste de l’entreprise et de la société a toutefois laissé des traces dans l’ADN des entreprises en question. En témoigne Schneider, devenue Scheider Electric. Le groupe possède toujours une école de formation dédiée aux métiers de l’énergie, à Grenoble, et il fait d’ailleurs partie des premiers à avoir créé un CFA d’entreprise. Il a aussi fait de sa politique sociale une arme pour faciliter ses recrutements. Une attractivité qui rime aujourd’hui avec qualité de vie au travail (QVT). « Celle-ci a été intégrée au plan stratégique du groupe. Notre démarche vise à accroître la performance de l’entreprise mais aussi sa capacité d’innovation sociale, précise Corinne Derboeuf, responsable de projet ressources humaines chez Schneider Electric. L’approche globale retenue dépasse le cadre strict du bien-être au travail. » Elle repose sur cinq piliers tenant compte des aspirations des salariés en matière d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée ou valorisant les questions de sécurité et de santé. L’objectif a par ailleurs été étendu : le groupe ne cherche plus seulement à attirer les candidats, mais à accompagner les transformations du monde du travail par l’introduction de différentes mesures allant du télétravail à la sensibilisation des problèmes de déconnexion. « Il s’agit pour nous de promouvoir le concept de coresponsabilité entre les entreprises et leurs collaborateurs. »

Culture humaniste

« Alors que les entreprises sont de plus en plus nombreuses à surfer sur le thème de la QVT au travail pour attirer, pour motiver et pour fidéliser leurs collaborateurs, celles qui avaient déjà enfourché ce cheval de bataille soit par conviction, soit par rapport aux valeurs défendues, ont développé une approche allant au-delà de la mise en place de quelques mesures dans l’air du temps, du type table de ping-pong ou corbeilles de fruits dans les couloirs », pointe Anne Bléhaut, coach et consultante RH. Ce n’est pas Crédit Mutuel-Arkea qui la contredira. Ici, ce n’est pas l’ancienne culture paternaliste qui est revisitée mais le projet mutualiste, afin de permettre à la banque de rester dans la course, face à l’offensive de ses concurrentes pour attirer les talents. « Nous nous sommes interrogés sur la manière dont on accompagne les collaborateurs sur le long terme pour mettre en place de nouvelles mesures correspondant aux attentes de nos collaborateurs et répondant à leur demande de quête de sens », souligne Géraldine Bailleul-Guillemot, en charge de la QVT au sein du groupe. De cette réflexion sont nées de nombreuses actions qui tournent autour de la solidarité ainsi que d’une ouverture sur les autres et sur le monde, en lien avec les valeurs de partage et de mixité de l’entreprise. À l’image des congés solidaires. Pendant quinze jours, pris sur les congés annuels mais rémunérés, les volontaires peuvent participer à des projets d’alphabétisation au Togo. Le mécénat de compétences est lui aussi encouragé. Les salariés proches de la retraite ont l’opportunité d’épauler pendant un an des associations. Autre valeur défendue par l’entreprise : l’engagement à ne « laisser personne sur le bord de la route » se traduit par le repérage de salariés en situation de mal-être, qui vont être accompagnés vers un repositionnement professionnel correspondant davantage à leurs désirs en interne ou à l’extérieur. « Nous avons également décidé de mettre en place un dispositif de gestion des situations de harcèlement moral et sexuel, complété sur le terrain par un réseau de personnes-ressources : les relais de bien vivre au travail », poursuit Géraldine Bailleul-Guillemot. Des profils « bienveillants », aux antipodes des Chiefs happiness officers, vont écouter les victimes et faire remonter les informations. De quoi agir sur le bien-être au travail mais aussi sur le changement des comportements au-delà du cercle des collaborateurs. Signe des temps, en réfléchissant aussi sur son modèle, la Maif, « l’assureur militant » mutualiste, a choisi en juin dernier d’aller un cran plus loin en devenant l’une des premières « entreprises à mission » dans le droit fil de la loi Pacte, avec la volonté d’avoir un impact positif sur la société.

Charge mentale

Ni héritières d’un passé paternaliste ni mutualistes, des entreprises à ancrage territorial, à l’image de Seb ou de Colas, fortes d’un corpus conséquent en matière de qualité de vie au travail, sont elles aussi montées dans le train pour approfondir leur politique dédiée. Avec, dans les deux cas, des convictions solidement chevillées au corps. Un nouvel accord triennal avec de nouveaux engagements a été signé en juillet dernier chez le fabricant de petits appareils électroménagers. « Il fait suite à celui qui avait vu le jour en 2016, où nous avions commencé à formaliser notre politique en la matière, la question de la qualité de vie au travail faisant écho au projet philosophique du groupe », insiste le DRH France, Dan Abergel. Au centre de celui-ci : le respect de la personne décliné désormais avec une charte sur la déconnexion, la mise à disposition d’ergonomes ou d’ostéopathes pour apprendre à faire les bons gestes professionnels ou l’autorisation de télétravail occasionnel, en cas d’imprévu. « Cette mesure montre combien nous leur faisons confiance », ajoute le responsable. Une réflexion a aussi été engagée sur les plus de 55 ans qui évoluent en équipe depuis dix ans. Ils bénéficieront de quatre jours de congé supplémentaires par an. Bien sûr, il y a aussi la salle de sport, la conciergerie ou la crèche interentreprises, mais là n’est pas l’essentiel… « Nous travaillons sur le fond, insiste le DRH. À chaque fois que nous réfléchissons sur ces sujets, nous nous posons la question de savoir si les mesures envisagées nous correspondent bien ou pas ? Il faut de la cohérence. »

La démarche retenue par Colas est elle aussi exigeante : l’entreprise de BTP, engagée depuis longtemps sur les questions de QVT, a souhaité structurer sa politique en 2017 en détaillant ses actions organisées autour de cinq grands axes, dont celui, inscrit dans les gènes du constructeur, de l’accompagnement à la vie de parents. Un prestataire épaule les collaborateurs dans la recherche d’une place en crèche ou dans l’aide aux apprentissages pour les élèves du CP à la terminale. Les salariés bénéficient également d’un autre service pour les accompagner quand ils sont en situation d’aidants. Des conférences régulières sont également organisées pour informer le personnel sur des sujets à la frontière entre la santé et l’éducation, par exemple la prévention des dangers de l’addiction aux écrans. Ne parlez pas à Pascale Zurcher, directrice adjointe diversité et communication RH du groupe, de nouveau paternalisme ! « À partir du moment où un collaborateur est préoccupé par un problème du quotidien, il y a forcément des incidences sur le travail. Il ne s’agit pas d’entrer dans sa vie privée, mais de le libérer de cette charge mentale. Et nos collaborateurs apprécient », tranche-t-elle.

Porosité des frontières

« Les frontières entre vie professionnelle et vie privée sont de plus en plus poreuses et nous devons faire attention à ne pas dépasser certaines limites », reconnaît Yannick Charron, le DRH de SAS Institute France. Implanté dans l’Hexagone depuis 1983, cet éditeur de logiciels n’ayant pas l’antériorité de ses concurrents et qui a, comme d’autres entreprises dans son cas, misé sur la QVT pour tracer son sillon s’est positionné il y a deux ans dans cette « zone grise » mais balisée avec la mise en place de garde-fous. Pas question d’enquêter sur les utilisateurs du service d’assistance téléphonique proposé aux salariés par le biais d’un partenaire extérieur. Objectif : leur offrir une oreille attentive et des conseils que ce soit pour des questions liées à des difficultés sur leur lieu de travail, dans leur vie quotidienne, mais aussi dans des domaines qui relèvent de leur stricte intimité. « C’est une aide complémentaire que nous apportons à nos collaborateurs pour les libérer de leurs questionnements et pour les épauler dans la recherche de solution à leurs problèmes. Comme la crèche d’entreprise, la salle de sport ou la conciergerie, ils sont libres d’y avoir recours ou non », se défend Yannick Charron, revendiquant le choix de cette action, « peut-être plus dans la culture américaine que française, notre société mère étant aux États-Unis ». Les marges de manœuvre en matière de QVT dépendent aussi des cultures nationales peu solubles dans la généralisation à l’ensemble de la planète de solutions clé en main. Un conseil à méditer pour les organisations soucieuses de faire fructifier leur marque employeur !

Retour à la case management

« J’ai créé Eurécia pour mettre en place cette qualité de vie au travail que je ne trouvais pas dans les entreprises où je suis passé. » Évoquant sa conception de ce que serait cet ensemble de règles et d’actions permettant aux salariés de s’épanouir, de trouver un sens à leur activité, de pouvoir en vivre, d’évoluer et de se sentir valorisés, Pascal Grémiaux, fondateur et président de cette entreprise de logiciels RH, se prend à recenser les qualités de ce que sont pour lui de bons managers. C’est pourquoi l’accompagnement de ces derniers dans leur prise de poste, dans l’affirmation de leur leadership ou dans la manière de miser sur le collectif et sur la qualité des relations est, selon lui, bien plus important que tout le reste en vue d’attirer, de motiver et de retenir les salariés. Une façon de relativiser les politiques de qualité de vie au travail et de les recentrer sur des aspects strictement professionnels ?

Auteur

  • Laurence Estival