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Que signifierait le plein-emploi pour la France ?

Idées | Débat | publié le : 01.11.2019 |

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Que signifierait le plein-emploi pour la France ?

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Le taux de chômage est à son niveau le plus bas depuis 2009 : 8,5 % de la population active au deuxième trimestre de cette année. La courbe se serait-elle finalement « inversée » ?En tout cas, le président Macron vise les 7 % à la fin du quinquennat, en 2022, et le plein-emploi en 2025. Reste à savoir si cet objectif, qui doit encore être précisé, est atteignable en France, et comment. Une question qui peut se résumer autrement…

Michel Ruimy : Professeur à Sciences-Po Paris et professeur affilié à l’ESCP Europe.

Le plein-emploi, en France, est un vieux souvenir : le taux de chômage n’est jamais redescendu, depuis 1975, en dessous des 4 %, taux généralement admis comme représentant le plein-emploi. Notre pays aujourd’hui en est loin, avec un taux de 8,5 %.

Un plein-emploi ne signifie pas que tout va bien dans l’économie. Une chose est sûre : un taux de chômage nul n’est pas un bon indicateur de santé économique du fait des frictions sur le marché du travail.

Pour atteindre le plein-emploi, les initiatives devront principalement cibler le « noyau dur » du chômage (jeunes non qualifiés, « seniors », chômeurs de longue durée).

Pour atteindre le plein-emploi en volume, il faudra espérer la non-survenance d’une crise économique majeure, des politiques publiques actives de l’emploi, une croissance forte et durable. Bien sûr, on pourra compter, à l’avenir, sur de nombreux départs à la retraite ; encore faut-il que les chômeurs aient les qualifications adéquates. Surtout, il faudra aussi créer environ 300 000 postes par an, renforcer la formation professionnelle, réformer en profondeur l’accompagnement des chômeurs, comme ont pu le faire le Danemark ou l’Allemagne…

Pour atteindre le plein-emploi, on pourrait également détériorer la qualité du travail par la diminution du pouvoir de négociation des travailleurs en développant les formes de travail atypiques, plus précaires (contrats courts, temps partiel, travail indépendant), dégrader nos règles d’indemnisation du chômage…

S’il n’est pas égal à zéro, à quel niveau le plein-emploi peut-il alors être raisonnablement évalué aujourd’hui ? A court terme, est-ce illusoire de viser le taux de chômage de la zone euro (7,5 %), voire celui de l’Union européenne (6,5 %) ?

Gilbert Cette : Professeur d’économie associé à l’université d’Aix-Marseille.

Parmi les 36 pays de l’OCDE, quatre seulement pâtissent actuellement d’un taux de chômage supérieur au nôtre (la Grèce, l’Espagne, la Turquie et l’Italie). Le monde développé est très majoritairement au plein-emploi : le taux de chômage est inférieur à 6 % dans 24 des 36 pays de l’OCDE, dont beaucoup connaissent même de fortes tensions sur le marché du travail. La crise financière amorcée en 2008-2009 ne peut être invoquée pour expliquer la situation française, puisqu’elle a également frappé les autres pays. Pas plus qu’une insuffisance de la demande interne, car l’année 2019 sera la treizième consécutive avec un solde courant déficitaire, ce qui traduit une incapacité de l’offre compétitive à satisfaire la demande qui lui est adressée. Certes, depuis le premier choc pétrolier, en 1974, notre taux de chômage n’a été inférieur à 8 % que durant les deux années 2007 et 2008. Mais cette situation de chômage massif n’est pas une fatalité : la France peut bénéficier de la même situation de plein-emploi que la majorité des autres pays développés. Passer sous le seuil de 6 % est une cible atteignable dans un horizon de cinq ans. Atteindre cet objectif appelle cependant l’engagement de nombreuses réformes structurelles ambitieuses, du marché du travail encore trop rigide, de l’État insuffisamment efficace, de la fiscalité trop massive et distorsive, de l’éducation initiale et professionnelle peu performante… Cette orientation sera la meilleure voie de réduction des inégalités et d’augmentation du pouvoir d’achat.

Coauteur avec Jacques Barthélémy de « Travailler au xxie siècle », Odile Jacob, 2017.

Véronique Riches-Flores : Économiste indépendante, RichesFlores Research.

Le plein-emploi, c’est quoi ? Pour les économistes, il s’agit d’une situation dans laquelle le taux de chômage atteint un niveau considéré comme incompressible, en deçà duquel le chômage serait un résidu principalement lié aux mouvements des salariés d’une entreprise à une autre ou au temps imparti pour que les nouveaux postulants trouvent l’emploi recherché. En somme, une situation dans laquelle le sous-emploi d’origine structurelle n’existerait plus. Le sujet porte donc sur la disparition de cette partie structurelle du chômage généralement liée au niveau d’éducation et de formation, à l’inadéquation entre la qualification de la population à la recherche d’un emploi et celle recherchée par les entreprises ou au coût du travail. Prétendre mesurer de telles évolutions par le seul indicateur du taux de chômage est à l’évidence très réducteur. Il suffirait en effet de durcir considérablement les conditions d’indemnisation des chômeurs pour réduire l’incitation des personnes en recherche d’emploi à se déclarer et faire mécaniquement baisser le taux de chômage dans des proportions potentiellement importantes sans qu’aucun progrès ne soit pour autant réalisé sur le front du marché de l’emploi. L’histoire récente des États-Unis en est une bonne illustration. Le taux de chômage y est aujourd’hui de 3,5 % de la population active, son niveau le plus faible depuis 1969. Peut-on pour autant considérer que le plein-emploi soit atteint dès lors que le taux de participation ne s’est toujours pas remis de la crise de 2008 ? Si l’on réintègre ces disparus de la statistique à la population active, il en ressort un taux de chômage deux fois plus élevé ! La chute du taux de chômage reflète donc aussi un phénomène d’exclusion inédit dans la première économie mondiale.

On mesure dès lors les dangers de n’avoir comme seul objectif que celui d’un taux de chômage supposé de plein-emploi sans l’accompagner d’autres critères, une approche qui risquerait de se résumer à cacher la poussière sous le tapis… Décidément, à l’objectif de plein-emploi, nul doute qu’il faille préférer celui de l’emploi et des politiques plus inclusives !

Ce qu’il faut retenir

//Bonne et mauvaise nouvelles. Finis, les pics de chômage de 1997. Oubliée, la poussée de 2014, au-delà des 10 %. Depuis 2015, le niveau du chômage baisse de façon quasi continue, pour s’afficher à 8,5 % au deuxième trimestre de cette année, avec 2,52 millions de demandeurs d’emploi. Mais cette embellie porte en elle un effet de balancier : s’il y a bien 66 000 chômeurs en moins sur le deuxième trimestre, 63 000 personnes supplémentaires ont rejoint, sur la même période, ce que l’on appelle le « halo du chômage ». Ces dernières ne sont pas considérées comme demandeuses d’emploi au sens strict du Bureau international du travail (lequel prend uniquement en compte les personnes qui cherchent activement un emploi et qui sont disponibles pour l’occuper dans les deux semaines), néanmoins elles souhaitent travailler. D’autant que le reflux du taux de chômage leur donne l’espoir de trouver un poste…

//Ailleurs. Le plein-emploi existe ! Plusieurs pays bénéficient d’un taux de chômage inférieur à 5 %, considéré par certains économistes comme synonyme de plein-emploi. C’est le cas du Royaume-Uni, avec un niveau de 3,8 % en mai dernier, de l’Allemagne, où le taux a reculé de 3,9 % en janvier 2017 à 3,1 % en juin 2019, et des États-Unis, dont le taux de chômage est de moins de 5 % depuis deux ans et de 3,7 % au deuxième trimestre de cette année.

En chiffres

5 %

C’est le taux de chômage structurel en France, selon les analyses d’Éric Heyer et de Xavier Timbeau, économistes à l’OFCE.

Source : OFCE (www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/4-80.pdf).

80,6

C’est, en pourcentage de la population du même âge, le taux d’emploi des 24-54 ans en France en 20181. Aux États-Unis, ce même taux se situait à 79,41 %, faisant dire à Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008, que « selon cette mesure, la France est plus proche du plein-emploi que les États-Unis ! » dans un tweet2.