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Idées

Plateformes : la « fausse promesse de l’emploi »

Idées | Livres | publié le : 01.11.2019 | Lydie Colders

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Plateformes : la « fausse promesse de l’emploi »

Crédit photo Lydie Colders

Coordonnée par Sarah Abdelnour et Dominique Méda, cette enquête collective de sociologues explore en profondeur le quotidien des travailleurs indépendants, des chauffeurs d’Uber aux « tâcherons » du Web œuvrant à domicile. Un appel à encadrer cette « zone grise ».

Si le débat fait rage autour d’Uber, régulièrement accusé de détourner le droit du travail, ce livre enfonce le clou sur « le capitalisme de plateforme », qui renforce l’externalisation du travail, avec des indépendants précaires et parfois très contrôlés. Nous assistons à « une forme exacerbée de sujétion des travailleurs, les mettant à l’écart des régulations actuelles du monde du travail », pointe Sarah Abdelnour. Dans cette vaste enquête sur travailleurs des plateformes, chauffeurs, artisans ou microentrepreneurs, les sociologues dénoncent « un déni du travail au profit de l’activité ». Cela gagnerait même jusqu’à certaines structures de l’économie sociale et solidaire, comme La Ruche qui dit oui. En témoigne le décryptage intéressant d’un modèle commercial qui sous-estimerait le travail des responsables des ruches, « embauchés la plupart du temps en autoentrepreneur, pour une quinzaine d’heures par mois ».

Si les plateformes surfent sur « la rhétorique » du choix des horaires ou de la réalisation de soi, « la promesse de l’emploi libre et bien rémunéré » n’est pas respectée, pour les auteurs. Le livre explore d’autres versants méconnus « de la marchandisation » des hobbies, comme la vente d’artisanat sur Etsy ou les annonces de cuisiniers à domicile sur La Belle assiette, montrant la difficulté d’en vivre. Mais les chercheurs s’inquiètent surtout de l’apparition de « microtravailleurs » du Web en France, étudiant le modèle de Foule Factory, inspiré d’Amazon et de son Mechanical Turk. L’occasion de dénoncer cette idée d’optimiser ses temps morts et ce faux travail, avec des montants horaires « extrêmement faibles ou sous-payés ». Les sociologues alertent sur cette régression, proche du tâcheronnat du xixe siècle, selon eux. Bien que le cas de Foule Factory avec ses 50 000 inscrits ne passionne guère, les auteurs appellent à créer des « droits minimaux » des microtravailleurs du Web et à clarifier la responsabilité des donneurs d’ordre, citant des litiges aux États-Unis.

Des résistances complexes

De la grève des chauffeurs d’Uber en 2015 aux batailles juridiques sur la requalification en contrat de travail des VTC ou des livreurs en France, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, le livre donne un très bon aperçu des luttes en cours, reposant sur l’appréciation de l’indépendance réelle. Dans le cas du conflit d’Uber dans l’Hexagone, les sociologues montrent bien les revendications ambivalentes des chauffeurs : ils aspirent à « être mieux payés », mais pas forcément à la reconnaissance d’un statut de salarié… Une position « duale », difficile à défendre pour les syndicats. D’autant que si des organisations se sont créées suite à cette grève (Capa VTC, rattaché à FO), cette mobilisation a été marquée « par des tensions », voire « une aversion » envers le syndicalisme, rappelle la sociologue Sophie Renard. Les syndicats « cherchent encore leur place » pour défendre les autoentrepreneurs des plateformes.

Les nouveaux travailleurs des applis.

Coordonné par Sarah Abdelnour et Dominique Méda, PUF, collection La vie des idées, 120 pages, 9,50 euros.

Auteur

  • Lydie Colders