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L’injonction faite aux managers

Dossier | publié le : 01.11.2019 | Judith Chétrit

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L’injonction faite aux managers

Crédit photo Judith Chétrit

Mettre les managers au cœur de la com’ interne : sans grande surprise, ce leitmotiv est jugé important par près de deux tiers des communicants interrogés par l’AFCI, à l’occasion de ses 30 ans. Le manager est considéré comme l’échelon idéal à mobiliser. Seulement, l’opportunité reste encore peu exploitée alors que la fonction est elle-même en proie à des bouleversements… sans que la formation suive toujours.

Évolution rapide de responsabilités, stress, sentiment d’isolement, manque d’écoute et de transparence de la hiérarchie : tels sont les signaux envoyés par les managers dans un sondage BVA d’avril dernier. Les équipes de communication interne affichent pour ambition de donner de la voix aux managers, mais aussi de faire en sorte que cette voix fasse sens auprès des salariés. La tâche devient plus complexe lorsque le discours de l’entreprise souffre d’un manque de confiance, d’une novlangue absconse ou d’un manque de ressources. Moins de la moitié des professionnels affirment accompagner concrètement des managers pour les aider à maintenir une communication de proximité.

Du côté des managers, « l’éloignement crée le sentiment que la communication est parfois très conceptuelle et toujours très descendante ». Et du côté des communicants, « l’absence d’identification claire des cibles finales et de leurs besoins » fait que leurs interlocuteurs « peinent encore à s’approprier les messages et à les relayer », observe l’AFCI (Association française de communication interne). Lorsque Renault a signé un nouvel accord-cadre mondial sur la QVT, les managers ont été caractérisés comme les « premiers acteurs de la qualité des relations professionnelles » grâce à leur « bonne connaissance de la vision du groupe et de sa stratégie ». Mais au sein de l’équipe de 75 personnes d’Oxana Nazarova, qui pilote la communication interne, l’objectif n’est pas de « vérifier si les managers sont de bons ou de mauvais communicants, car ils sont déjà suffisamment stressés et ils ont de moins en moins de temps ». Aucun outil de mesure n’a été développé en ce sens, hormis l’enquête globale qui appréhende si la stratégie du groupe est comprise par les 180 000 salariés, en ayant été correctement transmise par leurs supérieurs. Le cœur de la communication s’appuie sur une division des cibles par métier, avec des communicants appelés « business partners » rattachés à la direction de la communication. Hormis des réunions pour les top 170 et pour les 500 managers avec la direction générale, les communicants du siège conçoivent un kit mensuel d’une quarantaine de pages. Libre ensuite aux experts métiers et pays de la com’ interne de les adresser aux managers de leur choix.

« Maillon essentiel »

Chaque première quinzaine du mois dans la centaine de magasins Conforama, plusieurs réunions sont organisées afin de toucher l’ensemble des salariés. On y diffuse des slides préparés par l’équipe d’Hélène Leroux, en charge de la communication interne au siège. « Comme les magasins restent ouverts, il y avait des réticences sur l’organisation des réunions plus que sur l’intérêt. Mais la qualité de la communication et d’animation des équipes fait partie du mode d’évaluation des directeurs de magasin », précise-t-elle. Un atout non négligeable lorsque la fermeture de neuf enseignes a été annoncée fin mars.

« Par communication managériale, on confond souvent le rôle du manager en tant que vecteur d’informations stratégiques et le développement de sa compétence pour animer un dialogue et créer des discussions », souligne Hélène Garlin-Havas, responsable communication interne et marque employeur de Malakoff Médéric Humanis. Chez AG2R La Mondiale, la DRH réfléchit à de nouvelles modalités d’animation des communautés managériales, qui représentent un peu plus de 10 % des effectifs totaux. Après avoir signé un accord laissant une plus grande marge de manœuvre aux managers pour la mise en place du télétravail, la DRH, Claire Silva, veut les associer davantage à l’évolution des métiers et au développement de compétences professionnelles. « On souhaite revisiter la façon dont on va les nourrir d’informations. Sur certains sujets structurants, c’est important de donner un temps d’avance à certaines lignes managériales pour comprendre la genèse et le déroulé d’un projet », explique-t-elle. Y compris lors de l’annonce du rapprochement entre le groupe et la Matmut, puis du divorce, quatre mois plus tard…

À la direction de la communication interne de la RATP, une étude annuelle d’évaluation est adressée aux managers afin de mieux cibler leurs besoins d’informations pour alimenter leur parole, jugée comme un « maillon essentiel ». « La vision doit être commune entre cadres dirigeants, managers de proximité, chefs d’équipe et managers de projets. Mais on ne s’adresse pas à eux de la même façon, car leurs attentes et leurs besoins diffèrent », souligne Maurice Imbert, fondateur du club Procom, dédié à la communication managériale. Sans compter que la prise de distance à l’égard du discours des dirigeants n’échappe pas aux managers de proximité, qui peuvent « se sentir déconnectés de la stratégie de l’entreprise ». « C’est une injonction qui peut être paradoxale : les managers se retrouvent à expliquer des choses inexplicables. Ils doivent générer de la confiance dans un système complexe fait d’incertitudes et fidéliser des collaborateurs tout en n’ayant pas toujours les leviers décisionnels », relève-t-il.

Rares sont les entreprises à disposer de communicants qui ont une connaissance fine des équilibres managériaux. À France Télévisions, Cyril Leduc est chargé d’animer la communication managériale au sein de la direction de la communication. Il y a deux ans, environ 180 managers issus des différentes chaînes ont participé à des ateliers pour définir une trentaine de pratiques qui pourraient être considérées comme un « socle » pour les 850 que compte le service public. « Lorsqu’on essayait de s’appuyer sur des pratiques existantes, des journalistes et des programmateurs pouvaient nous répondre qu’ils n’avaient pas les mêmes métiers ni la même posture que des ingénieurs ou des informaticiens. On a pris les managers à leur propre mot : faisons-les réfléchir au diagnostic et participer à la rédaction de fiches progressivement disponibles sur notre Intranet. » Y figurent ainsi « Pratiquer le feedback », « S’appuyer sur ses alliés » ou « Équilibrer boss-leader-coach ». Cette élaboration d’un référentiel pour le manager communicant illustre la tendance plus collaborative que prescriptive dans les stratégies de communication interne. Illustration depuis la création d’un groupe bilingue, Orange Campus Management, sur le réseau social Plazza à destination des 15 000 managers du groupe de télécommunications. « Le sujet s’est hissé à la première place en matière de fréquentation sur l’ensemble des communautés créées », avance Philippe Chevallier, responsable com’ managériale, grâce aux fiches pratiques régulièrement alimentées, aux webinars et au partage de vidéos et d’articles.

Comment la data peut-elle améliorer la gestion de la com’ interne ?

Savoir mesurer la récurrence des visites, le nombre de rebonds et les contenus sur lesquels les salariés passent le moins et le plus de temps est l’un des chantiers qui rapprochent les experts de la data et ceux de la communication interne. Entre les Intranets, les réseaux sociaux d’entreprise, LinkedIn et les e-mails, les informations s’accumulent… Sans compter les résumés ou les essentiels à savoir ciblés par métier, par branche ou par équipe ! Encore faut-il être en capacité d’analyser ce retour sur investissement : plusieurs éditeurs de logiciels, comme Oracle, intègrent des prestations additionnelles pour transmettre à leurs clients des données sur l’utilisation de leurs applications et faire ressortir les pratiques les plus utiles aux salariés. « C’est encore embryonnaire en communication interne parce qu’il y a moins cette culture du contrôle, de la performance, et moins de volumes de données à traiter », juge Édouard Rencker, patron de l’agence de communication Makheia. Bien que les objectifs diffèrent entre analyse de la réception d’informations et appropriation de la culture d’entreprise, le dossier gagne en visibilité et appelle à être mieux paramétré, mieux intégré en amont des projets lancés par des directions de la communication ou des ressources humaines. Hormis le feedback, entreprendre une analyse sémantique des termes les plus recherchés par les collaborateurs ou fournir, comme chez IBM, une présentation visuelle soignée des éléments les plus partagés par les collègues sont d’autres pistes à explorer.

Auteur

  • Judith Chétrit